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Mondial au Qatar, le sport toujours aussi insoutenable

Le 19 Décembre 2022 7 min

A l'image de la Coupe du monde de football et des Jeux olympiques d’hiver, l'impact écologique des grandes compétitions internationales ne pourra pas être réduit sans révolutionner leur modèle.

La neige artificielle d’un tremplin de ski sur fond de complexe sidérurgique. Des stades climatisés en plein désert. D’une image à l’autre, de janvier à décembre, de Pékin à Doha, commencée par les Jeux olympiques d’hiver et s’achevant par la Coupe du monde de football, l’année 2022 a été celle des aberrations écologiques.

Entre ces deux moments, et plus près de nous, d’autres images : les routes du Tour de France arrosées en juillet pour éviter que l’asphalte ne fonde, les camions acheminant de la neige artificielle au Grand-Bornand (Haute-Savoie) afin d’y assurer la tenue du grand prix de biathlon, mi-décembre.

Cette rétrospective 2022 est d’autant plus choquante que l’année a été, sur le plan météorologique, la plus chaude jamais enregistrée en France. Les préoccupations écologiques grimpant en même temps que les degrés, le sport spectacle n’échappe plus aux considérations écolos. Hier, les grands événements sportifs (GES) étaient surtout critiqués pour leur coût économique exorbitant. Désormais, les condamnations se doublent d’une dimension écologique.

« Les instances sportives et les pays organisateurs regardent de très près le niveau d’acceptabilité – ou d’inacceptabilité – de ces événements qui consomment des ressources sous tension, polluent et émettent des gaz à effet de serre au moment où les conséquences du changement climatique deviennent concrètes », estime Maël Besson, ancien responsable du développement durable au ministère des Sports.

La révolution verte est cependant encore très loin. En pleine polémique sur le Mondial qatari, les Jeux asiatiques d’hiver 2029 ont été attribués à l’Arabie saoudite, qui les accueillera dans une ville tellement futuriste qu’elle n’existe pas encore, dans une région qui voit rarement la couleur de la neige naturelle et qui est dépourvue de ressources en eau.

Croissance à tout prix

Plus loin, le Qatar pourrait briguer les JO 2036. La prochaine Coupe du monde passera de 32 à 48 équipes. La co-organisation par plusieurs pays s’impose de plus en plus : elle a l’avantage de limiter les dépenses d’infrastructures, mais elle étire les distances parcourues par les équipes et les supporters. L’édition 2026 du Mondial se dispersera entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. L’Arabie saoudite pourrait s’aligner pour 2030 avec l’Egypte et… la Grèce, tandis que l’Espagne et le Portugal misent sur un ticket commun avec… l’Ukraine.

Malgré la crise écologique, les pouvoirs sportifs internationaux ne renoncent pas à leur quête de croissance. La Fifa (l’organisatrice de la Coupe du monde de football) et le CIO (Comité international olympique) arguent du développement du sport pour conquérir de nouvelles régions du monde et de nouveaux marchés. Car plus une compétition accueille de participants, plus elle génère de revenus de billetterie, de marketing et de droits de diffusion.

« Ces événements restent extrêmement porteurs de visibilité et d’audience. Les affaires sont bonnes pour tout le monde et la pression pas assez forte pour provoquer une révolution », avance Alain Mercier, rédacteur en chef du site FrancsJeux.

Des Jeux plus sobres

Il est, certes, possible de limiter l’un des deux principaux postes de coût environnemental, la construction des équipements, en privilégiant ceux qui existent déjà, ou en s’assurant de leur utilité postérieure. Les grandes organisations sportives valorisent désormais la notion d’« héritage » afin d’éviter les « éléphants blancs »1.

« L’opposition de plus en plus forte des populations lors de consultations dans des villes qui envisageaient des candidatures aux JO a fait évoluer le CIO vers une baisse du dimensionnement des équipements sportifs requis. Cela a permis à Paris 2024 d’imaginer des Jeux plus sobres sur le plan des constructions », illustre Maël Besson.

« La dimension des Jeux n’augmente plus, mais elle ne se réduit pas non plus », pondère Alain Mercier. « Le CIO arrête le gigantisme pour réduire les coûts économiques, pas pour des raisons écologiques. Les Jeux n’ont pas l’image d’un événement qui détruit la planète. »

Contraint par la raréfaction des sites enneigés et des villes candidates, le CIO vient de reporter d’un an l’attribution des JO d’hiver 2030, et envisage d’introduire des critères climatiques. L’hôte devrait ainsi avoir enregistré « des températures minimales moyennes inférieures à zéro degré, aux dates des Jeux, sur une période de dix ans ».

Certains plaident en faveur de sites olympiques fixes, qui accueilleraient les olympiades à tour de rôle. « Aujourd’hui, le CIO cherche à universaliser un peu plus la carte des Jeux plutôt qu’à les réserver à des pays surdéveloppés », doute Alain Mercier.

Un modèle économique insoutenable

En attendant, les organisateurs produisent des efforts pour réduire les déchets, les consommations énergétiques ou les impacts de l’alimentation.

