JustPaste.it

« Métiers en tension » : le projet de loi immigration divise le camp présidentiel

La création d’un titre de séjour pour certains travailleurs étrangers est une « ligne rouge » pour la droite. Des députés de la majorité sont prêts à lâcher sur ce volet, quand l’aile gauche cherche à peser dans le sens inverse.

Par Jérémie Lamothe

Publié le 8 septembre 2023

 

 Eric Ciotti, président du parti Les Républicains, lors de la rentrée politique de son parti, au Cannet (Alpes-Maritimes), le 28 août 2023.

Eric Ciotti, président du parti Les Républicains, lors de la rentrée politique de son parti, au Cannet (Alpes-Maritimes), le 28 août 2023. OLIVIER MONGE/MYOP POUR « LE MONDE »

 

Malgré plusieurs reports pour favoriser les négociations entre Gérald Darmanin et des députés du parti Les Républicains (LR) indispensables pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, l’exécutif ne parvient pas à sortir de l’impasse dans lequel se trouve son projet de loi sur l’immigration. Si le ministre de l’intérieur a affiché son optimisme, mercredi 6 septembre, en affirmant sur Franceinfo qu’il « y aura, avant la fin de session parlementaire, un texte immigration voté », de nombreuses incertitudes demeurent sur son contenu.

 

Depuis la présentation du projet de loi en conseil des ministres, le 1er février, le camp présidentiel essaie tant bien que mal d’en conserver « l’équilibre », avec un volet répressif, visant à accélérer les reconduites à la frontière des étrangers délinquants, et un autre, plus social, permettant la création de titres de séjour pour les sans-papiers travaillant dans des métiers en tension (bâtiment, hôtellerie-restauration, aide à la personne…). « Autrement dit : être très dur avec les méchants. Et puis être gentil avec les gentils », a résumé, mercredi, Gérald Darmanin.

Mais l’exécutif est confronté à l’intransigeance des dirigeants de LR, qui assimilent la régularisation des travailleurs sans papiers inscrit dans l’article 3 du texte à un « appel d’air migratoire », constituant pour eux une « véritable ligne rouge ». Pour le président de LR, Eric Ciotti, l’abandon de ces titres de séjour est « non négociable » afin que ses 61 députés soutiennent le texte à l’Assemblée nationale. « On a 500 000 étrangers au chômage et on nous parle d’en appeler d’autres, ou d’en régulariser d’autres ? Non, je le dis clairement », a abondé mercredi matin sur BFM-TV et RMC le président du Sénat, Gérard Larcher (LR).

 

« Compromis »

Avant que l’examen du texte ne soit interrompu par l’exécutif en mars, troublé par la contestation de la réforme des retraites, les sénateurs LR avaient adopté en commission des lois une version durcie du projet de loi, mais sans toucher alors à l’article 3, sur les métiers en tension, faute d’accord avec leurs partenaires de l’Union centriste.

Le ministre de l’intérieur a avancé mercredi que le texte reprendra son parcours parlementaire au Sénat « d’ici à novembre », avant d’être « étudié à la fin de l’année, en début d’année prochaine, à l’Assemblée nationale ». « Il y a un calendrier avec énormément de guillemets, énormément de points d’interrogation », a nuancé mercredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l’issue du conseil des ministres.

Ces derniers jours, l’exécutif semble néanmoins faire un pas en direction de la droite. Quand Gérald Darmanin plaide pour « un compromis » avec les sénateurs LR, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, défendait dans un entretien au Figaro, mardi, « la fermeté sur la régulation des flux migratoires ». Dans sa lettre aux chefs de parti transmise jeudi matin, une semaine après les Rencontres de Saint-Denis, le 30 août, Emmanuel Macron a aussi ouvert la porte à une extension du champ d’application de l’article 11 de la Constitution, qui régit le cadre des référendums. Répondant à une demande de LR et du Rassemblement national, qui souhaitent l’élargir aux sujets migratoires, le chef de l’Etat annonce dans sa missive qu’il fera « une proposition sur ce sujet dans les semaines qui viennent ».

