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Uniforme à l’école : au collège Chape, les élèves suspendent l’expérience

Le Monde (site web)
societe, vendredi 16 février 2024 - 08:15 UTC +0100 933 mots

Uniforme à l’école : au collège Chape, les élèves suspendent l’expérience, quils considèrent comme « un retour en arrière »

Gilles Rof

 

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Les deux tiers des collégiens ont voté contre le projet. Le rectorat de l’académie d’Aix-Marseille assure qu’un travail de concertation sera mené pour dépasser les réticences.

 

Au collège Chape, établissement sans histoires situé en plein centre de Marseille (4e), l’expérience de l’uniforme a été stoppée avant même de voir le jour. Un simple sondage sur la plate-forme informatique Pronote – qui met en relation communauté pédagogique, élèves et parents – a entraîné, le 25 janvier 2023, la « suspension » d’un projet poussé depuis plusieurs mois par la principale de l’établissement.

 

Appelés à se prononcer sur l’opportunité d’une expérience de « tenue scolaire commune », selon la terminologie officielle, 75 % des près de 400 élèves ont participé à la consultation en ligne. Et 66 % ont refusé de se voir imposer une façon de s’habiller. Un vote qui, pour l’administration, n’enterre pas l’expérimentation. « Un travail sera mené avec les élèves afin que le projet grandisse dans l’esprit de chacun », se projette le rectorat de l’académie d’Aix-Marseille qui pilote, parallèlement, sept autres dossiers.

 

Sweat-shirt à capuche barré d’un « Marseille » violet, Raphaël, 13 ans, en 4e, explique devant les imposantes grilles de l’établissement qu’il a voté non. Pour lui, porter un uniforme était « faire un pas en arrière ». « C’est comme revenir à l’époque de nos grands-parents… On a évolué depuis, non ? », renchérit Anouk, en dernière année de collège. « Les vêtements, c’est important pour signifier qui on est. Pourquoi devrait-on s’habiller tous pareil ? », interroge Mia, 14 ans, en 3e elle aussi.

 

« Je trouvais ça amusant »

A Chape, l’argument d’un uniforme qui rendrait le collège plus égalitaire fait sourire les élèves. « Il faudrait aussi interdire les TN [un modèle de baskets] à 250 euros et les sacs de marque alors… », s’amuse une 3e, qui veut rester anonyme.

 

L’idée d’expérimenter une tenue commune a quand même séduit un tiers des votants. Vincent, en 3e, qui, comme la plupart des garçons, porte un sweat de marque, y a vu l’occasion « que certaines personnes arrêtent de juger la tenue des autres ». « Je trouvais ça amusant d’être dans le premier collège de Marseille à essayer…, imagine une élève de 3e, qui préfère taire son prénom. On nous l’a vendu comme une occasion de porter nos couleurs. Un peu comme aux Etats-Unis ou dans Harry Potter. » Costa, 12 ans, en 5e, a voulu se donner la possibilité d’essayer : « Parce qu’on nous a expliqué qu’on ne serait pas obligé de porter l’uniforme tout le temps et que pour entrer au collège, il pourrait remplacer le carnet. »

 

Côté parents, l’épisode « uniforme » laisse des traces. S’ils en parlent facilement, rares sont ceux qui veulent voir leur nom cité pour éviter de froisser une administration sensible sur le sujet. « On fait voter les élèves, très bien… Mais qu’avaient-ils comme éléments pour se prononcer ? Quand ils voient les uniformes dans les collèges américains, cela peut leur paraître hypercool », note le père d’une élève de 3e. Beaucoup gardent l’impression d’avoir été mis devant le fait accompli, sans connaître les détails de l’opération. Seule l’association des parents d’élèves les a sondés. Pour un résultat similaire de 66 % de refus sur 135 réponses.

 

« Une mesure démagogique »

A Chape, parents et enseignants s’accordent à dire que leur collège était un mauvais choix pour l’expérience. Avec son indice de position sociale élevé (133,9 alors que la moyenne française se situe à 101), l’établissement reste le collège public le plus favorisé de Marseille. Même s’il compte bon nombre de boursiers. « Ici, on n’a aucun souci sur l’habillement, ni sur le plan social ni sur le plan communautaire », résume Nicolas Jean, professeur représentant du Syndicat national des enseignements de second degré et élu au conseil d’administration.

 

« C’est un collège assez bobo, où les parents sont investis dans le suivi de la scolarité », constate Francesca Sirna, mère de deux élèves en 3e et 4e. Pour cette sociologue au Centre national de la recherche scientifique, comme pour bon nombre de parents interrogés, les moyens consacrés à l’expérience seraient « mieux utilisés » dans un renouvellement du matériel pédagogique, une aide aux voyages scolaires pour les familles moins favorisées ou simplement dans la rémunération des professeurs… « C’est une mesure démagogique pour éviter d’aborder les vrais problèmes de l’éducation nationale », juge-t-elle.

 

Né en Allemagne de l’Est, le père d’une élève de 3e, a, lui, ressenti la proposition de manière très personnelle : « J’ai grandi dans une dictature où, si vous ne participiez pas aux rassemblements de jeunesse en portant un foulard rouge ou bleu, vous en subissiez les conséquences dans votre parcours professionnel ou scolaire. Ce n’est évidemment pas le même contexte, mais, à 50 ans, j’étais convaincu que je n’allais plus jamais être confronté à ce genre de questionnements. »

 

A Chape, de nombreux parents d’élèves voient dans la volonté d’imposer l’uniforme un positionnement idéologique. Et ne manquent pas de relever que la principale du collège – qui a répondu à l’appel en faveur de l’uniforme de la présidente divers droite du conseil départemental, Martine Vassal – était candidate aux municipales de 2020 sur les listes du sénateur Les Républicains Bruno Gilles. Contactée par Le Monde, la cheffe d’établissement n’a pas souhaité commenter et renvoie vers les services du rectorat.