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Avec la fin de la trêve hivernale, les squats sous la menace des expulsions

Alors qu’une proposition de loi « antisquat » a été votée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 4 avril, les habitants et les associations s’inquiètent d’un durcissement concernant les mesures d’évacuation des lieux occupés illégalement.

Par Minh Dréan

Publié aujourd’hui à 06h00, modifié à 08h49

 

 Manifestation contre la loi Kasbarian-Bergé et pour le droit au logement pour tous, à Paris, le 1er avril 2023.

Manifestation contre la loi Kasbarian-Bergé et pour le droit au logement pour tous, à Paris, le 1er avril 2023. CLAIRE SERIE / HANS LUCAS VIA AFP

Jusqu’au dernier moment, elles ont retenu leur souffle. « On a eu un délai de huit mois », s’exclame Soumahoro Alimata, 26 ans, très émue, qui réside dans un squat dans le bas Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le lieu est aujourd’hui occupé par une centaine de femmes, dont des femmes enceintes, et leurs enfants. En arrivant en France, ces femmes, pour la plupart sans papiers, ont « toutes connu la rue, rapporte Soumahoro Alimata. On s’est rencontrées sous les tentes de l’Hôtel de ville de Paris de l’association Utopia 56 et puis on est venues à Montreuil ».

 

 

Avec la fin de la trêve hivernale, le 31 mars, elles craignaient de se retrouver à la rue. Le 20 avril, le juge a tranché en leur faveur : elles pourront rester jusqu’en décembre. Si, à Montreuil, ces femmes ont obtenu un petit « répit », plusieurs squats ont été évacués, comme le Malaqueen – un squat et centre social autogéré implanté à Malakoff (Hauts-de-Seine) depuis 2021. « Les squats ne sont pas soumis à la trêve, mais il y a normalement une forme de tolérance durant l’hiver », explique Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, qui rappelle que le contexte de la proposition de loi portée par les députés Renaissance Guillaume Kasbarian (Eure-et-Loir) et Aurore Bergé (Yvelines) contre l’occupation illicite des logements contribue à détériorer la situation.

 

Ce texte, déposé par les députés de la majorité et adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 4 avril, est largement décrié, que ce soit par la Défenseure des droits, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou encore par les rapporteurs spéciaux de l’ONU. Il prévoit de sanctionner le squat du domicile d’autrui de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, soit des peines trois fois plus lourdes qu’actuellement. Squatter des bâtiments vides ou désaffectés, y compris ceux destinés à un usage commercial, agricole ou professionnel, exposerait à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, alors que cela ne constitue pas pour l’instant un délit.

 

« Vrai manque de l’Etat »

« Cette proposition de loi criminalise le squat et présente les squatteurs comme des délinquants, s’inquiète Manuel Domergue. Les expulsions de squats sont moins médiatisées et moins encadrées que les expulsions locatives, mais elles existent et sont parfois violentes avec des remises à la rue sèches sans proposition d’hébergement, ou alors que du très temporaire. » L’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels (squats, bidonvilles, tentes) a recensé, entre 2021 et 2022, 2 078 expulsions (dont 151 squats), contre 1 330 entre 2020 et 2021. « Une légère hausse pour les squats », selon Célia Mougel qui coordonne l’observatoire. Elle insiste sur « la difficulté à avoir des chiffres sur les squats puisqu’un grand nombre d’expulsions passent sous les radars ».

 

 

L’inquiétude est partagée par les élus de la ville de Malakoff, qui ont donc assisté, impuissants, à l’évacuation du Malaqueen, mardi 18 avril. « La loi n’est qu’une illustration de plus du durcissement qui s’opère autour des squats », commente Dominique Trichet-Allaire, maire adjointe et conseillère départementale écologiste des Hauts-de-Seine. « On est venus vérifier que tout se déroulait dans le calme », rapporte Rodéric Aarsse, également élu écologiste et adjoint à la maire de Malakoff. « J’avais déjà prévenu le préfet sur l’intérêt social de ce lieu », explique Mme Trichet-Allaire, qui déplore : « Aucune solution de relogement ne leur a été proposée, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont dû se débrouiller, il y a vrai manque de l’Etat. »

 

La préfecture indique pour sa part avoir attendu la fin de la trêve hivernale pour appliquer la loi et affirme avoir proposé des hébergements pour deux ménages (dont une famille avec un enfant) qui ont été refusés.

