L’administration la plus antipalestinienne de l’histoire des Etats-Unis
Chronique Jean-Pierre Filiu
Donald Trump a d’ores et déjà nommé des personnalités qui se distinguent par leur hostilité sans précédent à l’encontre du peuple palestinien et de ses droits.
Publié le 24 novembre 2024
Depuis que George W. Bush a lancé, en 2001, sa « guerre globale contre la terreur », les Etats-Unis ont abandonné toute volonté sérieuse de régler le conflit israélo-palestinien. Même Barack Obama, après quelques velléités initiales, a accordé sans la moindre contrepartie, en 2016, une aide militaire à Israël d’un montant inégalé de 38 milliards de dollars (36 milliards d’euros) sur dix ans. Quant à Donald Trump, son premier passage à la Maison Blanche s’est accompagné de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et du déplacement de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, alors qu’était fermé le consulat américain à Jérusalem-Est, jusque-là tourné vers la population palestinienne.
Non seulement Joe Biden n’est revenu sur aucun de ces faits accomplis, mais il a apporté un soutien massif, aussi bien militaire que diplomatique et financier, à la guerre que Benyamin Nétanyahou persiste, depuis octobre 2023, à mener contre Gaza. Les nominations d’ores et déjà annoncées par Donald Trump, que la majorité républicaine au Congrès ne risque pas de remettre en cause, laissent pourtant augurer d’une administration encore plus hostile que les précédentes aux Palestiniens et à leurs droits.
Une équipe totalement renouvelée
Trump n’a conservé aucun de ses collaborateurs de 2017-2021 pour gérer le Moyen-Orient, soit de manière spécifique, soit dans le cadre d’un portefeuille plus général. Même son gendre Jared Kushner, qu’il avait chargé d’élaborer « l’accord du siècle » de 2020, n’est pas reconduit. Cet accord, signé entre les seuls Trump et Nétanyahou à la Maison Blanche, réduisait la future Palestine à n’être qu’un Etat croupion sur une portion de la Cisjordanie et sans aucune continuité territoriale. Le président américain n’avait pas manqué de souligner alors l’opportunité qu’un tel « deal » offrait à ses amis promoteurs, du fait du réseau complexe de ponts, de tunnels et de voies de contournement que ce dépeçage de la Palestine permettait d’envisager. Mais Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, avait osé refuser un plan négocié sans lui et contre lui. Du fait de cet échec, Donald Trump vient de nommer comme envoyé spécial au Moyen-Orient, non plus son gendre, mais son partenaire de golf, Steven Witkoff, un promoteur immobilier sans la moindre expérience diplomatique. Nul doute que « l’art du deal », dont M. Trump se veut un expert, avec cette fois M. Witkoff à la manœuvre, conduira à imposer aux Palestiniens un diktat encore plus brutal qu’en 2020.
Le nouveau chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, sénateur de Floride, s’est longtemps distingué au Congrès par ses nombreuses initiatives antipalestiniennes. En novembre 2023, il accusait les membres du Hamas d’être des « animaux cruels », responsables « à 100 % » des souffrances de la population de Gaza. En mai, de retour d’Israël, il reprochait àBiden d’encourager par sa « faiblesse » les « ennemis d’Israël qui sont aussi ceux des Etats-Unis », et cela « quoi qu’en dise la communauté internationale ». En septembre, il menait campagne contre une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) exigeant le retrait israélien des territoires palestiniens occupés depuis 1967, préférant, au contraire, célébrer le « droit légitime de l’Etat juif d’Israël sur sa patrie historique ».
Quant à la future ambassadrice américaine aux Nations unies, Elise Stefanik, elle soutient l’interdiction par Israël des activités en Cisjordanie et à Gaza de l’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens. Elle vient même d’accuser l’UNRWA de « répandre la haine antisémite chez les Palestiniens, d’abriter les armes des terroristes et de voler l’aide qu’elle est censée distribuer ».
La promotion de sionistes chrétiens
Trump place ainsi à des postes-clés des soutiens inconditionnels de la politique jusqu’au-boutiste de Nétanyahou. Mais il va encore plus loin, avec la promotion de sionistes chrétiens, aux yeux de qui le premier ministre israélien est encore trop modéré. Ces évangéliques ultraconservateurs considèrent que l’accomplissement des prophéties passe par une souveraineté exclusivement juive sur l’ensemble de la Terre sainte, prélude à l’établissement du Troisième Temple à Jérusalem sur l’actuelle Esplanade des mosquées, troisième lieu saint de l’Islam.
