La reconnaissance du Covid long par le Covars, une heureuse surprise face au déni du gouvernement
Christian Lehmann
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société longtemps traversée par le coronavirus. Aujourd'hui, il revient sur le dernier avis du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires, qui semble enfin, contrairement à l'exécutif, sortir du déni.
Rééducation cardiaque d'une patiente atteinte de Covid long à l'Institut médical sport santé du Stade français. (Bruno Coutier/AFP)
La publication le 7 novembre de l'avis du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires sur le syndrome post-Covid et les enjeux médicaux, sociaux et économiques de sa prise en charge a été saluée par les associations de patients atteints de Covid long, habituées jusqu'ici à confronter le déni bien français de cette pathologie. Celle-ci est en effet réduite par nombre de médecins à un «syndrome de détresse corporelle» touchant essentiellement des femmes «qui ont très peu de risques de faire un Covid grave. Quand on étudie leur profil, ce sont souvent des personnalités anxieuses, perfectionnistes, avec une tendance au catastrophisme, avec une hyperfocalisation sur des symptômes fluctuants, qui disparaissent à la distraction», assure le professeur Eric Caumes dans une interview à Doctissimo. Cette hystérisation du Covid long a longtemps servi le gouvernement qui, après avoir considéré l'arrivée d'omicron en janvier 2022 comme une chance pour l'ensemble de la population d'acquérir une immunité hybride, a estimé à l'approche d'une élection présidentielle que la pandémie était derrière nous.
Le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) - dont on peut se demander légitimement ce qu'il a anticipé jusqu'ici en ne prenant jamais position sur la prévention par le port du masque, l'amélioration de la qualité de l'air en lieu clos ou tous sujets éminemment politiques qui semblaient dépasser sa présidente - n'avait pas été en reste, pondant en octobre 2022, alors que Santé publique France estimait la population de Covid long en France à 2 millions de personnes : «Le débat scientifique existe aussi quant à l'imputabilité des symptômes vis-à-vis de Sars-CoV-2 ou d'un autre agent déclencheur. Des travaux de recherche sur le Covid long devraient permettre de mieux approcher la complexité des syndromes post-infectieux en général, améliorer la prise en charge de ces troubles dits «fonctionnels» mal connus et peu étudiés.»
Un rapport qui devrait créer un électrochoc
L'avis du 7 novembre signe donc une rupture radicale avec cette position de déni. Mené par l'épidémiologiste Xavier Lescure et Yvanie Caille, fondatrice de Renaloo, une association de patients atteints de maladies rénales, il dresse un état des lieux de la prise en charge actuelle du Covid long en France et émet des recommandations pour son amélioration. Il classe le Covid long dans la catégorie méconnue du grand public des syndromes post-infectieux, réalité organique encore mal comprise consistant en séquelles persistantes chez des personnes ayant été infectées par un virus (chikungunya, Sars-CoV-1, virus du Nil occidental...). Les mécanismes entraînant ces séquelles sont probablement multifactoriels et restent mal connus : s'agit-il de la persistance à long terme du virus dans certains organes, d'une inflammation chronique, d'une dérégulation du système immunitaire, d'une atteinte du système nerveux central, d'une atteinte des microvaisseaux, d'un dérèglement métabolique, ou d'une combinaison de ces facteurs ?
Les auteurs rappellent qu'à la suite de la pandémie de «grippe russe» en 1890, dont on sait aujourd'hui a posteriori qu'elle n'était pas due à un virus grippal mais à un coronavirus, la presse anglaise titrait sur «une nation de convalescents incapables de retourner au travail».
La reconnaissance de la réalité du Covid long, on le suppute, va donc complètement à l'encontre du narratif d'un gouvernement dont le ministre de la Santé semble incapable de prononcer le mot Covid en parlant de la triple épidémie de l'hiver dernier, et fustige le coût insupportable des indemnités journalières pour les comptes sociaux.
Si le rapport du Covars constitue donc une divine surprise, il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Sur le plan médical, en rappelant qu'il n'existe pas à ce jour de traitement médicamenteux, que la prise en charge reste encore très lacunaire selon les territoires... et selon la capacité de certains médecins à accepter l'existence d'une maladie qu'ils ne maîtrisent pas. Et dont certains préfèrent donc, jusqu'au plus haut niveau, nier le caractère organique. Sur le plan politique aussi, dans la mesure où, pour qui lit attentivement le rapport, le Covars, ou au moins certains de ses membres les plus actifs, se sont autosaisis de cette question que le gouvernement glisse sous le tapis.
