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Anticor craint de ne plus pouvoir aller en justice

Anticor craint de ne plus pouvoir aller en justice

Le tribunal administratif de Paris examinait ce lundi une demande de retrait de l’agrément d’Anticor déposée par deux de ses anciens membres. L’association dérange surtout de puissants intérêts.

Michel Deléan

12 juin 2023 à 16h06

 

 

On ne se fait pas que des amis en luttant contre la délinquance en col blanc. Anticor le vérifie depuis des années à ses dépens, en étant accusée de tous les maux par des personnalités mises en cause dans des affaires politico-financières, ainsi que par leurs avocats et leurs communicants. En vingt ans d’existence, l’association anticorruption a aussi connu quelques crises internes, liées à des questions de gouvernance, de querelles de personnes et d’ambitions contrariées. La convergence des esprits chagrins pouvant, parfois, produire des résultats surprenants.

 

Ce lundi 12 juin au matin, Anticor est ainsi contrainte de venir se défendre au tribunal administratif de Paris. Deux retraités, anciens membres dissidents de l’association, demandent l’annulation de l’agrément qui, depuis 2015, permet à Anticor de porter plainte et de se constituer partie civile dans les affaires d’atteinte à la probité. L’association, qui a contourné l’inertie des parquets et relancé plusieurs affaires d’État, d’Alexis Kohler à Richard Ferrand par exemple, craint pour les procédures en cours et à venir, si jamais cet agrément venait à être annulé. Pour l’occasion, les deux retraités qui l’attaquent se sont offert les services du célèbre Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d’État, énarque, ancien conseiller d’État, et ex-président de la Ligue de football professionnel (LFP).

 

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Lors de la cérémonie de remise des prix de l'association Anticor à Paris en 2018. © Photo Simon Lambert / Haytham / REA

En termes techniques, le rapporteur public du tribunal administratif prend fait et cause pour les deux requérants. Son argument principal : « Le caractère désintéressé et indépendant » d’Anticor, condition nécessaire pour recevoir son agrément, est critiqué pour un « manque de transparence » sur ses ressources, dans le décret pris le 2 avril 2021 par le premier ministre pour renouveler cet agrément (le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, en situation de conflit d’intérêts, avait dû se déporter au profit de Jean Castex).

 

Dans sa courte plaidoirie, Frédéric Thiriez estime, lui aussi, qu’Anticor ne « répond pas aux conditions légales » lui permettant de recevoir l’agrément du gouvernement. Dans sa requête écrite, dont Mediapart a pris connaissance, MThiriez s’appuie sur une série d’articles du JDD, de Causeur et du Point notamment, relayant des critiques tous azimuts portées ces dernières années contre l’association. L’« engagement politique des membres du réseau d’Anticor », ses liens avec la presse (dont le site Blast), les dons financiers versés de 2018 à 2020 par l’entrepreneur Hervé Vinciguerra (un temps proche d’Arnaud Montebourg), sont successivement exposés.

 

Conclusion de Frédéric Thiriez : « Alors que l’instruction de la demande montrait que les conditions de transparence des ressources, d’information et de participation effective des adhérents de l’association Anticor, pourtant nécessaires au renouvellement de l’agrément, manquaient à l’évidence, le premier ministre a pourtant décidé de l’accorder ». « Une erreur de droit flagrante », assène l’avocat dans sa plaidoirie.

 

L’auteur et avocat Juan Branco, qui s’est invité récemment en son propre nom dans la procédure, plaide lui aussi l’annulation de l’agrément, sans que l’on comprenne bien quel grief précis il a contre Anticor.

Vincent Brengarth, l’un des avocats de l’association anticorruption, prend à son tour la parole. « Anticor remplit l’ensemble des conditions requises pour avoir son agrément. Il n’y a aucune sélectivité dans le choix de ses combats », plaide-t-il devant de nombreux membres et soutiens de l’association venus pour l’occasion au tribunal administratif.

 

Alors que « l’anonymat des donateurs doit être protégé » selon la Cnil, Anticor a dû répondre à une liste de questions très serrées de Matignon pour obtenir tardivement le renouvellement de son agrément. « C’est Anticor elle-même qui améliore ses conditions de transparence, et ça se retourne contre elle ! », souligne l’avocat.

 

« On cherche à instrumentaliser votre juridiction », poursuit MBrengarth en s’adressant aux juges administratifs, impassibles. Il évoque une « convergence d’intérêts tacite entre tous ceux qui ont pu souffrir de l’action de l’association », puissants et opposants réunis.

 

« Ce n’est pas en écrivant une lettre pour dénoncer Anticor au garde des Sceaux que l’on devient lanceur d’alerte, surtout quand le garde des Sceaux lui-même est en situation de conflit d’intérêts et obligé de se déporter ! », lance l’avocat à l’endroit d’un des deux plaignants. Alors qu’Éric Dupond-Moretti a été renvoyé devant la Cour de justice de la République pour « prises illégales d’intérêts », après avoir profité de ses fonctions pour régler des comptes personnels avec des magistrats anticorruption, et que la lutte contre la délinquance en col blanc n’est pas une priorité gouvernementale, il serait pour le moins curieux qu’Anticor soit privée de son droit d’aiguillonner la justice au nom des citoyen·nes pour un motif purement administratif.

 

L’association en vient même à se demander si le décret d’avril 2021 n’a pas été rédigé à dessein de façon bancale, pour ouvrir la voie à une future contestation.

 

Le tribunal administratif a mis sa décision en délibéré au 23 juin. En cas d’annulation, Anticor peut faire appel, et aussi déposer une nouvelle demande d’agrément. Mais d’ici là, elle risquerait de ne plus pouvoir porter plainte, ni de se constituer partie civile, ni même de participer aux procès ou bien demander des dommages-intérêts. Des personnes mises en examen pourraient également contester la constitution de partie civile d’Anticor, pour fragiliser l’accusation dans de nombreux dossiers.

 

Le parcours du combattant continue.