 

« Signal inquiétant »

Mais la radicalité assumée de LR et les tergiversations de l’exécutif provoquent des tiraillements au sein même de la coalition présidentielle. Faut-il accorder ou non des concessions à la droite pour sécuriser le vote au Parlement, quitte à déséquilibrer le texte ? Des voix au sein des trois groupes de la majorité relative (Renaissance, MoDem et Horizons) appellent à faire preuve de « pragmatisme » en sortant l’article 3 du projet de loi. Ils proposent notamment de passer par la voie réglementaire en s’appuyant sur la circulaire signée par Manuel Valls en novembre 2012, qui définit actuellement les modalités de régularisation par le travail.

« Le totem, c’est la mesure sur les métiers en tension, on y tient absolument. Après, la voie de passage, il ne faut pas en faire un totem », estime le député Renaissance du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre, pour qui « l’essentiel est que le texte soit voté le plus rapidement possible ». « Que la disposition soit ou non dans le projet de loi, ça ne me gêne pas, assure de son côté la vice-présidente (Horizons) de l’Assemblée nationale Naïma Moutchou. Les gens ont besoin sur le sujet migratoire d’un message de fermeté et pas de “en même temps”. »

Si elle se dit « très attachée à ce dispositif qui répond à une véritable demande sur le terrain », la vice-présidente MoDem de l’Assemblée, Elodie Jacquier-Laforge, se montre aussi ouverte à l’option de la voie réglementaire, tout en imposant un suivi régulier de son application par le Parlement. « Ce qui compte, c’est le résultat, que les personnes puissent travailler dans des conditions qui respectent notre droit du travail », explique l’élue centriste.

Des compromis envers la droite immédiatement rejetés par l’aile gauche du groupe Renaissance, qui cherche à peser dans les arbitrages. Et à se faire entendre. Dimanche, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a défendu sur LCI ce volet « métiers en tension » au nom « des convictions, des valeurs et de la cohérence ». Mercredi, plusieurs d’entre eux, dont les anciens ministres Barbara Pompili et Stéphane Travert, ont signé un communiqué avec des députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) pour mettre en garde contre un retrait de l’article 3, qui « constituerait un signal inquiétant ». « C’est un gentil rappel de notre existence, souligne un des signataires, Benoît Bordat, député de Côte-d’Or. S’il n’y a plus la partie sur les métiers en tension, quel est l’intérêt du texte ? Il faut garder une forme de “en même temps”, la ligne historique du président de la République. »

« A titre personnel, cet article 3 est l’axe majeur du texte, estime aussi la députée apparentée Renaissance de Maine-et-Loire Stella Dupont, signataire du communiqué. C’est important de regarder la réalité en face. On sait très bien que dans notre économie, il y a un certain nombre de secteurs qui peinent à recruter et qui emploient des personnes qui peuvent être en situation irrégulière. »

 

« Aller à la confrontation »

Le flou autour de l’article 3 pousse aussi l’aile gauche de la majorité à chercher des soutiens inattendus. Une tribune cosignée par des députés Renaissance et de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, comme le président des députés socialistes, Boris Vallaud, le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, ou l’écologiste Julien Bayou, est en préparation pour défendre « l’accès des personnes étrangères au travail » et le maintien de l’article incriminé dans le projet de loi. Une initiative qui fait suite à des rencontres organisées ces derniers mois, à l’invitation de Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, et de Marilyne Poulain, ancienne référente de la CGT sur les travailleurs migrants, entre des chefs de file de la gauche et le président Renaissance de la commission des lois, Sacha Houlié.

Fervent défenseur de la première mouture du texte, ce dernier assure aujourd’hui avoir reçu « les garanties de l’Elysée et de Matignon » que l’article 3 figurera bien dans le texte. Pour l’élu de la Vienne, une majorité peut d’ailleurs encore être trouvée sur ce projet de loi à l’Assemblée en misant sur l’abstention de certains députés LR, socialistes ou encore de LIOT.

D’autres élus Renaissance appellent aussi à assumer la version présentée en février en prenant l’opinion publique à témoin, quitte à risquer une défaite dans l’Hémicycle. « Sur des sujets qui sont des marqueurs politiques comme l’immigration, nous avons donné du temps pour trouver un compromis, estime la députée Renaissance des Yvelines Marie Lebec. Mais je crois qu’il ne faut pas avoir peur d’aller à la confrontation politique ni de dire aux oppositions : “Si vous ne voulez pas de ce texte, c’est votre responsabilité de l’expliquer à nos concitoyens.” »

Jérémie Lamothe