En préambule, les auteurs notent que «cet avis rentre dans le cadre des réponses différées du Covars à sa saisine sur le Covid-19» (par François Braun en 2022). Est même reproduite cette lettre de mission demandant l'avis du Covars sur «une normalisation de la gestion de la maladie, comme ont commencé à le faire de nombreux pays voisins». Aucune référence dans cette saisine n'était faite au Covid long, sujet que le gouvernement a toujours considéré quantité négligeable. Et le Covars était clairement aiguillé vers une réponse minimaliste, ce qui a été le cas jusqu'à présent. On saura donc gré au groupe de travail qui a rédigé ce rapport détaillé de 47 pages, en auditionnant un très grand nombre de scientifiques, de chercheurs, d'acteurs de terrain, de son courage pour mettre sur le tapis ce qui a été négligé pendant trop longtemps, et devrait, dans un pays ayant un minimum de culture de santé publique, créer un électrochoc.
«Pour éviter le Covid long, le plus efficace... est d'éviter le Covid»
Dans le même temps, on pourra se désoler qu'une fois encore il persiste un aveuglement incompréhensible sur la possible gravité de la situation. L'avis du Covars entérine le fait que nous serions dans le cadre «de la gestion de l'après-Covid», comme si la pandémie était terminée, et qu'il fallait simplement, ayant passé la phase aiguë, prendre en charge un pool fini de patients atteints de Covid long, comme le note avec beaucoup de sagacité le docteur Michael Rochoy. Ce généraliste est poursuivi par la vindicte de l'ordre des médecins, car avoir consulté le statut vaccinal du président de la République et averti l’Élysée qu'un bug rendait ceci possible semble plus grave aux mandarins que le fait d'avoir colporté dans tous les médias des insanités criminelles sur l'hydroxychloroquine et le vaccin. Comme le dit Michael Rochoy : «C'est un avis important sur le Covid long, mais qui passe à côté d'une idée essentielle : pour éviter le Covid long, le plus efficace... est d'éviter le Covid.»
Dans ce cadre, l'absence de mention du masque, ou de l'amélioration de la qualité de l'air en lieu clos promise par ce même président de la République le temps d'une élection, pose un sérieux problème. D'autant que, même si le Covid long semble plus rare depuis la vaccination, il subsiste évidemment. Le Covars note d'ailleurs clairement que «le syndrome post-Covid [semble] davantage répandu chez les personnes ayant contracté plusieurs infections que chez celles n'ayant été malades qu'une seule fois». Autrement dit, en entérinant la fable d'une ère post-Covid dans un pays qui a cessé de dépister, de tester et de traiter cette maladie, en laissant la population s'infecter et se réinfecter plusieurs fois (30 millions de contaminations estimées en 2022), nous laissons filer un virus qui, de variant en variant, peut provoquer au-delà des épisodes aigus graves, heureusement plus rares, des syndromes de Covid long. Et, c'est un autre sujet, déclencher des pathologies latentes comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires.
Nier la persistance du virus ne le fera pas disparaître
Cet avis a causé la colère de nombreux membres de l'école française de la psychologisation du Covid, qui ont bombardé les membres du Covars et le ministère de mails incendiaires devant ce qui représente une sévère remise en cause de leur position. Une orientation unanimement considérée à l'international comme une spécificité française... On ne sait pas, par contre, ce qu'en ont pensé les éminents membres de la Société française de pédiatrie, qui n'ont cessé de servir de caution au je-m'en-foutisme de Jean-Michel Blanquer, quand le Covars pointe la sous-déclaration de la prévalence du Covid long chez les enfants et les adolescents et note en bas de page, coup de pied de l'âne, que «la prévalence plus élevée chez les femmes s'explique en partie par le fait qu'elles sont proportionnellement plus nombreuses à avoir contracté le Covid-19, en raison notamment de la transmission par les enfants». Transmission que la SFP comme le ministère de l’Éducation nationale ont longuement niée, au détriment des enfants, de leurs parents, et des enseignants.
L'avis du Covars est dense, et devrait inciter Emmanuel Macron et Aurélien Rousseau à l'introspection. Continuer à nier la persistance du Covid ne le fera pas disparaître. De manière assez glaçante d'ailleurs, le Covars note sans s'y arrêter dès les premières lignes de son avant-propos : «L'excédent de mortalité globale n'a pas diminué depuis 2020 : +7,8 % en 2020, + 6,9 % en 2021, et + 8,7 % en 2022 ; et doit être analysé avec précaution en intégrant l'impact des reports de soins, la baisse des dépistages, et aussi potentiellement l'impact de l'infection aiguë de Sars-CoV-2 sur la genèse et l'aggravation des comorbidités classique, métabolique et vasculaire notamment.» Le Covid tue, et nous regardons ailleurs.