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JO Paris 2024 : les juridictions d’Ile-de-France s’inquiètent des conséquences du plan « zéro délinquance »

A Bobigny, un afflux de procédures supplémentaires est déjà enregistré, en raison de la multiplication des interpellations, notamment de dealeurs et de consommateurs de drogue et de vendeurs à la sauvette.

Par Abel Mestre

Publié le 19 janvier 2023

COLCANOPA

C’est l’une des préoccupations majeures des juridictions franciliennes. Pour elles, l’organisation des Jeux olympiques (JO) de 2024 à Paris a déjà des conséquences concrètes. La multiplication des opérations de police dans les départements concernés – notamment en Seine-Saint-Denis – a un effet mécanique d’augmentation des arrestations et de leur traitement judiciaire. Or, la situation dans ces ressorts est déjà extrêmement tendue. Et ce nouvel afflux de dossiers augmente encore la pression sur ces tribunaux.

Peimane Ghaleh-Marzban, premier président du tribunal judiciaire de Bobigny, a ainsi lancé l’alerte sur ce sujet lors de son discours pour l’audience solennelle de rentrée, lundi 16 janvier : « Les JO, c’est maintenant, a-t-il expliqué. Très clairement, nous ne sommes pas aujourd’hui en état de traiter l’afflux éventuel de procédures judiciaires supplémentaires. » Selon lui, « le tribunal de Bobigny n’a pas les moyens de ses ambitions et des charges singulières qui sont les siennes dans la perspective des Jeux olympiques ». Et d’ajouter : « Je ne souhaite pas que le juge de Bobigny soit tenu responsable de l’incapacité dans laquelle nous serions de traiter les dossiers nouveaux, et ce sans renforts extérieurs, ou tenu responsable de la dégradation de la réponse pénale, alimentant les critiques des ignorants sur le prétendu laxisme des juges. »

Lors de son discours prononcé le même jour, Eric Mathais, procureur de Bobigny, a, lui aussi, développé les implications de l’organisation des JO dans un département qui accueillera un nombre important d’épreuves. Il a notamment évoqué le plan « objectif zéro délinquance » décliné en Seine-Saint-Denis comme dans les autres départements concernés par les JO. Il s’agit de cibler, entre autres, la question des stupéfiants, de la vente à la sauvette, la contrefaçon ou encore les vols à l’arraché.

Les effets de ce plan se font ressentir depuis septembre 2022. Jusqu’à trois opérations quotidiennes ont d’ores et déjà lieu dans ce cadre au sein du département. Avec des conséquences en chaîne : plus d’arrestations engendrent plus de gardes à vue, qui conduisent à plus de déferrements, et donc, potentiellement, à plus de poursuites. « Nous en ressentons déjà les effets : nous observons une augmentation de 50 % à 88 % des gardes à vue quotidiennes pour stupéfiants, notamment pour des usages, et une hausse significative des interpellations en matière de vente à la sauvette ou des enquêtes de travail dissimulé. Un renfort des permanences du parquet est indispensable », a souligné Eric Mathais.

Eviter le fiasco de la Ligue des champions

Déjà, début décembre 2022, l’inquiétude autour des JO était mise en avant dans une note d’alerte rédigée par MM. Ghaleh-Marzban et Mathais. « L’action publique s’intensifie (…) augmentant significativement le nombre de mesures de gardes à vue, de majeurs et de mineurs, à traiter quotidiennement, et sans capacités d’audiences supplémentaires », écrivaient-ils.

 

Si la Seine-Saint-Denis est particulièrement concernée, c’est qu’elle va accueillir non seulement beaucoup d’épreuves, mais également le village olympique ou encore le village des médias. En tout, près de deux millions de visiteurs sont attendus dans le département. Il s’agit donc de préparer le terrain le plus tôt possible, pour éviter de reproduire le fiasco de la finale de la Ligue des champions, au Stade de France, en mai 2022, où plusieurs spectateurs s’étaient fait agresser.

 

Pour piloter au mieux cette croissance inéluctable des procédures judiciaires, les chefs de juridiction de Bobigny demandent des renforts, notamment pour la période des Jeux, entre juin et septembre 2024, c’est-à-dire au moment des vacances. Par ailleurs, Peimane Ghaleh-Marzban et Eric Mathais souhaitent créer un conseil de juridiction dévolu à la mise en œuvre judiciaire des Jeux olympiques, sorte d’observatoire de l’évolution de l’activité juridictionnelle liée aux JO et auquel participeraient notamment les élus.

« Des moyens supplémentaires »

Le constat dressé par le tribunal de Bobigny est partagé par le procureur général près la cour d’appel de Paris, Rémy Heitz. « La pression sur les juridictions du ressort ne fera qu’augmenter jusqu’aux Jeux olympiques, de manière progressive, affirme-t-il. On doit pouvoir résister à cette montée en puissance. Il faudra adapter nos capacités de traitement de la délinquance et d’accueil des victimes. Les plateaux de permanence doivent être en mesure de tenir le coup et les capacités de jugement être suffisantes. » En clair : il faut des renforts suffisants et tout au long des dix-huit prochains mois pour que toutes les juridictions puissent faire face. M. Heitz précise encore : « Même s’il est trop tôt pour l’objectiver par des chiffres précis, l’arrivée des Jeux olympiques entraîne d’ores et déjà une intensification de l’activité de certains parquets du ressort. »

 

L’organisation des Jeux inquiète également les juridictions moins exposées que Paris ou la Seine-Saint-Denis. C’est le cas de la cour d’appel de Versailles, qui accueillera notamment le marathon et des épreuves équestres. C’est dans son ressort que se situent Paris La Défense Arena (Nanterre, épreuves de natation) et le stade Yves-du-Manoir (Colombes, Hauts-de-Seine, hockey sur gazon). Son procureur général, Marc Cimamonti, reconnaît qu’il « sen[t] un frémissement mais qu’il n’y a pas encore de traduction judiciaire » d’une augmentation de l’activité liée à la préparation des JO.

Le premier président, Jean-François Beynel, rappelle que cela « va impacter tous les secteurs » et demande, comme ses collègues de Bobigny, « des moyens supplémentaires pour renforcer les juridictions afin d’absorber le choc ». Il résume :« C’est presque un tsunami qui va nous tomber dessus. » Il s’agit d’être prêts.