Ils partagent ainsi la vision messianique et offensive des alliés suprémacistes de Nétanyahou, pour qui les Palestiniens ne seraient que des « étrangers » en terre d’Israël. Dès 2018, Pete Hegseth, le futur chef du Pentagone, a invoqué le « miracle du rétablissement du Temple ». Il a alors exclu toute solution à deux Etats, martelant qu’il « n’y a qu’un seul Etat », Israël, dont la souveraineté doit s’exercer sans partage sur « la Judée et la Samarie ».
M. Hegseth est loin d’être le seul des nouveaux promus à reprendre à son compte la terminologie à la fois biblique et israélienne de « Judée et Samarie » pour désigner la Cisjordanie. Mike Huckabee, le prochain ambassadeur en Israël, avait déclaré dès 2017 d’une colonie israélienne en Cisjordanie : « Il n’y a rien qui s’appelle la Cisjordanie. C’est la Judée et la Samarie. Il y a certains mots que je refuse d’employer. Les colonies n’existent pas, ce sont des communautés, des quartiers, des villes. L’occupation n’existe pas. »
Mike Huckabee est un fervent évangélique, à la différence des personnalités juives qui, depuis 2011, ont représenté les Etats-Unis en Israël. Ce choix découle peut-être du ressentiment de Trump à l’encontre de ses compatriotes juifs, qui ont encore voté très largement démocrate lors du dernier scrutin présidentiel. En revanche, M. Huckabee sera en phase avec l’ambassadeur désigné par Benyamin Nétanyahou à Washington, Yechiel Leiter, un colon imprégné d’idéologie suprémaciste et farouchement opposé à l’Autorité palestinienne.
A Washington se met ainsi en place une équipe fondamentalement hostile aux Palestiniens et à leurs droits, alors même que ce peuple endure depuis plus d’une année, à Gaza, la plus terrible tragédie d’une histoire pourtant saturée de tragédies.
------------------------------
Avec la nomination de l’ambassadeur Yechiel Leiter, Benyamin Nétanyahou place l’un de ses hommes auprès de Donald Trump
Chronique Jean-Pierre Filiu
Le premier ministre israélien n’a pas tardé à nommer, à Washington, un ambassadeur issu de l’extrême droite la plus radicale et installé dans une colonie de Cisjordanie.
Publié le 01 décembre 2024
Benyamin Nétanyahou n’a pas seulement été l’un des premiers dirigeants étrangers à féliciter chaleureusement Donald Trump pour sa réélection à la Maison Blanche. Il a aussi très vite annoncé la nomination d’un nouvel ambassadeur à Washington, en lieu et place de Michael Herzog, le frère de l’actuel président de l’Etat d’Israël, dont les relations avec le premier ministre sont notoirement tendues.
Nétanyahou, qui a lui-même été adjoint de l’ambassadeur aux Etats-Unis, de 1982 à 1984, puis ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, de 1984 à 1988, reprend ainsi le contrôle du plus stratégique des postes de la diplomatie israélienne.
Il rappelle, y compris à ses alliés, qu’il entend bien incarner cette diplomatie, quel que soit le ministre des affaires étrangères, hier Israel Katz jusqu’à sa récente nomination à la défense, aujourd’hui Gideon Saar, un dissident revenu en grâce. En outre, le choix pour Washington de Yechiel Leiter, un ultranationaliste sans expérience diplomatique, est très révélateur.
Un fidèle du rabbin Kahane
Le nouvel ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis connaît intimement ce pays où il est né, en 1959, dans la même ville de Pennsylvanie que le président Joe Biden. Yechiel Leiter milite durant son adolescence au sein de la Ligue de défense juive (LDJ), fondée en 1968 à New York par le rabbin Meir Kahane. Les méthodes agressives de la LDJ et ses projets d’attentat exposent le groupe à des poursuites répétées.
