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Le Danemark, mère d’accueil de la PMA pour toutes

Par Zineb Drief

Publié le 2 septembre 2023

Deux ans après la loi ouvrant la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires ou en couple lesbien, les trop longs délais d’attente pour bénéficier d’une insémination ou d’une FIV contraignent les Françaises à se rendre au Danemark. Comme des milliers d’Européennes, Marie, Virginie ou Hélène ont choisi la StorkKlinik, l’institution danoise de la fertilité à Copenhague.

 

Tout y est : le parquet clair, les fauteuils confortables impossibles à quitter, les plantes que l’on n’a pas oublié d’arroser, la luminosité, le paravent qui ondule et les pas feutrés. C’est scandinave, chaleureux et enveloppant. Un couple de femmes et ses deux enfants suivent une infirmière en blouse blanche. Marie (les témoins ont toutes souhaité rester anonymes) n’attend pas longtemps avant d’emprunter à son tour les couloirs aux murs couverts de photographies d’enfants et de dessins de cigognes.

« Ça va bien se passer », répète l’une des soignantes en la conduisant dans une autre pièce. Cette fois, il y a un fauteuil médicalisé, des machines, un écran. L’acte ne dure que quelques minutes et c’est fini. « On vous aime beaucoup mais on espère ne pas vous revoir », lui dit l’infirmière en la serrant dans ses bras. Une fois dans la rue, Marie se sent légèrement euphorique. La douceur de la température lui donne envie de se promener. Elle a le temps, elle ne reprend l’avion pour Paris que le lendemain.

C’était il y a neuf mois, un peu avant Noël. Ce jour-là, d’autres femmes, comme cette Française de 37 ans, ont passé le seuil de la StorkKlinik (TFP Stork Fertility), à Copenhague. Depuis, certaines ont eu un bébé ou, comme Marie, sont sur le point ­d’accoucher, d’autres n’y sont pas parvenues. La StorkKlinik est une clinique de fertilité, pionnière dans la prise en charge des femmes ­lesbiennes et des célibataires.

Depuis sa création, en 1999, l’établissement est à l’origine de plus de 8 600 naissances, soit presque un bébé par jour. Les patientes viennent de toute l’Europe : des Norvégiennes, des Suédoises, des Allemandes, des Autrichiennes, des Britanniques et, sans discontinuer, des Françaises, malgré ­l’Assistance médicale à la procréation pour toutes, adoptée par l’Assemblée en 2021 (dans la loi, le terme AMP remplace celui de PMA, procréation médicalement assistée).

Le courage d’une sage-femme

C’est grâce à l’entêtement et à la malice de Nina Stork, une sage-femme au nom prédestiné (stork signifie « cigogne » en danois), aujourd’hui âgée de 60 ans, que ces milliers d’enfants sont nés. L’histoire commence en 1996, lorsque les parlementaires danois décident d’interdire aux médecins de pratiquer des inséminations ­artificielles sur leurs patientes célibataires ou lesbiennes. Nina Stork est elle-même en couple avec une femme. Elle et sa compagne tentent d’avoir un bébé. Le débat public de cette année 1996 l’éprouve. Lasse, triste et en colère, elle ferme son cabinet d’accouchement à domicile. Mais son métier l’obsède, et Nina Stork ne se résout pas à abandonner ces femmes à leur sort.

En regardant de plus près, elle constate une brèche dans la loi, votée en 1997 : si les inséminations réalisées par des médecins sont illégales, rien en revanche n’est spécifié quant à celles pratiquées par des sages-femmes. Seulement voilà, la vente des paillettes (petit tube de plastique contenant le sperme) par les banques de sperme est exclusivement réservée aux médecins. Peu importe, l’un d’eux, complice, ­achètera les paillettes et les fournira à la clinique que Nina Stork projette de créer pour les exclues de la PMA.

En 1999, StorkKlinik ouvre ses portes aux célibataires et aux lesbiennes. L’établissement n’est pas illégal mais contraire à l’esprit de la loi… Alors que les conservateurs se déchaînent, les médias soutiennent la sage-femme et saluent son ­courage. Les Danoises célibataires ou en couple homosexuel s’y rendent pour faire des bébés. L’écho est tel que, bientôt, des patientes affluent de toute l’Europe. Il faudra attendre janvier 2007 pour que le Danemark étende le droit de bénéficier d’une insémination artificielle à toutes les femmes, quels que soient leur orientation sexuelle ou leur statut marital.

