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Le nombre de radiations à Pôle emploi bat des records en novembre

Plus de 58 000 personnes ont été radiées de la liste des inscrits à Pôle emploi en novembre 2022. Un chiffre jamais atteint depuis que les statistiques du chômage existent. Sur un mois, la hausse est de 19 %. Pôle emploi dit n’avoir « aucune explication particulière » à fournir à cette augmentation.

Cécile Hautefeuille 28 décembre 2022

 

 

Voilà bien un chiffre rarement commenté. Celui des radiations administratives de Pôle emploi. Pourtant, la sanction  – car c’en est une – est tout sauf légère. Radier une personne, c’est lui couper les vivres durant un temps déterminé. La priver d’allocations chômage et la rayer de la liste des demandeurs d’emploi parce qu’elle n’a pas respecté une obligation.

En novembre 2022, 58 100 personnes ont ainsi été radiées. Un record depuis 1996, date de début des statistiques du chômage. Sur un mois, la hausse atteint 19 %, soit 9 400 radié·es supplémentaires par rapport à octobre, selon les chiffres mensuels communiqués mardi 27 décembre par la Dares, l’institut statistique du ministère du travail.

 

Interrogé par Mediapart sur cette forte augmentation, Pôle emploi répond n’avoir « pas d’explication particulière à l’évolution du nombre de radiations ce mois-ci ». Et ajoute : « Il faut savoir, comme le souligne la Dares sur son site, que les données mensuelles sont très volatiles et parfois difficiles à interpréter. C’est particulièrement le cas des données sur les flux d’entrées et de sorties des listes par motif. Des fluctuations peuvent être importantes d’un mois à l’autre sans caractériser une tendance. » Selon Pôle emploi, « les données trimestrielles doivent être privilégiées ».

Les données mensuelles « volatiles » n’ont pourtant pas empêché le ministre du travail de se féliciter, sur le réseau social Twitter, des chiffres du chômage de novembre, en soulignant la baisse du nombre d’inscrit·es en catégorie A, soit 65 800 chômeuses et chômeurs en moins sans aucune activité.

Ne nous y trompons pas : le volume des radiations n’explique pas, à lui seul, cette baisse dans la catégorie A. Chaque mois, des demandeuses et demandeurs d’emploi basculent en effet dans les catégories B et C, regroupant les personnes dites « en activité réduite » et donc en emploi précaire. Un effet de vases communicants classique, qui s’observe d’ailleurs encore en novembre puisque le nombre d’inscrit·es en activité réduite est en hausse.

Hausse des sanctions pour insuffisance de recherche d’emploi

Quant aux radiations, les observer sur le long terme permet de tirer de premières conclusions. L’année 2022 marque une hausse incontestable. En moyenne, 50 500 personnes ont été radiées chaque mois [sur onze mois, car les chiffres de décembre ne sont pas connus – ndlr], contre 44 000 en 2019. C’est l’année de comparaison la plus pertinente, les radiations ayant été, en 2020 et 2021, suspendues puis assouplies en raison des conditions sanitaires et des confinements.

Autre indice de cette augmentation, les signalements d’agressions liées à des radiations ont augmenté de plus de 63 % au 1er semestre 2022 par rapport au 1ersemestre 2019, si l’on en croit le syndicat Force ouvrière.

Selon des chiffres « bruts » [et donc provisoires, car non corrigés selon les variations saisonnières – ndlr] que Mediapart a pu consulter, la majorité (68 %) des radiations de 2022 ont été prononcées en raison d’une absence à une convocation. Manquer un seul rendez-vous à Pôle emploi conduit à une privation d’un mois d’allocation. Ce motif de radiation a toujours été le premier de la liste.

Fait nouveau, en revanche : les sanctions pour «  insuffisance de recherche d’emploi », soit un mois de radiation, représentent désormais 10 % du total des radiations, contre 5 % les années précédentes. C’est sans doute la conséquence de la nouvelle stratégie de contrôle de la recherche d’emploi, en vigueur depuis début 2022.

500 000 contrôles en 2023

L’objectif était clair : Pôle emploi devait mener 500 000 contrôles cette année, contre 420 000 en 2019. La directive avait été donnée par Emmanuel Macron :  « Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues », avait-il averti, en novembre 2021. Dont acte. Pôle emploi a mis sur pied une nouvelle politique de contrôle, pour en mener davantage, à effectif constant, grâce à des procédures accélérées. 

