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Entre droite et extrême droite, les jeunes militants prônent l’union libre

En affichant publiquement leurs points de convergence, les leaders des mouvements de jeunesse de LR, du RN et de Reconquête ! officialisent le partage d’angoisses « civilisationnelles » et servent le discours zemmourien d’union des droites.

Par Alexandre Pedro et Clément Guillou

Publié le 10 mars 2023

Lors d’un meeting d’Eric Zemmour durant la campagne présidentielle, au Palais des sports de Paris, le 7 avril 2022.

  Lors d’un meeting d’Eric Zemmour durant la campagne présidentielle, au Palais des sports de Paris, le 7 avril 2022. BERTRAND GUAY / AFP

 

« Jeune patriote cherche même profil pour union libre, dans le but de sauver la France. Ecrire au journal L’Incorrect, qui transmettra. » La « petite annonce » est parue, vendredi 3 mars, à la « une » du magazine conservateur, sous la forme d’un entretien croisé entre les responsables des mouvements de jeunesse du parti Les Républicains (LR), de Reconquête ! et du Rassemblement national (RN). Ceux-ci posent tout sourire, comme trois copains venant de boire une bière, qu’ils ont d’ailleurs prise après l’entretien, réalisé le jour de la Saint-Valentin, le 14 février.

 

Sur la photo, le zemmourien Stanislas Rigault éclipse le LR Guilhem Carayon, relégué à la marge, et ouvre sa paume droite à Pierre-Romain Thionnet, le directeur national du Rassemblement national de la jeunesse. Chacun est venu comme il est : chemise blanche et costume de la droite bien élevée pour les deux premiers, polo Fred Perry et baskets Gazelle blanches, dress code de l’extrême droite, pour le dernier.

 

Comme L’Incorrect est un magazine farceur, il titre : « Les jeunes coupent le cordon », entendez par là ce maudit cordon sanitaire, entrave à son fantasme d’une « union des droites » tirant bien volontiers à l’extrême droite. Le piège se referme sur LR et le vainqueur de l’opération s’affiche, pleine page, en quatrième couverture : Eric Zemmour, et un lien pour adhérer à son parti, Reconquête !.

Vocable commun

Sur douze pages, relues et validées par eux, les trois hommes étalent leurs divergences et points d’accord. La seconde colonne est bien fournie. Sur la réforme des retraites ou les services publics, l’antilibéralisme de Pierre-Romain Thionnet, élevé à la pensée du philosophe socialiste et conservateur Jean-Claude Michéa, dénote par rapport aux positions de ses deux contradicteurs.

Mais les trois se rejoignent sur les thématiques du « wokisme », de la laïcité et de l’immigration, partagent un vocable commun, et concluent dans un esprit de concorde : « J’espère vraiment que nous nous retrouverons tous sous la même bannière pour battre Emmanuel Macron et son successeur », lance Pierre-Romain Thionnet.

 

« Sur beaucoup de questions, on a des points de convergence, notamment sur l’insécurité et la crise civilisationnelle », relance Guilhem Carayon, qui prend soin de préciser que son parti est le seul en mesure de relever le pays. A Stanislas Rigault le dernier mot : « Je suis certain que face à l’enjeu de civilisation qui attend notre génération, nous finirons par travailler ensemble, pour gagner ensemble. »

Ces trois-là ne représentent pas uniquement leur mouvement de jeunesse. M. Rigault est membre du bureau exécutif de Reconquête !. Pierre-Romain Thionnet est l’homme qui murmure des idées à l’oreille de Jordan Bardella, président du RN. Guilhem Carayon est porte-parole de LR. Le président du RN comme celui de LR, Eric Ciotti, ont soutenu publiquement leurs ouailles, « libres de débattre », face aux critiques en interne.

 

Quand Eric Zemmour se frotte les mains et assure le service après-vente de l’entretien, l’épisode fait hurler certains chez LR, pour des raisons historiques. « Ça commence à bien faire, les conneries ! », tonne Xavier Bertrand, jeudi 2 mars, sur RMC. « On peut avoir des sensibilités différentes dans la famille de la droite, mais là, ce n’est pas de la même nature, s’inquiète François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne. On a un tel vide de la pensée chez LR que des jeunes comme M. Carayon ne voient plus la frontière avec l’extrême droite. »

« Faute politique »

L’intéressé assure pourtant « être opposé » à l’union des droites. Ce qui n’empêche pas Pierre-Henri Dumont, tenant d’une droite sociale, de dénoncer une « faute politique » de Guilhem Carayon, l’occasion de toucher par ricochet Eric Ciotti, dont il ne digère pas qu’il ait imposé à son ami Aurélien Pradié la démission de ses fonctions de numéro deux de LR. « Soit Guilhem est naïf, et c’est inquiétant quand on est porte-parole du parti, soit il l’a fait à dessein et c’est encore pire », souffle le député du Pas-de-Calais.