Près d’un quart de siècle après sa création, l’engouement pour cet établissement perdure. Sur un grand planisphère accroché dans le hall d’entrée de la clinique, l’Europe est hérissée de punaises bleues, jaunes, rouges, vertes. Les autres continents sont moins présents, notamment l’Afrique. Néanmoins, plus de soixante-dix pays y sont épinglés, ceux dont les patientes sont originaires. « En 2021, 40 % des étrangers qui se sont rendus au Danemark pour suivre des traitements pour la ­fertilité ont choisi TFP Stork Fertility, assure Christina Thim Aggesø, la responsable marketing de l’établissement. Si l’on considère toutes les cliniques TFP au Danemark, ce chiffre dépasse 50 %. »

Un « tri des patientes » entraînant des exclusions

La StorkKlinik n’a plus grand-chose à voir avec la petite clinique artisanale de ses débuts : elle est devenue un établissement de pointe, rebaptisé « TFP » (The Fertility Partnership) Stork Fertility, membre du groupe européen TFP, qui compte dix-neuf ­cliniques. « Toutes les quatre-­vingt-dix minutes, un enfant TFP naît dans le monde, poursuit Christina Thim Aggesø. Nous sommes très fiers de pouvoir aider autant de personnes à réaliser leur rêve d’avoir un enfant. »

Chez StorkKlinik, le nombre de Françaises était en constante progression, jusqu’à l’épidémie
due au coronavirus. « Nous constatons qu’elles reviennent vers nous. Au cours de ces dernières années, nous en avons traité plus de 700, et nous avons des interventions prévues pour des Françaises dans les semaines et les mois à venir », annonce Christina Thim Aggesø. Combien sont-elles désormais ? Et pourquoi ne mènent-elles pas leur projet ­d’enfant en France ? « Difficile à savoir, répond Virginie Rozée, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (INED). Nous ne disposons pas de statistiques sur ce sujet. »

Elle codirige actuellement une enquête scientifique baptisée « AMP-Sans-Frontières », pour mesurer et comprendre les raisons de ce recours à l’assistance médicale à la pro­création hors de France. « Beaucoup vont à l’étranger parce que c’est plus rapide, poursuit-elle. Mais ce qui ressort de nos entretiens, c’est que l’inclusion n’est pas totale. La loi n’a pas été accompagnée de la réorga­nisation des soins – les centres peuvent se trouver loin des domiciles des patientes –, et des femmes nous ont rapporté s’être senties ­discriminées par des questions inappropriées sur le fait de faire famille seule, par exemple. Ce qui se dessine, c’est une sorte de tri des patientes, ce qui crée des exclusions, et donc des départs à l’étranger. »

Décision amère

En 2022, lorsqu’elle prend la décision de faire un bébé toute seule, Virginie, 37 ans, n’imagine pas devoir se rendre à l’étranger. Après tout, la loi française étendant l’accès à la PMA aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes a été promulguée en août 2021. Elle sait néanmoins que le parcours sera long et s’y prépare. Au mois d’août 2022, lors de son premier ren­dez-vous, la gynécologue évoque les délais. Virginie pourrait recevoir un don de sperme un an plus tard, en juillet 2023. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. En août 2023, elle a pris un rendez-vous avec une gynécologue de la StorkKlinik. Une décision amère : « Je croyais profondément au système de santé public, mais j’ai eu trop de mauvaises surprises."

La première, c’est la découverte des « véritables » délais d’attente. A Paris, sa ville d’origine, le délai est de dix-huit à vingt-quatre mois. A Marseille, où elle réside, on lui annonce douze mois. A Nantes et à Nancy, neuf mois. Sur la page d’accueil consacrée à la PMA de l’Agence de la biomédecine, le message est clair : « Les besoins en dons sont toujours très importants. En effet, le délai moyen de prise en charge est d’un an pour une PMA avec don de spermatozoïdes, avec des disparités sur le territoire national. Les personnes en attente peuvent donc devoir patienter ­plusieurs mois, voire plusieurs années. » Sept cent soixante hommes ont donné leur sperme en 2022, ­tandis que 15 100 demandes de ­première consultation au bénéfice de couples de femmes ou de femmes célibataires ont été recensées pour l’année 2022.

Virginie s’accroche. Son calendrier se charge de rendez-vous, pris des mois à l’avance. Celui prévu au Centre d’étude et de conservation du sperme (Cecos) de Marseille, pris en juillet 2022, est fixé à la mi-janvier 2023. Les Cecos sont les seuls établissements autorisés à recueillir les gamètes et à les distribuer. Il en existe 29 en France. Si la loi de bioéthique du 2 août 2021, qui entend faciliter « l’accès aux origines personnelles », n’autorise plus les dons anonymes, en France, deux stocks de paillettes coexistent : l’un, constitué depuis septembre 2022, compte 27 000 paillettes dont les donneurs sont connus ; l’autre, antérieur, est constitué de 89 000 paillettes anonymes. Celui-ci sera utilisé jusqu’au 31 mars 2025, a annoncé le gouvernement début août, pour « éviter tout gaspillage » et « donner le maximum de chances aux receveurs ». Ce stock sera détruit le 1er avril 2025. Les anciens et les nouveaux gamètes sont distribués de manière aléatoire. Les patientes ne choisissent pas.

A Marseille, la biologiste annonce à Virginie qu’elle recevra très probablement des paillettes de l’ancien stock. Autrement dit, un enfant issu de ce don (anonyme) pourrait ne jamais avoir accès à l’identité du donneur. A 18 ans, il lui sera certes possible de contacter la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (Capadd), pour en savoir plus sur ses origines, mais sans garantie d’obtenir des renseignements : les anciens donneurs peuvent en effet refuser que leurs données soient transmises.

Un coût de 5 000 à 6 000 euros

Si certaines femmes acceptent cet anonymat, voire le souhaitent, Virginie, elle, est douchée par la nouvelle : « Je suis sortie de là en me disant que cela ne me convenait pas. » Sa généraliste a bien tenté de la faire fléchir : « Vous vous compliquez la vie, peut-être que cet enfant se fichera de ses origines. » Des articles, des livres et des témoignages sur la quête des origines, Virginie en a beaucoup lu. « Je suis hypercurieuse, je veux toujours tout savoir sur tout. Si j’ai un enfant et qu’il a des interrogations – et il en aura –, je ne veux pas le laisser sans réponse. »

Elle tente alors sa chance à Nancy car la rumeur dit qu’on y dispose peut-être de nouveaux stocks. Elle doit s’y inventer une adresse, parce qu’on ne peut s’inscrire que dans un Cecos de son choix à la fois, de préférence dans sa région. A Nancy, on lui annonce avec franchise que l’état des stocks n’évoluera pas dans les deux années à venir. « Si c’est important pour vous, il faut aller à l’étranger », lui suggère-t-on. Virginie envisage aussi de se rendre à Paris, avant de se rendre à l’évidence que cela sera plus rapide à l’étranger.

Première étape : constituer un dossier de prise en charge de sa PMA par l’Assurance-maladie. « La gynécologue a mentionné mon âge, mon bilan de fertilité et les délais d’attente avant l’obtention d’un don. » Le dossier de Virginie a été accepté : la prise en charge forfaitaire assurée par la Sécurité sociale est de 3 000 euros (sur un coût total d’environ 5 000 à 6 000 euros), et 50 % de ses frais de voyage lui seront remboursés. Comme les nombreuses femmes engagées dans un parcours de PMA, il lui a fallu se familiariser avec un vocabulaire complexe, mémoriser des acronymes barbares qui ne sont pas les mêmes en français et en anglais, apprendre à déchiffrer une analyse sanguine et surveiller l­’actualité de la loi de bioéthique – Légifrance, mon amour.

Elle a aussi passé du temps à discuter avec ses amies de l’association Mam’enSolo, dont le but est de défendre collectivement les droits des parents célibataires et de leur apporter soutien et conseils, par le biais d’une importante communauté de solidarité. Résultat, Virginie est la plupart du temps mieux informée que ses soignants : « Ils sont souvent dans le flou et ne peuvent pas nous renseigner correctement. Ce n’est pas la PMA pour toutes, c’est la PMA en fonction de ses ressources de compréhension, de son entourage, de son territoire et de ses revenus. Ce n’est pas un système équitable. » La jeune femme, elle, a les moyens de se rendre au Danemark. Elle a d’abord pensé au Portugal, mais une amie lui a parlé de sa marraine, sage-femme à Copenhague. Elle s’est dit que ce serait rassurant de connaître quelqu’un sur place.