Kahane, qui émigre en Israël en 1971, y fonde peu après un équivalent de la LDJ, désigné sous le nom hébreu de Kach, avec le même symbole d’un poing fermé sur une étoile de David. Arrêté de nombreuses fois en Israël pour troubles à l’ordre public, Kahane est incarcéré six mois en 1980 pour avoir envisagé des attentats contre des habitants palestiniens de Hébron, en Cisjordanie occupée. Leiter, qui a décidé d’émigrer en Israël en 1978, assiste donc sur place à la montée en puissance du rabbin Kahane, qui parvient, malgré ses démêlés avec la justice, à être élu député à la Knesset en 1984.
Le programme de Kach est pourtant d’un racisme assumé, puisqu’il prévoit de limiter les droits des Arabes de nationalité israélienne, voire de criminaliser les relations sexuelles entre Juifs et Arabes. Quant au rabbin Kahane, ses outrances sont telles que les autres parlementaires en viennent à boycotter ses interventions et à le laisser s’exprimer devant une Knesset vide. De surcroît, une modification de la loi électorale exclut Kach pour son incitation au racisme et interdit à Kahane de se représenter aux élections de 1988. Deux ans plus tard, le rabbin militant est assassiné à New York par un extrémiste égyptien, laissant sans direction claire aussi bien Kach en Israël que la LDJ aux Etats-Unis.
Mais la mémoire du rabbin assassiné fait l’objet d’un véritable culte, surtout auprès des colons de Cisjordanie qu’il avait si activement encouragés. Ces colons sont violemment opposés aux accords de paix signés, en septembre 1993, entre Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien, et Yasser Arafat, le chef de l’Organisation de libération de la Palestine.
« Notre victoire sera votre victoire »
Yechiel Leiter rédige, peu après, un pamphlet cinglant contre les accords d’Oslo : Une paix à combattre, pourquoi l’accord Rabin-Arafat doit être arrêté et comment y parvenir. Un tel brûlot est publié par Yesha, le rassemblement des colons les plus radicaux, dont le nom correspond à l’acronyme hébreu de « Judée, Samarie, Gaza », ainsi que cette mouvance désigne les territoires palestiniens occupés.
En avril 1994, un colon israélien massacre 29 Palestiniens dans une mosquée de Hébron, avant d’être lui-même lynché. Leiter connaissait bien l’assassin, un disciple, comme lui, du rabbin Kahane. Désormais installé dans la colonie d’Eli, au nord de Ramallah, Leiter conclut de brillantes études avec un doctorat de philosophie politique (tardivement publié par les Presses universitaires de Cambridge). Il apporte, depuis, sa caution académique à l’université israélienne d’Ariel, la plus importante des territoires occupés, et aux fouilles sauvages de Shiloh, vouées à nier la légitimité d’une population arabe sur ce site biblique.
Le retour de Nétanyahou à la tête du gouvernement, en décembre 2022, après un intermède d’un an et demi, est particulièrement favorable à Leiter. Il contribue en effet au forum Kohelet, un cercle de réflexion libertarien dont s’inspire le premier ministre pour lancer sa réforme judiciaire, malgré des protestations d’une ampleur inédite.
En outre, les anciens fidèles de Kahane sont galvanisés par le succès d’Itamar Ben-Gvir, un vétéran de Kach, qui a permis à l’extrême droite suprémaciste d’obtenir 14 députés et 2 ministères régaliens (la sécurité et les finances). En juillet 2023, Leiter s’affirme favorable à la « désintégration de l’Autorité palestinienne », ne serait-ce que pour accélérer la colonisation, voire l’annexion de la Cisjordanie.
Quatre mois plus tard, son fils aîné est tué au combat dans la bande de Gaza, que Nétanyahou a choisi de réoccuper. Lors des funérailles, Leiter met solennellement en garde non seulement les Etats-Unis, mais le président Biden en personne, contre la moindre limite au soutien jusque-là indéfectible à Israël. C’est pourquoi Benyamin Nétanyahou, lors de son discours de juillet devant le Congrès, à Washington, est accompagné de Leiter. Il l’invite à se lever pour saluer publiquement le sacrifice de son fils, non sans ajouter, à l’attention des parlementaires américains : « Nos ennemis sont vos ennemis, notre combat est votre combat et notre victoire sera votre victoire. »
Un message que le nouvel ambassadeur relayera avec ardeur auprès de Donald Trump, qui a lui-même nommé, pour le représenter en Israël, le sioniste chrétien Mike Huckabee, fervent partisan de la colonisation de la Cisjordanie.