« La durabilité est devenue un élément très formalisé de la politique du CIO, au travers d’une charte et d’objectifs d’impact carbone. Mais cet engagement n’est pas au premier plan des procédures d’attribution », note Alain Mercier.

Surtout, le verdissement des cahiers des charges est très insuffisant en regard des impacts globaux, et certaines allégations relèvent du greenwashing, telle la prétendue neutralité carbone du Mondial 2022.

« Au motif de rattrapages hypothétiques dans le futur, les actions de compensation dissuadent de réduire les émissions tout de suite. Dans trente ans, qui ira contrôler celles de Qatar 2022 ? », interroge Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et d’économie du sport.

« Il faudrait revoir le modèle même des événements avant de mener des démarches écoresponsables », affirme Maël Besson. C’est-à-dire, déjà, se pencher sur l’autre grand poste d’émissions carbone : les déplacements des fans.

A titre d’ordres de grandeur, les voyages internationaux ont représenté 57 % des émissions carbone de la Coupe du monde 2018 et les voyages intérieurs 17 %, selon la Fifa, hors construction des stades. Les organisateurs de l’Euro 2016 en France avaient estimé à 80 % la part des émissions totales dues à la construction des infrastructures.

« Le modèle des GES repose sur des enceintes pleines, avec des spectateurs qui viennent du monde entier, et pas en char à voile », ironise Christophe Lepetit.

« Les GES sont intrinsèquement incompatibles avec les enjeux climatiques et les limites planétaires quand ils impliquent autant de transport aérien », renchérit Maël Besson.

Différentes solutions sont esquissées : regrouper les compétitions masculines et féminines d’une même discipline, saisonnaliser les circuits (golf, cyclisme, tennis, etc.) par continent pour éviter aux sportifs des allers-retours. Insuffisant, cependant, pour sortir les GES du modèle du tourisme de masse.

Reconstruire des imaginaires

Maël Besson imagine donc « des "villages" pour faire vivre l’événement à distance, à l’instar des fans zones, afin de ne plus déplacer que les athlètes ».

« On pourrait en effet réserver l’événement à un public local, qui peut y accéder avec des moyens de transport bas carbone », relaie Christophe Lepetit, qui envisage que les technologies virtuelles permettent un jour d’assister aux compétitions en immersion.

« Après tout, c’est déjà actuellement une fraction infime de la population mondiale qui se déplace lors des GES, et une fraction minoritaire de la population locale qui "vit" la compétition », ajoute-t-il.

« Il faut s’autoriser à imaginer des événements différents, en se demandant ce qu’on cherche de fondamental en eux : la rencontre entre les peuples, la communion par les émotions, le partage, etc., insiste Maël Besson. Le sport est un facteur de paix, mais seulement si les besoins fondamentaux sont assurés. Or dans les moments de crise, on dépriorise le sport, et il lui faudra inévitablement s’adapter. »

Christophe Lepetit abonde : « Les GES, au contraire de la pratique sportive, ne relèvent d’aucune nécessité impérieuse ». Sous la pression des opinions, des médias, des sponsors et peut-être des Etats, « le sport ne pourra pas rester dans sa bulle ».

L’économiste ne craint pas d’invoquer une nécessaire décroissance : « La devise olympique, "Plus vite, plus haut, plus fort", est symboliquement contraire à l’objectif de sobriété. Le CIO a ajouté "Ensemble" à cette devise, et c’est presque le seul élément qu’il faudrait conserver »

Maël Besson préfère le terme de sufficiency employé par le Giec, imparfaitement traduit par « sobriété » : « Il faut faire ce qui est suffisant pour assurer le spectacle, l’effervescence du sport. Et reconstruire des imaginaires et des idéaux qui donnent envie. »

La révolution environnementale du sport reste à inventer : face au réchauffement, il ne suffira pas de climatiser les stades.

 

Le sport dans le collimateur des écologistes

Le sport sert la cause des ONG environnementales, souvent à ses dépens : avec sa portée médiatique, il est tentant de faire campagne sur lui, et d’exiger de lui une exemplarité conforme à ses « valeurs ».

En juin 2020, le réseau Rapid Transition Alliance calcule l’empreinte carbone de plusieurs compétitions et clubs dans le monde, et appelle le sport professionnel – dont les émissions globales sont de l’ordre d’un pays comme la Tunisie – à atteindre la neutralité carbone en 2030.

En mars 2021, l’étude d’un cartel d’ONG britanniques met en évidence la surreprésentation, dans le sport, des sponsors issus de secteurs hautement carbonés : automobile, transport aérien et énergies fossiles.

En juillet 2021, un rapport du WWF alerte sur « l’impact alarmant du dérèglement climatique sur la pratique sportive », rendue impossible jusqu’à deux mois par an dans un scénario à + 4 °C de température mondiale moyenne.

En mai 2022, une analyse de Carbon Market Watch conteste la neutralité carbone de la Coupe du monde 2022 revendiquée par la Fifa et le Qatar : l’empreinte serait considérablement sous-évaluée, les compensations largement insuffisantes.