 

Les habitants du Malaqueen avaient reçu un premier ordre d’expulsion le 22 août 2022 mais avaient obtenu un délai. Le 1er avril, le second ordre d’expulsabilité était tombé : pour les occupants, ce n’était plus qu’une question de jours. Depuis cette date, les habitants s’étaient activés à vider les lieux, et, si quelques chambres restaient occupées, une partie d’entre eux avaient déjà quitté les lieux. « Ils ont trouvé refuge dans d’autres squats ou chez des amis, que du temporaire », regrette Maya (les personnes citées par leur prénom ont requis l’anonymat), l’une des soutiens du squat.

 

« On veut bien partir, mais pour aller où ? »

Si le Malaqueen était un lieu de vie et d’activités – céramique, couture, organisation de concerts –, c’était « avant tout un lieu d’hébergement pour une quarantaine de personnes précaires », précise Vanessa Nevascas, qui y résidait depuis quatre mois. « Je savais déjà que ce serait temporaire, mais je n’avais pas le choix », confie la quadragénaire. Après une séparation avec un ex-conjoint violent, la Franco-Espagnole a connu pendant un temps les hébergements d’urgence. « On est tous en galère, sinon on ne serait pas ici », souffle-t-elle.

« Il faut rappeler que le squat est, faute de mieux, une solution pour des milliers de personnes, car le droit au logement et à l’hébergement n’est pas respecté, rappelle Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre. Si, lors d’une expulsion, rien n’oblige l’Etat à proposer des solutions, l’hébergement d’urgence est censé être un droit inconditionnel, rappelle-t-il. Mais, aujourd’hui, les demandes de logements sociaux explosent et l’hébergement d’urgence est saturé. Chaque soir, ce sont 1 500 mineurs qui sont refusés, alors les gens n’essaient même plus d’y avoir une place. Ces personnes squattent pour sauver leur vie, et c’est absurde de croire que les gens ne vont plus chercher à s’abriter. »

 

« Tout ce qu’on veut, c’est un toit sur la tête », abonde Faris Al Khali Youssouf, réfugié tchadien, habitant du squat Unibéton. Cet immense lieu, qui accueille près de 450 personnes depuis 2020, dont une quinzaine d’enfants, est lui aussi menacé d’expulsion. Situé quai du Châtelier, à L’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le site se trouve juste à côté du village olympique qui accueillera les athlètes lors des Jeux olympiques (JO) et paralympiques de 2024.

 

« Forcément, ça ne donne pas une bonne image pour les touristes qui vont venir, peste Faris Al Khali Youssouf, qui s’interroge : Nous, on veut bien partir, mais pour aller où ? Qu’est-ce qu’on nous propose ? Les JO, c’est bien, mais pas au détriment des vies humaines. » Après une manifestation sur le parvis de préfecture de Seine-Saint-Denis, le 14 avril, des négociations ont été ouvertes, rapporte leur avocat, Matteo Bonaglia. « On leur a proposé de les diriger vers des centres d’accueil et d’examen des situations en Ile-de-France, mais aussi, pour une grande partie, en région, ce qui n’est pas adapté pour des personnes qui travaillent à Paris ou qui sont en cours d’obtention de papiers, détaille l’avocat, qui dit attendre un accord écrit et des précisions sur les conditions d’hébergement. La préfecture a bien insisté sur le fait qu’il ne fallait pas que la situation s’enlise, auquel cas elle procéderait à une remise à la rue. »

Minh Dréan