Au Rassemblement national, l’entretien incommode certains députés pour des raisons stratégiques. Bruno Bilde, député (RN) du Pas-de-Calais, est « dépité : comment peuvent-ils croire qu’ils vont jouer au plus malin avec des mecs comme ça ? » Autre figure du parti, Sébastien Chenu rappelle que « l’union des droites n’est toujours pas au programme ». Le vice-président de l’Assemblée nationale assure que l’avenir montrera, dès les élections européennes de 2024, que le RN est capable de s’ouvrir vers la gauche.

 

« Cet entretien est positif dans l’optique de notre stratégie de s’élargir, de faire sauter des verrous, en parlant avec LR, qui a une antériorité dans la gouvernance du pays, développe le vice-président du RN. Ce qui est l’est moins, c’est de se mettre ainsi sur un pied d’égalité avec LR et Eric Zemmour, alors qu’ils n’ont pas les mêmes parts de marché. »

Aucun membre du trio interrogé n’a vu malice à la rencontre. Lorsqu’ils en discutent autour d’un verre, après l’interview, en compagnie de l’équipe du magazine, pas un ne mentionne un possible inconfort dans leurs structures de tutelle, ni n’anticipe l’émoi sur les réseaux sociaux. Pas un n’imagine, non plus, la mousse médiatique que produira la manchette de L’Incorrect.

Et pour cause, pour cette génération, la frontière entre droite et extrême droite est poreuse depuis des années. Elle traverse les courants et des organisations multiples, politiques ou étudiantes, où l’union des droites, loin d’être un tabou, est un objectif – UNI, Cocarde étudiante, club de réflexion souverainiste de Sciences Po, Debout la France ou Droite populaire, le collectif fondé en 2010 par Thierry Mariani au sein de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) et où émarge… Bernard Carayon, père de Guilhem.

Droite parisienne « hors les murs »

« [Ce] sont des gens avec qui on a tous grandi politiquement, on était dans les mêmes soirées étudiantes (…) et on savait qu’on finirait un jour par se retrouver et par travailler ensemble », a rappelé sur France Inter Jordan Bardella, le 1er mars. Le jeune président lepéniste n’a pas oublié sa Saint-Sylvestre 2014, lorsqu’un réveillon chez sa petite amie de l’époque réunissait des jeunes de l’UMP, du RN, de Debout la France et même Florian Philippot, alors dauphin de Marine Le Pen. La sauterie, rendue publique, avait fait tousser les seniors bien davantage qu’aujourd’hui.

Cette « droite hors les murs » parisienne partage un logiciel conservateur mâtiné de souverainisme, milite dans les universités face aux mêmes syndicats étudiants de gauche, sort dans les mêmes bars du 5e arrondissement, se croise aux conférences du centre de formation de l’extrême droite, l’Institut de formation politique, boit les paroles de Pierre Gentillet, avocat réprouvant l’Etat de droit et omniprésent sur la chaîne CNews.

L’identitarisme a supplanté le souverainisme comme ciment du « camp national », ainsi que cette jeunesse s’identifie

Autant d’occasions de partager et enrichir ses obsessions migratoires. Y compris pour Guilhem Carayon, qui, avec Stanislas Rigault, ne partage pas que la passion du rugby. Dans l’entretien, le jeune LR reprend cette antienne identitaire :« Si on peut assimiler des personnes, on ne peut pas assimiler des peuples. » Guilhem Carayon est le fils de son père, Bernard Carayon, ancien du Groupe union défense, le GUD, organisation étudiante d’extrême droite, et partisan d’alliances avec le Front national dans son département du Tarn.

Cette jeunesse de droite radicale se sent liée par une peur qui dépasse toutes les autres, celle du « grand remplacement » – concept xénophobe et fantasmatique selon lequel les populations immigrées venues d’Afrique seraient en train de remplacer numériquement les populations européennes. L’identitarisme a supplanté le souverainisme comme ciment du « camp national », ainsi qu’elle s’identifie. Ce que dit Pierre-Romain Thionnet, justifiant l’entretien, dans un tweet du 1er mars : « Il n’y a rien d’étonnant à ce que notre génération mène de très nombreux combats communs, à commencer par la volonté que le peuple français continue et ne change pas irrémédiablement. »

 

Reste une question : ce dialogue est-il, comme l’espère Stanislas Rigault, « un premier chemin », ou une simple entaille dans le cordon sanitaire entre LR et l’extrême droite ? Depuis son élection, à l’automne 2022, à la tête du parti, Jordan Bardella n’avait rien fait pour sortir le RN de son isolement, en dehors d’appels convenus aux électeurs de LR et d’Eric Zemmour. Faut-il voir là un premier pas, par l’entremise de son ancien assistant parlementaire ? Tout un milieu l’espère, qui voit en Marine Le Pen le dernier obstacle à l’union. La triple candidate à l’élection présidentielle n’avait pas été mise au courant de cet entretien.