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De plus en plus d’Ehpad au bord de l’asphyxie financière, entre crise de confiance et hausse des coûts

Partout en France, des établissements accueillant des personnes âgées ne parviennent plus à boucler leur budget, et certains sont contraints de fermer, comme à Lanobre, dans le Cantal. Les maires déplorent le manque de soutien de l’Etat.

 

 Une infirmière et une patiente dans un Ehpad Korian, à Paris, en janvier 2021.

Une infirmière et une patiente dans un Ehpad Korian, à Paris, en janvier 2021. LUC NOBOUT/IP3

 

Des mirabelles et des courgettes du jardin : « On est preneur ! », s’exclame Pierre Di Crescenzo. En ce mois d’août, le directeur de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Beauzac (Haute-Loire) fait appel à la « solidarité des familles ». En retour, des kilos de fruits et de légumes lui sont offerts pour les quiches et les desserts de ses pensionnaires. Autant de dons qui allègent ses dépenses. Cuisiner avec des produits locaux lui vaut déjà 20 000 euros de surcoût en 2023, à cause de l’inflation. Soit 12 % de hausse pour son budget « repas ». « On servait aux résidents du filet de bœuf au moins une fois par mois, dit-il. Maintenant, à cause du prix, ce sera tous les deux mois. »

 

A l’image de son établissement, les 7 500 Ehpad de France subissent une crise économique qui menace la qualité d’accompagnement de leurs 600 000 résidents. Leurs recettes chutent. Le nombre de lits inoccupés atteint un niveau record : 20 000 places sont vacantes, soit 4 % du parc. Une désaffection qui découle de la perte de confiance des familles depuis les révélations sur les pratiques du groupe privé d’Ehpad Orpea – maltraitances, irrégularités financières, etc. –, en 2022, et la pandémie de Covid-19, responsable du décès de 29 300 résidents entre 2020 et 2021.

 

Leurs dépenses, elles, sont décuplées par l’envolée des coûts de l’énergie, des denrées alimentaires, des produits d’hygiène. Mais aussi par l’insuffisante compensation par l’Etat des fortes revalorisations salariales depuis deux ans – accords du Ségur de la santé de juillet 2020, prime « grand âge », hausse du smic et du point d’indice pour les fonctionnaires. Enfin, le recours à l’intérim, pour pallier les difficultés de recrutement, fait exploser les charges salariales.

 

« La pandémie de Covid a provoqué une vague d’absences professionnelles qui a précédé de peu les démissions », observe le sociologue Philippe Bataille, dans Faire avec l’âge (Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 240 pages, 12 euros). « Les Ehpad vivent une agonie silencieuse parce que les vieux, ça meurt sans faire de bruit », se désole Jean-Paul Laval, à la tête d’une fondation qui gère deux Ehpad en Haute-Loire.

 

Eponger les déficits

Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), le secteur public – 48 % des établissements en France – comptait, en décembre 2022, 85 % d’Ehpad en déficit. Deux fois plus qu’en 2019. Avec un découvert moyen de 146 000 euros. « Sans réformes structurelles rapides, nous craignons pour la pérennité des établissements de notre secteur », alerte Marc Bourquin, conseiller stratégie de la FHF.

 

« La survie à court terme de certains établissements est en jeu », s’alarme la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées. « La situation est pire qu’avant le scandale Orpea, renchérit Jean-François Vitoux, directeur général du groupe associatif Arpavie, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Les groupes privés lucratifs vivent moins bien. Les Ehpad au statut privé non commercial ou public – qui pratiquent des prix modérés – sont au bord d’une forme d’asphyxie progressive. »

 

Dans ce contexte, certains Ehpad ferment. A Lanobre (Cantal), l’établissement de 30 lits a mis la clé sous la porte en avril. Il n’avait plus ni directeur ni infirmière ni médecin coordonnateur. Des plaintes de familles (toilettes bâclées, manque de soins) étaient parvenues à l’agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, cotutelle de l’Ehpad avec le département. L’ARS a préféré prendre un arrêté de fermeture. « L’histoire de l’Ehpad de campagne de Lanobre restera celle d’une solution qu’on n’a pas voulu trouver », déplore le maire, Pascal Lorenzo (sans étiquette), qui alerte depuis deux ans sur le déficit qui s’élevait à 300 000 euros.

