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Verdict du procès Ramadan : le droit pour le prévenu, la rudesse pour la plaignante

Analyse

Pascale Robert-Diard

Le respect des principes fondamentaux commande l’adoption par les juges de la même exigence de rigueur et de neutralité à l’égard des deux parties pendant les débats, rappelle notre chroniqueuse judiciaire, pour laquelle ce ne fut pas le cas lors de l’audience tenue à Genève. L’islamologue, qui comparaissait pour « viol » et « contrainte sexuelle », a été acquitté mercredi.

 

L’islamologue suisse Tariq Ramadan à côté de ses avocats Theo Badan et Yael Hayat alors qu’il quitte Genève le 24 mai 2023, après avoir été acquitté à l’issue de son procès pour « viol et contrainte sexuelle ».

L’islamologue suisse Tariq Ramadan à côté de ses avocats Theo Badan et Yael Hayat alors qu’il quitte Genève le 24 mai 2023, après avoir été acquitté à l’issue de son procès pour « viol et contrainte sexuelle ». FABRICE COFFRINI / AFP

 

On devrait applaudir la motivation du verdict d’acquittement rendu en faveur de Tariq Ramadan, mercredi 24 mai, par le tribunal correctionnel de Genève, devant lequel il comparaissait pour « viol » et « contrainte sexuelle ». L’envahissement de justiciers plus ou moins masqués, éruptifs et atrabilaires sur les réseaux sociaux, rend en effet d’autant plus précieux, pour tout citoyen et possible justiciable, le rappel des règles essentielles qui fondent le procès pénal : nécessité de la preuve, respect de la présomption d’innocence et application du principe selon lequel le doute doit bénéficier à l’accusé.

On ne peut donc que souscrire au propos liminaire du président du tribunal de Genève, rappelant qu’il n’appartient pas aux juges « de se prononcer, de manière générale, sur les pratiques sexuelles et la moralité » du prévenu, « ni sur les mouvements sociétaux actuels », mais que leur rôle consiste à se déterminer « sur la base du dossier de la procédure et de l’acte d’accusation ». De même doit-on saluer une décision justifiée en ces termes : « Le tribunal n’a pas été en mesure de se forger une intime conviction au-delà du doute insurmontable. »

 

Mais le respect des principes fondamentaux commande d’adopter la même exigence de rigueur et de neutralité à l’égard des deux parties pendant les débats à l’audience. Ce ne fut pas le cas. Deux versions radicalement contradictoires s’opposaient sur ces heures passées dans la chambre 511 de l’Hôtel Mon Repos à Genève, du 28 au 29 octobre 2008. Pour Tariq Ramadan, des caresses mutuelles auxquelles il aurait coupé court, après avoir été « inhibé » par l’odeur du foulard de son admiratrice et la vue de taches de sang sur son pantalon. Pour la plaignante, R. A. D., une approche de séduction qui se serait brusquement transformée en nuit d’horreur, pendant laquelle elle aurait été violée à trois reprises et frappée.

Feu roulant des trois juges

Tout aussi divergentes étaient les explications données sur cette plainte, déposée dix ans après les faits reprochés : l’aboutissement d’un long processus, selon la plaignante, lui ayant permis de surmonter sa honte et de prendre conscience que ce qu’elle avait vécu n’était pas un « accident », mais un « mode opératoire » dont elle n’était pas la seule victime ; selon le prévenu, la démarche vengeresse d’une femme humiliée d’avoir été éconduite, nourrie aux récits publiés sur les réseaux sociaux par d’autres amantes contrariées, et consolidée par ses ennemis idéologiques.

 

Autant Tariq Ramadan a pu dérouler sa brillante argumentation sans être interrompu ni contredit par le tribunal, autant la plaignante a subi le feu roulant et souvent suspicieux des questions des trois juges. Quand le prévenu raconte le brusque rejet qu’il a éprouvé à l’égard de son admiratrice et concède s’être montré verbalement injurieux, le tribunal ne s’étonne pas qu’il accepte pour autant de partager son lit avec elle le reste de la nuit. De la plaignante, les juges requièrent en revanche qu’elle détaille où, comment, par les doigts ou par le sexe, et selon quelle chronologie, elle a été pénétrée, s’il faisait noir ou demi-noir, si la porte était ou non fermée à clé, si elle a crié ou pas, et lui demandent tout à trac si la peur qu’elle dit avoir éprouvée est bien « rationnelle ». Lui, on l’écoute. Elle, on la somme de tout justifier.

Le questionnement exigeant de celle qui accuse est aussi légitime que nécessaire. Mais la rigueur n’est pas la rudesse, l’exigence n’est pas l’indélicatesse. Au même titre que la stricte conformité à la loi, l’humanité fait partie du serment des juges. A l’égard de la plaignante, le tribunal en a manqué. Quiconque ayant assisté à un tel interrogatoire redouterait d’avoir un jour à le subir. Si elle veut convaincre de sa vertu face aux dérives des réseaux sociaux, le premier devoir de la justice est de ne pas dissuader les justiciables de la solliciter.