Pendant que Macron alerte sur le « fléau » du plastique, l’Elysée commande des centaines de milliers d’« articles jetables » pour ses cuisines
La présidence de la République a conclu un contrat de fourniture de matériel de cuisine jetable, fermant la porte à des solutions alternatives, comme le réemploi ou les matériaux durables.
Par Maxime Vaudano
Publié le 04 septembre 2023Dans les cuisines du palais de l’Elysée, en octobre 2013. MARTIN BUREAU / AFP
Cent trente mille barquettes de cuisson, 5 000 rouleaux de film alimentaire, 72 000 sacs de cuisson sous vide, 7 000 pochettes de congélation… Une vague de plastique s’apprête à déferler dans les cuisines de l’Elysée. Les services du Château ont conclu en mars un contrat avec trois fournisseurs pour s’approvisionner en « articles jetables de cuisine »jusqu’à la fin du quinquennat. A rebours des prises de position publiques du président Emmanuel Macron, qui dénonçait le 29 mai le « fléau » de la pollution plastique, une « bombe à retardement » qu’il s’agirait de désamorcer « le plus vite possible » afin de « sauver notre planète ».
Ce marché permettra à l’Elysée de fournir ses restaurants et sa crèche en articles jetables de cuisine en fonction de ses besoins sur la période 2023-2027, pour un montant maximal de 432 000 euros. Sollicitée, la présidence de la République affirme que « la plupart » de ces produits concernés sont en papier ou en carton. La présence de plastique serait « marginale », limitée à des articles soumis à des normes d’« hygiène », comme le film alimentaire ou les poches à douille de pâtisserie.
Pourtant, d’après les documents contractuels transmis au Monde par l’Elysée, dix-sept des trente références de produits du cahier des charges contiennent du plastique : pots à sauce, sacs bretelles, housses de protection de chariots, sacs-poubelle, barquettes de cuisson, bacs de stockage… Plus de 800 000 articles de cuisine jetables en plastique pourraient être livrés sur quatre ans, selon nos calculs, à partir d’une simulation de commande présente dans les documents du marché. Alors même que des solutions alternatives en verre, tissu, métal ou pulpe de canne existent sur le marché pour chacun de ces produits. « Si un consommateur lambda est capable d’avoir accès à des solutions alternatives, je ne vois pas pourquoi l’Elysée n’en serait pas capable », estime Nathalie Gontard, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste de la pollution plastique.
Réagissant après la publication de cet article, l’Elysée précise que la simulation de commande « ne préjuge en rien de notre utilisation réelle actuelle depuis la mise en œuvre de ce marché ». La présidence affirme qu’en six mois, seules 5 % des dépenses engagées correspondent à des produits plastiques – contre 63 % en 2019. Et justifie le recours à de certains produits non réutilisables, comme les sachets sandwich ou les couverts en bois, par la « double problématique d’hygiène et de logistique » posée par les « déplacements nationaux et internationaux de la présidence, notamment pour la confection de repas à emporter ».
« Une occasion manquée »
« Le lancement de l’appel d’offres s’est fait après étude des différentes options et transformation des méthodes de travail pour s’aligner sur les objectifs d’exemplarité en matière de gaspillage et d’utilisation du plastique », explique encore le service de presse de l’Elysée. « Il n’y a aucune remise en cause du plastique et du jetable dans la manière dont l’appel d’offres a été rédigé », relève au contraire Juliette Franquet, directrice de l’ONG antigaspillage Zero Waste France.
De fait, le cahier des charges imposait d’emblée aux entreprises candidates la fourniture d’articles jetables, en fermant la porte à des solutions de réemploi, comme les barquettes en verre ou le film alimentaire réutilisable. Le critère environnemental, qui ne comptait que pour 15 % dans l’évaluation des candidats au marché, se concentrait surtout sur la qualité du parc automobile utilisé pour les livraisons, sans s’attarder sur les produits eux-mêmes. « Il n’y a pas une seule mention dans l’appel d’offres de l’enjeu de réduction du plastique », note Nathalie Gontard. « C’est une occasion manquée, car ce type de gros contrat public pourrait favoriser des acteurs qui proposent des solutions alternatives, afin d’aider les filières à se développer », regrette Juliette Franquet.
Devoir « d’exemplarité » de l’Etat
Le calendrier de ce contrat peut également interroger : il a été conclu en pleine offensive du gouvernement sur la réduction du plastique à usage unique, qui doit disparaître des entreprises, administrations et foyers français d’ici à 2040. En janvier, l’exécutif vantait l’entrée en vigueur de l’interdiction de la vaisselle jetable dans les fast-foods, présentée comme une mesure pionnière à l’échelle mondiale. « S’habituer à vivre avec du tout-jetable, c’est ne pas se rendre compte de tous les coûts qu’il y a à côté. On ne paie pas aujourd’hui à leur juste prix (…) les dégâts dans les écosystèmes liés à la prolifération du plastique », avait déclaré en janvier Christophe Béchu, ministre de la transition écologique. « La pollution plastique est un fléau à l’échelle planétaire, dont nous commençons seulement à appréhender les conséquences, a renchéri le président Macron en mai, en marge de négociations internationales sur la réduction de la pollution plastique. Nous serons là pour (…) aller au bout de ce combat essentiel, pour changer les modes de production, les comportements afin de sauver notre planète. »
« Ce marché d’articles de cuisine jetables n’est pas à la hauteur de l’ambition affichée par le président : s’il veut que la France soit avant-gardiste, il devrait commencer par l’appliquer à l’Elysée », estime Juliette Franquet. D’autant que la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC), votée en 2020, impose théoriquement aux pouvoirs publics d’être exemplaires en la matière. L’article 77 interdit à l’Etat d’acheter du plastique « en vue d’une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu’il organise ». Mais il ne s’applique « pas à la production en cuisine », assure l’Elysée.
« Quand je vois qu’on est en train de demander aux cantines scolaires de s’organiser pour réduire drastiquement l’utilisation de plastique [d’ici à 2025, comme le prévoit la loi AGEC], ça me choque que l’Elysée ne donne pas l’exemple, s’insurge Nathalie Gontard. C’est triste que l’effort ne démarre pas au sein de la présidence de la République, qui a très probablement les moyens intellectuels et financiers pour le faire. » En gage d’« exemplarité », le service de presse de M. Macron préfère se vanter auprès du Monde de fournir le personnel de la présidence en « gourdes », « fontaines à eau », « dosettes de café recyclables » et se félicite de la « fin des achats de poubelles en plastique ».