 

Comme celle de Lanobre, 700 maisons de retraite – 8 % des lits en France – sont gérées par un centre communal, ou intercommunal, d’action sociale (CCAS ou CIAS). Les municipalités doivent voter leurs budgets à l’équilibre. Mais les ressources des Ehpad dépendent des ARS et des conseils départementaux. Ces derniers fixent aussi le prix de journée pour les résidents. Dans la pratique, les CCAS sont de plus en plus nombreux à devoir voter des subventions pour éponger les déficits.

 

A Charensat, commune rurale du Puy-de-Dôme, le conseil municipal a dû voter en 2023 une avance de trésorerie de 150 000 euros pour payer – par le biais du CCAS – les factures de l’Ehpad. La note d’électricité a été multipliée « par sept ou huit » en un an, calcule le maire, François Blanchon (sans étiquette). Le gouvernement a instauré un « bouclier tarifaire » pour atténuer la hausse du prix de l’énergie dans les Ehpad. « Il a fonctionné en 2022. En revanche, nous n’avons rien obtenu de l’Etat en 2023 », déplore l’édile, qui doit combler les hausses de salaire du personnel « mal compensées par l’ARS malgré les promesses du gouvernement de les rembourser à l’euro près ».

 

Mesures sporadiques

Certains élus ont choisi de se rebeller. Dans les Côtes-d’Armor, le Finistère et le Morbihan, plus d’une soixantaine de maires présidents d’un CCAS gestionnaire d’un Ehpad ne règlent plus les factures d’énergie depuis juin. « On veut que les dotations de l’ARS et du département compensent la totalité des hausses. Sinon on ne votera pas le budget de l’établissement à la fin de l’année, prévient Jean-Louis Even (divers gauche), maire de La Roche-Jaudy (Côtes-d’Armor). L’Etat sera obligé de mettre les Ehpad sous tutelle. »

 

En Bretagne, 36 % des maisons de retraite dépendent d’un CCAS. L’ARS a promis de débloquer en urgence 4,8 millions d’euros. Les versements devaient commencer le 20 août pour 80 Ehpad en difficulté, dont certains sont gérés par des hôpitaux. Un « dépannage bienvenu », saluent les maires, mais des mesures sporadiques ne suffiront pas à sauver durablement les Ehpad, ajoutent-ils. Ils ont demandé à être reçus par Aurore Bergé, la nouvelle ministre des solidarités et des familles.

 

Les Ehpad de campagne ne sont pas les seuls « dans le rouge ». A Brest (Finistère), deux Ehpad de 108 lits au total, gérés par le CCAS, vont devoir cesser leur activité. Leur fermeture est programmée d’ici trois ans. « Nos financeurs, le département et l’agence régionale de santé ont refusé nos demandes de subventions. Et juridiquement, les règles européennes sur la concurrence interdisent à la ville de Brest de compenser le déficit des Ehpad » au-delà d’un certain seuil, expliquait en juin le maire socialiste François Cuillandre dans le quotidien Le Télégramme.

 

A La Rochelle, le déficit des quatre Ehpad – et de la résidence autonomie – gérés par le CCAS s’est élevé à plus de 880 537 euros en 2021. Un trou creusé, en grande partie, par le recours à l’intérim – pour pallier les difficultés de recrutement – qui a renchéri les charges salariales du CCAS de 500 000 euros entre 2021 et 2022.

Les Ehpad associatifs (24 % du secteur) sont aussi lourdement touchés. « La crise frappe notre secteur au moment où les exigences de qualité et de sécurité de la société n’ont jamais été aussi fortes envers les Ehpad », remarque Jean-François Vitoux.