Perturbée par le « côté Tinder »

En ce qui concerne le donneur, elle a l’embarras du choix. Le Danemark est le pays leader de cette industrie. Virginie a passé un coup de fil à la European Sperm Bank, une des deux plus grandes banques de sperme au monde avec Cryos International, toutes deux danoises. Une interlocutrice lui a tout expliqué, en détail et en français, pendant quatre-vingt-dix minutes. Elle a découvert les tarifs, qui varient de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros selon le profil du ­donneur (anonyme ou non), la quantité d’éléments biographiques attendus (couleur préférée, rêves d’enfant…) et la qualité des sper­matozoïdes (plus ils sont mobiles, plus c’est cher).

L’impressionnante documentation fournie par les donneurs sur leurs caractéristiques la perturbe. Sur quels critères se fonder ? « Est-ce que je fais de l’eugénisme ? », s’interroge-t-elle. Puis très vite, elle est touchée par différents profils : « Il faut se laisser guider par son cœur. Un peu comme pour une rencontre. » Elle a aussi écouté la retranscription des entretiens du donneur avec la banque de sperme. « Sa photo enfant n’est pas jojo », mais elle a apprécié ce qu’elle a découvert le concernant : il a opté pour un don ouvert (qui donnera la possibilité à l’enfant issu de ce don d’obtenir des informations sur son identité) après avoir lu des articles sur les enfants nés de PMA ; il est aussi passionné de cinéma – ils ont le même film préféré. « C’est une histoire que je serai heureuse de raconter à un enfant né de ce parcours. » Virginie n’a pas encore choisi sa clinique.

Hélène, quant à elle, s’est rendue à Copenhague pour que ses enfants aient le même géniteur – elle a demandé à la clinique de choisir un donneur à sa place, perturbée par le « côté Tinder » des sites de banques de sperme. Dès sa première tentative, elle a pensé à réserver des paillettes du même donneur, « au cas où ». Après une première fille née en janvier 2020, elle est retournée au Danemark en 2022. Parce qu’elle ne disposait que de quatre paillettes du donneur de son aînée – « quatre, c’est pas énorme à mon âge [38 ans] » –, elle s’est lancée dans un double ­parcours : l’un en France, l’autre à Copenhague.

En France, plus de deux ans se sont écoulés entre son premier rendez-vous, en 2021, et son passage en commission, en mars 2023, où elle a obtenu une attri­bution de paillettes. A Copenhague, tout est allé très vite. « On m’a donné rendez-vous pour le mois suivant… » Elle a fait trois tentatives. La dernière, en décembre 2022, a fonctionné. Son accouchement est imminent.

Sur Facebook, elle a retrouvé des familles qui ont eu recours au mê­me donneur qu’elle. « Des parents comparent l’identifiant [un code chiffré]de leur donneur sur les réseaux sociaux, et parfois, ça matche », explique-t-elle. Son « groupe » compte une maman solo danoise qui a une petite fille, une Néerlandaise qui en a deux, et un couple d’Allemandes qui ont eu deux garçons. « Même s’il n’y a pas de mots pour définir ce lien, on a quelque chose en commun : on a toutes fait famille grâce à ce même donneur. »

En 2019, sur 40 000 actes de PMA réalisés au Danemark, 8 500 étaient destinés à des étrangers (environ 22 %). Dans ce pays de 5,7 millions d’habitants, la PMA est une pratique tout à fait banale. Environ 8 % à 10 % des enfants danois naissent grâce à ces techni­ques, contre 3,4 % en France : tout le monde connaît quelqu’un ayant eu recours à la PMA ou qui en est issu. Cette situation tient no­tamment à la législation danoise sur la procréation, l’une des plus libérales d’Europe. En Hongrie, en Italie et en Pologne, les lesbiennes ne sont pas autorisées à recevoir d’assistance à la procréation ; en Autriche, les femmes célibataires sont exclues des parcours de PMA (les enfants doivent avoir deux parents) ; en Suède, l’âge maximum est de 42 ans et le don anonyme interdit. Le Danemark, lui, autorise toutes les femmes à bénéficier de la PMA jusqu’à 46 ans (dans les cliniques privées) et à choisir un ­donneur, anonyme ou pas. Autre atout au Danemark, « nous n’avons pra­ti­quement aucun délai d’attente pour la plupart des traitements », souligne la StorkKlinik.

Le coût peut aussi motiver. Amalia, 39 ans, en est à sa cinquième tentative et à son deuxième aller-retour entre Londres et Copenhague. Cela lui revient cher, mais « bien moins » que si elle avait poursuivi sa démarche au Royaume-Uni. Après trois inséminations artificielles infructueuses, les médecins de la clinique privée londonienne, où sa compagne et elle étaient suivies, se sont montrés décourageants. Elles avaient déjà déboursé plus de 5 000 livres (5 800 euros). Au Danemark, la seconde tentative a réussi. Edith devrait naître en septembre 2023. Les deux femmes ont acheté un grand cahier dans lequel elles racontent sa conception.

