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Dominique Costagliola : «Avec le Covid, on a vu ce qui arrive quand on fait du court-termisme»

Libération (site web)
Société, mardi 5 septembre 2023 1784 mots

Dominique Costagliola : «Avec le Covid, on a vu ce qui arrive quand on fait du court-termisme»

Christian Lehmann

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société longtemps traversée par le coronavirus. Pour l'épidémiologiste Dominique Costagliola, «le pouvoir a décidé qu'on en avait assez fait pour le Covid et qu'il fallait passer à autre chose».

 

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À l'aube de cette rentrée, avec une circulation virale estivale non négligeable, nous avons voulu interroger Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne, directrice de recherche émérite à l'institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique, et Grand Prix Inserm 2020 pour son investissement dans la recherche contre le Covid.

 

Que penser de ce nouveau variant BA.2.86, qui fait l'objet d'une attention soutenue de la communauté internationale en raison de son profil génétique très différent des lignages décrits jusqu'à présent, nous dit Santé publique France, en ajoutant qu'«une seule séquence a été détectée en France sur un prélèvement flash du 21 août 2023» ?

A chaque fois on rejoue la même partition. Quand un pays qui se préoccupe encore un peu de santé publique et maintient une surveillance active annonce la détection d'un nouveau variant, les autres pays se penchent sur la question et, évidemment, se rendent compte qu'il est répandu partout, bien au-delà des rares cas identifiés. Cette fois-ci, c'est le Danemark ; et la France joue les bonnes élèves en disant «on l'a détecté nous aussi mais ça reste marginal, pas d'inquiétude». Ça me fait penser à ce tweet de T. Ryan Gregory, biologiste du génome canadien : «Nous surveillons de près (mais bien sûr sans faire de tests), et nous ne sommes pas au courant d'une vague de Covid et en tant que tel nous pouvons affirmer (en restant dans un déni plausible), que nous ne voyons pas la nécessité de mesures d'atténuation supplémentaires.» Et bien en France aussi, on n'arrête pas de répéter «nous surveillons» mais, en fait, ça ne veut rien dire : nous ne testons pas, nous ne surveillons pas les eaux usées, nous minimisons la circulation du virus en population en parlant de grippe estivale et, à chaque fois, nous attendons le haut de la vague pour nous interroger sur l'utilité de mesures de mitigation quasiment inopérantes quand il est trop tard.

 

Quelles seraient ces mesures ?

Ces mesures de fond sont connues, et pas particulièrement coûteuses : c'est la surveillance des eaux usées (qui peut aussi servir pour suivre la circulation d'autres virus, la grippe, le virus respiratoire syncitial (responsable des bronchiolites), la polio...), le testing sur des échantillons de population, plus onéreux et plus complexe à organiser, l'utilisation des masques en lieu clos, et bien sûr la ventilation. Si on n'avait pas depuis le départ assimilé le masque au confinement, ce serait un outil utilisable en informant la population de ce qui se passe et en laissant les gens s'autodéterminer. Mais à aucun moment en France on a songé à associer les gens aux prises de décisions, et on ne leur fournit pas d'indication fiable de l'évolution de la situation, en se contentant d'endormir leur vigilance puis de sonner le tocsin. C'est de la désinformation notoire, comme à chaque fois qu'on parle de virus de l'hiver en y incluant le Covid, qui multiplie les vagues tout au long de l'année.

 

La Suisse et l'Espagne surveillent leurs eaux usées. Et nous ?

Conformément à la recommandation européenne en date du 17 mars 2021, l'Anses et Santé publique France sont censées reprendre la surveillance des eaux usées après l'arrêt du réseau Obepine. Mais l'étude préliminaire Sum'Eau comparant les différents protocoles disponibles, lancée depuis plus d'un an, n'a toujours abouti à aucune recommandation. Au point qu'un médecin de santé publique de l'ARS Ile-de-France apostrophe l'épidémiologiste Antoine Flahault qui plaide pour la reprise de cette surveillance, au prétexte que ça ne changera rien au niveau opérationnel.

 

Évidemment si on entérine qu'on a décidé de ne rien faire, de ne pas savoir ce qui se passe, de ne pas informer le public de la circulation virale, pas la peine même de faire semblant. Ce qui est intéressant avec la surveillance des eaux usées, outre son faible coût, c'est que ça permet de dépister très en amont le niveau de circulation virale, et les variants qui circulent, et c'est indépendant du narratif, et des comportements humains. Que les gens se testent ou pas, que les gens consultent ou pas, ils urinent, et s'ils sont infectés on retrouve le virus dans les prélèvements. Mais on se moque qu'ils soient infectés, en fait, «tant que ça ne submerge pas l'hôpital». Or, pour moi, la priorité c'est la santé des personnes. Et si on évite aux gens de tomber malade, cerise sur le gâteau on ne submergera pas l'hôpital.

 

Que penser de tous ces médecins qui, en janvier 2022, ont accompagné le narratif gouvernemental en expliquant qu'omicron était bénin et qu'il était illusoire de freiner sa diffusion ? Qu'une fois tous contaminés, nous serions immunisés...

On sait ce que ça a donné : 29 millions de contaminations en 2022, dont certaines personnes réinfectées plusieurs fois. Je ne sais pas comment ces gens font pour changer d'avis et suivre les éléments de langage qu'on leur refile. Moi je n'ai jamais changé d'avis sur ce virus, et sur les mesures pour le combattre. Mais certains, pour se justifier d'avoir laissé tomber toute prudence, rétorquent : «Mais le masque, la surveillance, on n'allait tout de même pas faire ça indéfiniment.» Je leur réponds : «Quand le sida est arrivé, on a recommandé le préservatif. On n'a pas baissé les bras au bout de deux ans en prétextant que c'était chiant et que le public en avait marre.» Et cette antienne sur la lassitude du public est bien commode. On refuse des actions collectives, on en appelle à la responsabilité individuelle sans donner aux gens des outils de décodage et des moyens de se protéger. Je ne suis pas du tout, contrairement à ce que me reprochent certains, partisan de l'obligation. Pas du tout. Mais quand je prends le train, quand je vais au cinéma, je choisis de mettre un masque. Je prends une décision personnelle, certes, mais en fonction d'éléments qu'on devrait fournir à tout le monde. Or, ne pas les fournir permet de ne rien faire, ni test ni surveillance, ni même de tenir ses promesses comme celle du candidat Macron d'investir massivement sur la qualité de l'air dans les écoles, les hôpitaux et les Ehpad. Alors, certes, ça coûte de l'argent, mais comme le stock de masques coûtait de l'argent. Et on a vu ce qui arrive quand on fait du court-termisme en se disant : le futur, on s'en fout. Il n'y a dans ce pays aucun raisonnement coût efficacité sur le long terme. Cette histoire des masques, on n'en sort pas, c'est vraiment le péché originel. Le gouvernement a menti sur le stock de masques, sur leur utilité. En juin 2020 il y avait eu une belle étude publiée dans le Lancet qui reprenait les données actualisées et qui montrait que, même si on n'avait pas d'études randomisées, on avait des indices concordants pour savoir que les masques étaient utiles pour limiter les contaminations. Le pouvoir politique aurait pu se saisir de cette occasion pour s'excuser, reconnaître avoir donné crédit à une position obsolète sur les modes de contamination et l'aérosolisation, et changer son fusil d'épaule. Mais ça allait contre le narratif politique qui reste «on a tout bien fait, on a toujours eu raison, même quand on avait tort». Et donc, même quand on a imposé les masques, on l'a fait sans expliquer aux gens comment ça fonctionnait, à quoi ça servait. Et quand, à l'approche de l'élection présidentielle, le pouvoir a décidé qu'on en avait assez fait pour le Covid et qu'il fallait passer à autre chose, on a flingué durablement cet outil de protection en présentant sa disparition comme une libération.

 

Que penser de l'arrivée des nouveaux vaccins et de la campagne vaccinale annoncée pour octobre conjointement avec la grippe ?

Une campagne vaccinale, c'est mettre en place la vaccination pour tout le monde y compris les gens les plus défavorisés, sur tout le territoire, pas juste clamer «le vaccin sera disponible en octobre». On le voit en Grande-Bretagne où le gouvernement annonce la semaine dernière avancer la campagne au 11 septembre. Mais, dans la réalité, les généralistes expliquent qu'au vu de leur charge de travail et des délais de commande, ils ne seront jamais prêts dans les temps. Et quand à ceux qui disent, encore une fois, que les gens en ont marre du vaccin... la grippe c'est tous les ans. Quand est-ce qu'on intègre que cette pandémie est un vrai changement de paradigme, que s'il faut se vacciner annuellement on le propose annuellement ? Au lieu de quoi, on minimise la maladie, on l'invisibilise, comme on refuse de voir le problème des Covid longs, ou de l'aggravation ou du déclenchement de certaines pathologies après un Covid. C'est d'autant plus complexe que le virus attaque une cible cellulaire présente dans de nombreux organes, avec des présentations cliniques très différentes. Et, soyons clair, on n'a aucune idée de qui peut faire un Covid long, donc parler de «personne vulnérable» n'a pas de sens. Il existe des personnes plus vulnérables par rapport aux formes sévères de Covid mais, pour le Covid long, on ne peut pas dire pour l'instant qui en serait exempté.

 

Que pourrait-on faire dès maintenant pour freiner la vague en cours ?

Il y a la question des lieux de soins. En Grande-Bretagne toujours, on estime que cet été 30 à 50% des hospitalisations pour Covid sont dues à des Covid nosocomiaux, contractés lors des soins. Or, quand on va dans un lieu de soin c'est qu'on est en situation de fragilité, on n'a pas le choix d'aller à l'hôpital, comme on n'a pas le choix d'aller à l'école. Ces lieux devraient être protégés, par la ventilation, par le port du masque.... Et ce qui me sidère, ce sont les médias. En plein mois d'août, voir fleurir la même sempiternelle question : «Est-ce que ça revient ?» Mais enfin le Covid n'est jamais parti ! Ça fait quatre ans que le Covid remet ça au mois d'août et que ça se dissémine à la rentrée, vous n'avez pas encore intégré ça ? Au lieu de se demander «est-ce qu'il est dangereux, le nouveau variant ?» on devrait inlassablement militer pour l'amélioration de la ventilation des lieux clos, la surveillance des eaux usées, et l'information sur le masque. Mais non, apparemment on n'a rien appris. On a compris avec la pandémie qu'en fait on se débrouillait mal pour lutter contre la grippe, contre la bronchiolite, mais au lieu d'en tirer les conséquences et de tirer notre protection vers le haut, on semble s'être résolu à faire aussi mal sur le Covid.