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Aux vœux de Jordan Bardella, l’ombre de la « GUD connexion »

Le président du Rassemblement national a dû s’expliquer lundi sur le maintien de relations d’affaires avec Frédéric Chatillon, ancien patron du Groupe union défense, une organisation étudiante d’extrême droite connue pour son radicalisme et sa violence.

Par Clément Guillou et Corentin Lesueur

Publié le 15 janvier 2024 à 22h52, modifié le 16 janvier

Lors des vœux à la presse de Jordan Bardella, à Paris, le 15 janvier 2024.

 Lors des vœux à la presse de Jordan Bardella, à Paris, le 15 janvier 2024. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

 

Depuis bientôt un an, le Rassemblement national (RN) s’emploie à prendre ses distances avec un compagnon de route embarrassant du parti du nom de Frédéric Chatillon, figure du milieu nationaliste révolutionnaire – un courant néofasciste voulant combattre notamment l’impérialisme « américano-sioniste ». Las : le pilier de la « GUD Connexion » (pour Groupe union défense, une organisation étudiante d’extrême droite connue pour son radicalisme et sa violence), qui a accompagné l’ascension politique de Marine Le Pen et Jordan Bardella, colle aux cravates du parti lepéniste comme le sparadrap au capitaine Haddock.

Lundi 15 janvier, son nom s’est invité aux vœux du président du parti, Jordan Bardella, après une révélation du journal Libération : s’appuyant sur des e-mails internes au parti, le quotidien révèle l’implication directe de Frédéric Chatillon dans l’organisation de la campagne des élections régionales de 2021, « en tant que coordinateur de l’impression de documents de campagne du parti ». Soit quatre ans après que le parti a prétendument coupé les ponts avec lui, et moins d’un an après sa condamnation en première instance (confirmée en appel en 2023) dans l’affaire dite des « kits de campagne » du Front national (FN, ancien nom du RN).

 

Lors de la conférence de presse de M. Bardella, la mention de son nom a passablement agacé Marine Le Pen. Elle qui se montre soucieuse de prendre publiquement ses distances avec ce quinquagénaire exilé à Rome, adepte des clins d’œil au folklore nazi, proche d’antisémites patentés tel Dieudonné, et dont la dernière et rarissime sortie médiatique, en mai 2023, avait pris la forme d’un soutien au défilé néofasciste annuel dans les rues de Paris, qui a lieu tous les 6 mai.

Intermédiaire entre le parti et son imprimeur

Selon un cadre de la dernière campagne présidentielle du RN, interrogé par Le Monde et désireux de rester anonyme par crainte de représailles, M. Chatillon a continué en 2022 d’être l’intermédiaire entre le parti et son imprimeur, supervisant notamment la fourniture du papier. La candidate Marine Le Pen était, selon cette source, l’interlocutrice directe de M. Chatillon aux heures les plus incertaines : notamment lorsque le RN fut menacé d’une réimpression de sa profession de foi pour le second tour de l’élection présidentielle, en raison « des réserves » émises par la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale.

Marine Le Pen, lors des vœux à la presse de Jordan Bardella, à Paris, le 15 janvier 2024.

 Marine Le Pen, lors des vœux à la presse de Jordan Bardella, à Paris, le 15 janvier 2024. CYRIL BITTON /DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

 

Lundi, Jordan Bardella a démenti toute implication de Frédéric Chatillon dans les campagnes présidentielle et législatives de 2022. Il a cependant confirmé l’information de Libération sur sa participation à la campagne des régionales de 2021, précisant que M. Chatillon était rémunéré par l’imprimeur du RN, la société Imprimatur, et non par le parti.

Dans les e-mails, que Le Monde a pu consulter, l’ancien chef du GUD signe parfois « Frédéric Chatillon pour Imprimatur » et gère l’adresse e-mail « elections-regionales@i-imprimatur.fr ». A un cadre local, il propose d’utiliser la maquette de l’affiche et de la profession de foi de Jordan Bardella, alors tête de liste en Ile-de-France. Frédéric Chatillon ne s’occupe pas uniquement des documents électoraux officiels des candidats aux régionales – dits « R39 », du nom de l’article du code électoral qui prévoit leur remboursement par l’Etat – mais aussi des tracts de second tour ou des cartes postales à l’effigie des têtes de liste.

Joint par Le Monde, le PDG d’Imprimatur, Jean-Philippe Tauran, a sèchement répondu : « Je n’ai rien à dire là-dessus. Je n’ai pas envie de jouer. » Interrogé sur son besoin de recourir aux services de Frédéric Chatillon comme intermédiaire, malgré son expérience des impressions électorales, il a répondu : « On sait faire des campagnes, c’est notre métier. » C’était aussi le métier de son père, Jacques Tauran, à la fois imprimeur du FN, membre de son bureau politique et élu au Parlement européen entre 1989 et 1994.

Des marges confortables

Ces e-mails confirment que Frédéric Chatillon n’a jamais perdu la main sur la source principale de revenus pour le prestataire d’un parti politique : l’impression du matériel électoral, et notamment le « R39 », qui offre la garantie d’un remboursement de l’Etat et des marges confortables. En parallèle de l’accession de Marine Le Pen à la présidence du RN, en 2011, la « GUD Connexion » avait récupéré les contrats d’impression des grandes campagnes électorales. Depuis le scrutin européen de 2019, la famille Tauran, par le biais de sa société Imprimatur, est redevenue l’imprimeur principal du RN. M. Tauran avait déjà rendu service au parti en employant en 2013 l’un des amis du député FN Louis Aliot, alors candidat à la mairie de Perpignan, comme l’avait révélé Mediapart.

Loin d’être un simple « actionnaire minoritaire de prestataire », comme le disait Marine Le Pen au Monde, en mai 2023, Frédéric Chatillon avait donc, jusqu’en 2021 au moins, trois sources de revenus grâce au Rassemblement national. La première en étant rémunéré par son imprimeur de campagne. La deuxième comme actionnaire, à hauteur de 30 %, de la société e-Politic, le principal prestataire de communication du RN et de ses élus, en France comme au Parlement européen. La troisième par l’intermédiaire de sa femme Sighild Blanc, propriétaire de l’entreprise Unanime, l’imprimeur du groupe du RN au Parlement européen.

« Je ne dirais pas que c’est un ami »

La première source s’est tarie, si l’on en croit le parti. Concernant la deuxième, e-Politic, M. Chatillon a cédé ses parts dans la société en octobre 2023 à l’un de ses amis les plus proches, Paul-Alexandre Martin, désormais seul propriétaire et gérant de cette entreprise de communication. La troisième a déjà rapporté quelque 865 000 euros de chiffre d’affaires à l’entreprise Unanime entre 2020 et 2022, selon les chiffres déclarés au Parlement européen. Une somme appelée à gonfler d’ici la fin du mandat européen, en juin. Interrogé sur l’opportunité de renouveler ce contrat au-delà du scrutin du 9 juin, M. Bardella a laissé entendre que ce n’était pas exclu : « Cela dépendra des équilibres et de l’état du groupe à l’issue des élections européennes. »

En novembre 2022, Frédéric Chatillon s’était, dans un rare message politique, publiquement réjoui de la victoire de Jordan Bardella à l’élection à la présidence du mouvement. Le week-end des 13 et 14 janvier, les deux hommes ont échangé par messagerie, alors que des caméras de l’émission « Complément d’enquête » attendaient M. Chatillon en bas de son domicile romain. « Je ne dirais pas que c’est un ami, a précisé le jeune président du RN, lors de ses vœux. C’est un prestataire de notre groupe au Parlement européen. »

Frédéric Chatillon se décrit lui, auprès de ses amis, comme « un homme libre ». Qui n’aime pas trop rendre des comptes. Contacté par Libération au sujet de ces e-mails, il a répondu par une insulte : « Cafard. »