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Renseignements : la commission de contrôle s’alarme de la hausse des demandes concernant l’activisme politique

Dans son rapport annuel publié jeudi, le gendarme des services secrets indique avoir dû multiplier les rappels à l’ordre et demandes d’information sur les requêtes des services. La commission alerte sur la faiblesse de ses moyens de contrôle, qui sont en outre inadaptés aux techniques de renseignement du XXIe siècle.

Par Jacques Follorou

 

Pour qu’une alerte soit entendue, encore faut-il qu’elle fasse du bruit. Il est peu probable que celle lancée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dans son rapport annuel 2022, résonne dans le débat public. C’est dommage. Née, fin 2015, de la toute première loi sur le renseignement et seul contre-pouvoir indépendant à la surveillance d’Etat, la CNCTR veille sur les faits et gestes des services secrets français. Dès qu’ils utilisent une technique pour collecter des informations – écoutes, géolocalisation, données informatiques, captation d’image et de son, etc. –, ils doivent solliciter l’avis consultatif de la CNCTR.

Or, cette instance s’inquiète sérieusement, aujourd’hui, de sa capacité à mener à bien sa mission alors que la technologie dépasse ses moyens et que le champ de son contrôle est contraint par une loi d’un autre âge. La CNCTR se décrit comme une structure pensée pour les techniques du XXe siècle en veillant au grain d’une surveillance du XXIe siècle. Sur le fond, elle souligne, par ailleurs, le vide doctrinal des autorités françaises sur des sujets pourtant centraux comme l’activisme politique.

En 2022, la CNCTR dit, en effet, avoir dû hausser le ton face aux services de renseignement sur la question des violences dites « collectives » derrière lesquelles se cachent les manifestations qui tournent mal, les occupations de chantiers d’autoroute et de bassins de rétention d’eau ou les opérations d’occupation de bâtiments publics. « La commission,détaille son président, Serge Lasvignes, s’est, en particulier, attachée à la balance entre nécessité du renseignement et protection, non seulement de la vie privée mais aussi des libertés d’expression et de réunion. »

« Motivations parfois trop abstraites »

Si la part des techniques utilisées sur les affaires de violences « collectives » est de 12 %, la CNCTR souligne avoir été obligée de multiplier pour cette finalité, plus que pour toute autre, les rappels à l’ordre et les demandes d’informations complémentaires « pour apprécier le bien-fondé » des requêtes « aux motivations parfois trop abstraites, voire stéréotypées ». Elle dit avoir souvent assorti ses avis favorables de « réserves et conditions visant à limiter l’impact de la technique : réduction de la durée d’autorisation, par exemple, ou prévention d’un éventuel impact sur l’entourage ». Enfin, l’augmentation du nombre d’avis défavorables, 629 cas en 2022, « a essentiellement concerné des demandes présentées au titre de la prévention des violences collectives ».

 

La CNCTR reproche aux services d’avoir souvent confondu l’entrave d’actions violentes avec la surveillance d’une activité militante. La prévention des violences collectives « ne doit pas être interprétée, estime la Commission, comme permettant la pénétration d’un milieu politique ou syndical, ou la limitation du droit constitutionnel de manifester ses opinions, y compris extrêmes, tant que le risque d’atteinte grave à la paix publique n’est pas avéré ». Les services, de leur côté, affirment avoir été confrontés à une diversification de la menace.

 

La vigilance de la CNCTR sur l’action de l’Etat face aux « violences collectives » ne donne que plus de poids à son appel à repenser, par ailleurs, l’architecture même du contrôle dont elle est garante sur l’activité des services de renseignement. Le législateur a donné des pouvoirs à la CNCTR à une époque où le cœur de la surveillance technique passait par les écoutes téléphoniques, appelées dans le jargon, les « interceptions de sécurité ». Or, aujourd’hui, dit-elle, elles sont devenues le parent pauvre de la collecte du renseignement.

Messageries cryptées

Désormais, les échanges transitent par des messageries cryptées, ce qui a conduit les services à contourner l’obstacle en collectant les données informatiques ou en implantant des dispositifs de captation du son et d’image qui ont augmenté de 55 % en 2022. Or, à la différence « des écoutes », rappelle la CNCTR, ces dernières techniques ne sont soumises à aucun quota, ne sont pas centralisées, sont gérées par les services demandeurs qui sont juge et partie, comme la Direction générale de la sécurité intérieure et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ne sont pas accessibles à distance pour la CNCTR.

 

De même, la Commission se dit « préoccupée » face à la répétition d’irrégularités constatées en matière de surveillance des communications électroniques internationales. Là également, elle ne dispose d’aucun accès à distance depuis ses propres locaux, elle doit prendre rendez-vous et se rendre sur place. Et elle reconnaît, de plus, manquer de personnels qualifiés capables de rivaliser avec les experts d’une direction technique comme celle de la DGSE et peine à recruter.

 

Comment, alors, remplir sa mission quand, dans le même temps, le volume de données recueillies augmente et la complexité technique s’accroît ? « La commission, dit le rapport, est dépourvue de moyens de contrôle optimisés s’agissant des techniques les plus attentatoires à la vie privée ou permettant le recueil d’un volume important de données. Ce constat doit nécessairement conduire à l’évolution des modalités du contrôle de la CNCTR qui (…) s’affaiblit. »