Pour l’année prochaine, les objectifs restent les mêmes : « Pôle emploi s’engage à réaliser 500 000 contrôles en 2023 », indique la « feuille de route » de l’opérateur pour le premier semestre 2023, que Mediapart s’est procurée.

Selon ce document, « Pôle emploi poursuivra le contrôle […] en privilégiant particulièrement les demandeurs d’emploi inscrits sur des métiers en tension. Une proportion de 50 à 60 % des contrôles réalisés priorisera ces derniers et ceux sortant d’une formation, en plus des contrôles aléatoires (entre 20 et 30 %) et des signalements ».

Et pour mieux repérer les profils en capacité d’exercer ces « métiers en tension », Pôle emploi a constitué, dès la rentrée de septembre 2022, des « viviers de demandeurs d’emploi immédiatement employables » afin de « renforcer la satisfaction des besoins en recrutement sur les secteurs les plus touchés », indiquait une note interne, dévoilée à l’époque par Mediapart.

Chaque agence doit désormais disposer d’un « vivier » contenant « entre 150 et 200 demandeurs d’emploi », censés fournir de la main-d’œuvre à trois secteurs en tension : santé et action sociale, hébergement et restauration, transports de voyageurs et de marchandises.

La pénurie de main-d’œuvre : l’obsession de l’exécutif

Les personnes identifiées sont convoquées pour faire le point sur leur situation en matière de disponibilité, de compétences et de motivation. « Si l’entretien fait apparaître des doutes sur l’effectivité de [la] recherche [d’emploi] », elles sont dirigées « vers l’équipe contrôle de la recherche d’emploi », précisait encore la note interne. Avec, à la clef, une possible radiation.

Les difficultés de recrutement dans les métiers dits « en tension » sont devenues une véritable obsession pour l’exécutif. Plutôt que de se pencher sur les bas salaires et les mauvaises conditions de travail pouvant expliquer la pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement préfère brandir des mesures coercitives. Outre les contrôles renforcés et ces « viviers » créés par Pôle emploi, la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui entrera en vigueur en février 2023, poursuit clairement cet objectif.

« Lorsque tant de secteurs connaissent des difficultés de recrutement, personne ne peut comprendre que nous ayons encore trop de personnes au chômage », se lamentait ainsi Élisabeth Borne, à la rentrée du Medef, en août 2022, avant de présenter longuement la réforme.

Les chômeuses et chômeurs verront donc leur durée d’indemnisation réduite d’un quart, voire de 40 % si le taux de chômage passe sous les 6 %, au motif que la conjoncture économique est bonne et que des emplois sont à pourvoir.

Et la pression n’est pas prête de se relâcher.

« Les tensions de recrutement perdureront et demeureront une priorité de Pôle emploi en 2023 », annonce l’opérateur dans sa feuille de route, envisageant déjà « d’étendre […] ce plan d’urgence à d’autres métiers et secteurs en tension, notamment l'industrie ».

La privation de ressources est une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages.

Le médiateur national de Pôle emploi

Dernier indice, permettant de mesurer la hausse des radiations : les demandes de médiation liées à ces sanctions ont augmenté dès l’année 2021, en doublant par rapport à 2019 pour atteindre 11 % des saisines.

« Plutôt que leur fréquence, c’est [...] leur inadéquation qui les fait remarquer », écrivait à ce sujet Jean-Louis Walter, le médiateur national de Pôle emploi dans son dernier rapport. « Certaines de ces sanctions semblent véritablement disproportionnées, tant dans leur gravité que dans leurs conséquences », fustigeait-il.

Depuis des années, le médiateur plaide sans relâche pour « une gradation des sanctions » et l’instauration d’un « sursis », au premier manquement aux obligations, plutôt qu’une confiscation immédiate des revenus. Dans son rapport 2021, il revient d’ailleurs à la charge et s’en prend au décret de décembre 2018 qui a produit l’effet contraire en durcissant les sanctions, au lieu de les faire évoluer, par paliers.

« Dans les faits, plutôt que d’assouplir, [la loi] a rigidifié les pratiques, en les enfermant dans un barème plus sévère encore et en fournissant une légitimité nouvelle aux postures excessives », déplore Jean-Louis Walter.

« Radier est une décision grave », écrivait-il dès 2013. Insistant sur la privation d’indemnités, il évoquait « une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages ».