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« La France insoumise est moins un parti-mouvement qu’un parti personnel »

 

Rémi Lefebvre, Politiste

 

La désignation d’une nouvelle direction à La France insoumise suscite de vives dissensions au sein de ce mouvement, analyse le politiste Rémi Lefebvre dans une tribune au « Monde ». Le fonctionnement collectif du mouvement, et non démocratique, permet à Jean-Luc Mélenchon de se replier sur son entourage le plus proche.

 

Le manque de démocratie interne crée de nouveau la controverse à La France insoumise (LFI). Ecartée de la direction opérationnelle à laquelle elle candidatait, Clémentine Autain dénonce un « verrouillage ». Des figures comme Eric Coquerel, Raquel Garrido, Alexis Corbière ou François Ruffin n’y ont pas non plus trouvé leur place. Ces personnalités siégeront sans doute dans un « conseil politique » plus large dont les prérogatives apparaissent floues. Alors que des incertitudes planent autour du leadership de Jean-Luc Mélenchon et une hypothétique quatrième candidature à l’élection présidentielle, la direction de LFI, cooptée, se replie sur son entourage le plus proche.

Depuis la création du mouvement, une demande de démocratisation s’exprime dans les rangs « insoumis » de manière récurrente sans être satisfaite, provoquant des vagues de départ régulières. C’est que le mouvement, créé ad hoc en 2016 pour appuyer l’ambition présidentielle de son leader, entend subvertir les modes de démocratie partisane des partis traditionnels (une ambition partagée par Renaissance). Jean-Luc Mélenchon l’assume dans un long entretien accordé à l’hebdomadaire Le 1, en octobre 2017 : « Le but du mouvement de La France insoumise n’est pas d’être démocratique, mais collectif. »

Ainsi, la direction du parti (difficile à identifier) n’est pas désignée par les adhérents, qui forment une base évanescente et peu contrôlable (l’adhésion se fait en quelques clics de manière gratuite sur une plate-forme numérique). Les groupes locaux sont autonomes, mais privés de moyens financiers (concentrés au siège). Il n’y a ni congrès, ni tendances reconnues, ni vote d’orientation politique. Sur la laïcité ou sur l’Europe, LFI a changé de ligne politique ces dernières années sans que ces inflexions n’aient donné lieu à des délibérations collectives. Comme le remarque une figure historique de LFI, Charlotte Girard, qui le quitte en 2019 : « Il n’y a pas moyen de ne pas être d’accord. »

 

Fonctionnement peu transparent

A la différence des autres composantes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), l’accord électoral des législatives n’a donné lieu à aucune consultation à LFI. De la même manière, les investitures électorales, comme dans d’autres partis, ne sont pas produites par des votes militants, mais conférées par des comités électoraux au fonctionnement peu transparent. Les proches de Jean-Luc Mélenchon ont vu leur loyauté rétribuée aux dernières élections législatives par l’obtention de circonscriptions favorables, au prix souvent de parachutages et au mépris des militants de terrain.


Ce manque de démocratie est justifié officiellement par une rhétorique mouvementiste. LFI promeut un fonctionnement inclusif, au consensus, tourné et projeté vers l’extérieur. Les cadres « insoumis » veulent tenir à distance le « nombrilisme » organisationnel des partis, qui épuiseraient leurs énergies dans des oppositions stériles et dissimuleraient des luttes de pouvoir sous des oripeaux idéologiques. Pourquoi donc s’éterniser en palabres, quand le programme, véritable fétiche « insoumis », fait consensus et l’objet de régulières actualisations ? Ceux qui osent instruire le procès en démocratie sont accusés d’affaiblir le mouvement et son chef.

 

Il ne faut certes pas idéaliser la démocratie partisane à l’ancienne. Les congrès du Parti socialiste n’ont pas toujours été de grands moments démocratiques (Jean-Luc Mélenchon en a fait la douloureuse expérience et en a tiré des leçons). Le récent congrès des Républicains a donné lieu, une nouvelle fois, à des prises de carte dont la presse a souligné le caractère clientéliste. Mais, si l’usage du vote « n’est pas l’alpha et l’oméga de la démocratie », comme l’a prétendu le député (LFI) Manuel Bompard sur Mediapart, il n’existe guère d’autres moyens de faire vivre le pluralisme, de trancher des différends et de désigner de manière concurrentielle les dirigeants.

 

Concentration du pouvoir

Alors que les « insoumis » revendiquent une démocratisation des institutions radicale (une Constituante et la VIe République), leur organisation est marquée par une verticalité extrême, adaptée au présidentialisme dominant. L’état« gazeux » revendiqué par Jean-Luc Mélenchon comme spécificité organisationnelle permet d’éviter la dérive bureaucratique, mais il permet surtout, sous le couvert de l’horizontalité et de l’auto-organisation, la concentration du pouvoir, la cooptation, l’autoproclamation et l’absence de transparence.


LFI (tout comme LRM) est moins un parti-mouvement que ce que la science politique nomme un parti personnel. C’est une machine électorale, efficace, centrée sur son leader, qui a pour vocation principale de le promouvoir et de préparer la prochaine élection présidentielle. Il n’a en cela rien de nouveau : Max Weber affirmait au début du XXe siècle que les partis servaient surtout à donner le pouvoir à leur chef.

 

Des mécanismes de cooptation informels, dépendant de la volonté de Jean-Luc Mélenchon, président de fait à l’accès au cercle dirigeant. En l’absence de règles formelles, la proximité au leader est une ressource déterminante dans la constitution du cercle dirigeant. La « tyrannie de l’absence de structure » (Jo Freeman) a une vertu stratégique en matière de gouvernement du parti : elle permet au leader de verrouiller l’organisation. Elle entraîne aussi des phénomènes de cour autour de lui, qui désormais deviennent plus problématiques, car LFI connaît une crise de croissance (le nombre de députés, parfois peu redevables à Jean-Luc Mélenchon, a été multiplié par cinq depuis la dernière mandature).

Le leadership jusque-là incontesté de Jean-Luc Mélenchon tenait lieu de ciment et charpentait le « gazeux ». A partir du moment où son autorité vacille ou devient plus floue, la situation devient plus explosive. Divers protagonistes, comme Clémentine Autain et François Ruffin, anticipent désormais clairement sa succession. La fronde qui secoue LFI est ainsi d’une intensité inédite. Les langues se délient même parmi les proches historiques du leader. Confrontée au mécontentement des militants, la direction a récemment lâché du lest en prévoyant d’allouer plus de moyens aux groupes locaux ou de (re) lancer une école de formation, mais se raidit sur les règles démocratiques. Le « conseil politique » annoncé en forme de concession ressemble à « l’espace politique » octroyé en 2019, qui s’est révélé un lieu dénué de pouvoir.

Les partis personnels sont indexés sur la longévité de leur leader. Quand il est contesté ou qu’il s’efface, ils sont soumis à rude épreuve. La démocratie peut être utile pour la surmonter.

 

Rémi Lefebvre est professeur de science politique à l’université de Lille. Il a récemment publié : « Faut-il désespérer de la gauche ? » (Textuel, 160 p., 15,90 €).