« Ne pas être jugée »

Beaucoup optent aussi pour le Dane­mark parce qu’elles sont lassées de l’accueil qui leur est réservé dans leur pays d’origine. « Je me souviens d’un jeune couple d’Allemandes découragées car, dans leur pays, beaucoup de soignants avaient insinué que ce ne serait pas bon pour leurs enfants d’avoir deux mères, raconte Julia Nicholson, sage-femme à la Stork­Klinik. Pendant la première insémi­nation, l’une d’elles s’est effondrée en larmes. C’était la première fois au cours de leur parcours qu’elle vivait l’expérience de ne pas être jugée. Elle m’a même dit : “Il est plus important d’être bien traitée que de tomber enceinte.” »

Là réside l’une des clés de la popularité des cliniques danoises : les patientes s’y sentent acceptées. « On donne confiance en elles à ces femmes. On leur dit que leur choix est juste », souligne Julia Nicholson. Le soin apporté à la ­décoration n’est pas qu’une stratégie marketing. Nina Stork, fondatrice de la clinique, a voulu donner aux patientes un cadre rassurant et une procédure médicale la moins froide possible. Julia Nicholson se sent « fière » de sa patrie : « On a été le ­premier pays à légaliser le mariage entre les personnes de même sexe [en 1989]. En tant que lesbienne, je ne me suis jamais sentie rejetée pour ce que je suis. »

Devenue directrice générale adjointe de Stork en 2022, Julia Nicholson a toujours travaillé dans cette clinique. Elle avait 24 ans quand cette sage-femme en a poussé la porte pour un stage. Lesbienne, elle connaissait l’histoire de Stork et avait décidé que c’était là qu’elle ferait des enfants un jour. Aujourd’hui, elle a 40 ans et deux fils de 11 ans et 8 ans « conçus par Stork ». L’aîné par insémination, le cadet par fécondation in vitro (FIV). « J’ai testé tous nos produits », s’amuse-t-elle. Elle note que, pour les lesbiennes, le choix d’une PMA est souvent mieux vécu : « On a toujours su que cela se passerait comme ça, c’est donc plus facile à vivre pour nous. Pour les hétérosexuelles céli­bataires, c’est souvent un second choix. Leur plan initial n’était pas d’avoir un enfant seules mais avec un partenaire. »

« Pas de faux espoirs »

Si tous les parcours sont éprouvants, ceux des étrangères peuvent l’être davantage. Lorsqu’elles arrivent au Danemark, c’est souvent à la suite d’une mauvaise expérience dans leur pays ou parce qu’on leur refuse le droit d’avoir des enfants. « Le plus important, c’est de ne pas leur donner de faux espoirs, prévient Heidi Christiansen, médecin à Stork. Je leur présente des pronostics réalistes, mais il ne s’agit pas non plus d’entamer leur optimisme. » La sœur d’Heidi Christiansen est née d’une FIV. La soignante a choisi son métier précisément parce qu’elle a vu ce que c’était de « faire un enfant comme ça », et qu’elle sait ce que « signifie une famille ».

Mère de deux garçons de 9 ans et 7 ans, elle a aidé à la conception d’une centaine de bébés. « Ma mission, c’est ce que je dis à mes patients, c’est qu’on fera tout ce qu’on peut faire. » « Faire tout ce qu’on peut », précise-t-elle, consiste à ne pas choisir la « solution de ­facilité, qui est d’arrêter les traitements au premier obstacle ». Elle a suivi un jeune couple hété­ro­sexuel qui, après sept ou huit ­tentatives vaines ailleurs, a fait appel à Stork. Cela a pris du temps, mais le couple a eu un enfant. « J’encourage autant que je peux et tant que ça a du sens, explique Heidi Christiansen. Mais c’est comme jouer à la loterie, ce n’est pas à moi de décider de renoncer à une chance, même la plus infime. »

Cela ne fonctionne pas à tous les coups. Plus tôt ce jour-là, elle a dû annoncer à une femme célibataire de 44 ans que ce n’était plus la peine de continuer. Malgré sept tentatives, la patiente, qui souffre de multiples fibromes utérins, n’est jamais tombée enceinte.

Zineb Dryef