 

« Vous nous maltraitez ! »

Si tous les directeurs d’Ehpad cherchent les parades pour que la crise financière n’affecte pas la vie quotidienne des résidents, ils restent, malgré le recours à l’intérim, impuissants à combler le manque d’aides-soignants et le turnover des équipes nuit à la qualité de leur accompagnement. Faute de personnel suffisant, l’Ehpad de Mimizan (Landes) a fermé huit lits cette année. Les effectifs ont été redéployés pour « concentrer tous nos efforts sur l’accompagnement des repas », explique Thierry Caule, vice-président du CCAS gestionnaire de l’Ehpad communal. « Malgré tout, faute de soignants, il arrive qu’on ne lève pas certains pensionnaires pendant vingt-quatre à quarante-huit heures, ou le week-end, confie-t-il. On fait des toilettes au lit donc pas complètes. »

 

En Haute-Loire, Jean-Paul Laval, se demande s’il ne va pas devoir fermer le centre d’activités naturelles tirées d’occupations utiles (Cantou), l’unité protégée qui accueille les personnes ayant des troubles psychiques, dans les deux Ehpad qu’il gère. Le Cantou nécessite davantage de personnels par résident et il en manque. « Si je le ferme, s’inquiète-t-il, les personnes avec des troubles cognitifs devront aller en hôpital psychiatrique. »

 

Guy Pennec, maire socialiste de Plourin-lès-Morlaix (Finistère) avait supprimé le financement de personnels au chevet des résidents et un poste d’animateur en 2020 dans l’Ehpad communal, afin de réduire le déficit. Résultat : « On n’arrivait plus à doucher les gens une fois par semaine et les résidents s’ennuyaient dans leur fauteuil. » L’édile a préféré rétablir les animations et embaucher des agents… « Vous n’avez pas honte, monsieur le maire ? Une douche tous les quinze jours… Mais vous nous maltraitez ! », l’avait apostrophé Rolande P., 101 ans, une pensionnaire de l’établissement.

 

Lors du remaniement du gouvernement, le 20 juillet, Jean-Christophe Combe, ministre sortant des solidarités, avait confié son impuissance : « Je n’ai pas réussi à convaincre de la nécessité d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort dans l’adaptation de la société au vieillissement. » La proposition de loi « Bien vieillir » – dont l’examen prévu en juillet a été reporté – est « une priorité » de la nouvelle ministre Aurore Bergé. « Je souhaite que ce texte soit adopté par l’Assemblée nationale avant la fin de l’année », s’est-elle engagée dans Ouest-France, le 26 juillet. La proposition de loi du groupe Renaissance n’apporte toutefois pas de mesures structurelles pour prévenir une dégradation du fonctionnement des Ehpad. La crise qui les frappe met au défi Emmanuel Macron de ne plus tergiverser sur une réforme de leurs financements.

 

En Haute-Loire, Jean-Paul Laval, se demande s’il ne va pas devoir fermer le centre d’activités naturelles tirées d’occupations utiles (Cantou), l’unité protégée qui accueille les personnes ayant des troubles psychiques, dans les deux Ehpad qu’il gère. Le Cantou nécessite davantage de personnels par résident et il en manque. « Si je le ferme, s’inquiète-t-il, les personnes avec des troubles cognitifs devront aller en hôpital psychiatrique. »

Guy Pennec, maire socialiste de Plourin-lès-Morlaix (Finistère) avait supprimé le financement de personnels au chevet des résidents et un poste d’animateur en 2020 dans l’Ehpad communal, afin de réduire le déficit. Résultat : « On n’arrivait plus à doucher les gens une fois par semaine et les résidents s’ennuyaient dans leur fauteuil. » L’édile a préféré rétablir les animations et embaucher des agents… « Vous n’avez pas honte, monsieur le maire ? Une douche tous les quinze jours… Mais vous nous maltraitez ! », l’avait apostrophé Rolande P., 101 ans, une pensionnaire de l’établissement.

 

Lors du remaniement du gouvernement, le 20 juillet, Jean-Christophe Combe, ministre sortant des solidarités, avait confié son impuissance : « Je n’ai pas réussi à convaincre de la nécessité d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort dans l’adaptation de la société au vieillissement. » La proposition de loi « Bien vieillir » – dont l’examen prévu en juillet a été reporté – est « une priorité » de la nouvelle ministre Aurore Bergé. « Je souhaite que ce texte soit adopté par l’Assemblée nationale avant la fin de l’année », s’est-elle engagée dans Ouest-France, le 26 juillet. La proposition de loi du groupe Renaissance n’apporte toutefois pas de mesures structurelles pour prévenir une dégradation du fonctionnement des Ehpad. La crise qui les frappe met au défi Emmanuel Macron de ne plus tergiverser sur une réforme de leurs financements.

 

Béatrice Jérôme