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Anticor dénonce le possible détournement de plus de 15 milliards d’euros dans l’affaire des faillites d’entreprises

L’association anticorruption se constitue partie civile dans le dossier des détournements d’argent présumés à l’Agence de garantie des salaires.

Par Anne Michel

Publié le 03 mai 2023

 

Une partie des 2 882 salariés de Mory Ducros licenciés après la liquidation judiciaire de l’entreprise, en 2014, n’auraient pas été payés, en raison des détournements des fonds de l’Agence de garantie des salaires.

 Une partie des 2 882 salariés de Mory Ducros licenciés après la liquidation judiciaire de l’entreprise, en 2014, n’auraient pas été payés, en raison des détournements des fonds de l’Agence de garantie des salaires. PHILIPPE HUGUEN / AFP

 

Anticor s’invite dans le scandale financier qui frappe l’Agence de garantie des salaires (AGS), où des milliards d’euros se seraient envolés, ces dernières années, au préjudice d’entreprises françaises, mais aussi de milliers de salariés un peu partout en France.

Selon les informations du Monde, l’association anticorruption a décidé de se constituer partie civile dans l’information judiciaire ouverte au parquet de Paris sur des malversations présumées au sein de l’AGS, qui auraient conduit au possible détournement de plus de 15 milliards d’euros en treize ans.

Cet organisme patronal joue un rôle central dans l’économie française : sorte de fonds mobilisable dans l’urgence, il est chargé de payer les salariés d’entreprises placées en redressement ou en liquidation judiciaire. Créé à l’initiative des employeurs au nom de la solidarité interprofessionnelle, l’AGS est abondé par des cotisations patronales payées par l’ensemble des entreprises.

Anomalies, écarts et infractions

La demande de constitution de partie civile d’Anticor, déposée mardi 2 mai, concerne des faits de corruption et de prise illégale d’intérêts déjà en cours d’investigation, et pour lesquels Anticor, agréée par le gouvernement, peut ester en justice.

Dans le dossier remis au juge chargé de l’instruction, qu’a consulté Le Monde, l’association anticorruption demande par ailleurs à ce que l’enquête soit élargie à des faits de « détournement de biens publics ».

 

Anticor explique en effet avoir mis au jour de nouvelles informations exposant un possible système de détournement d’argent à grande échelle, allant au-delà de l’ex-direction de l’AGS, partie en 2018. L’association pointe du doigt une partie du réseau de mandataires judiciaires liés à l’agence, payés en honoraires, dont le rôle est de distribuer aux salariés les fonds gérés par l’AGS. Même s’il s’agit d’argent privé, Anticor estime que l’infraction de détournement de biens publics peut s’appliquer, puisque l’AGS comme les mandataires sont chargés d’une mission de service public.

 

Ces soupçons figuraient déjà dans l’une des deux plaintes à l’origine de l’ouverture de l’enquête judiciaire, déposée en octobre 2019 par l’AGS et la délégation Unédic AGS (DUA), l’organisme chargé de la gestion opérationnelle du régime de garantie. Après la mise au jour de possibles infractions par la nouvelle directrice de la DUA, les deux organismes avaient dénoncé à la justice de possibles faits d’abus de confiance, faux et recel commis par des mandataires judiciaires, trop vite « labellisés » pour gérer ces procédures collectives et traitant les dossiers de façon accélérée et « sans contrôle a priori ».

De nombreuses anomalies de gestion avaient été signalées, comme ces dossiers classés en pertes dans la comptabilité de l’AGS, sur simple déclaration de mandataires, alors même qu’ils n’étaient pas clôturés. Ou bien encore de gros écarts, difficilement justifiables, entre les avances de fonds versées par l’AGS aux mandataires pour payer les salariés et les sommes récupérées in fine par l’agence de garantie auprès des mandataires, une fois les actifs des entreprises défaillantes vendus.

15,1 milliards d’euros non récupérés

Mais Anticor livre aujourd’hui de nouveaux éléments qui éclairent, selon elle, « le mécanisme des infractions commises par les mandataires judiciaires ». Des semaines durant, l’association anticorruption s’est penchée sur les comptes de l’AGS et les flux financiers circulant vers les mandataires, en s’appuyant aussi sur le rapport d’audit commandé par la nouvelle direction de l’AGS au cabinet EY. Se fondant sur la « différence conséquente entre les cotisations perçues [par l’AGS], les avances réalisées, et les récupérations », Anticor estime qu’« à chaque étape des transactions, des infractions pénales sont potentiellement commises ».

Au total, « 15,1 milliards d’euros n’ont pas été récupérés par l’AGS et ont donc potentiellement fait l’objet de détournement de biens », sur une période allant de 2009 à 2022, selon les calculs de l’association. De nouveaux contrôles, plus stricts, ont cependant été instaurés à compter de 2019, réduisant le risque de détournement.

L’un des points saillants du dossier constitué par Anticor porte sur le préjudice subi par les salariés d’entreprises défaillantes, qui n’auraient pas été payés par certains mandataires en dépit des avances de fonds de l’AGS : selon l’association, « l’absence de contrôle (…) a pu permettre à certains mandataires de détourner ces sommes (…) pour un montant minimum de plus de 700 millions d’euros » sur les vingt dernières années. Elle cite le cas de Mory Ducros, cette société de messagerie dont la liquidation judiciaire prononcée en février 2014 avait fait les gros titres. Une partie de ses 2 882 salariés licenciés n’auraient pas été payés.

« Corruption systémique »

« Ce dossier est écœurant car il révèle des dysfonctionnements à toutes les étapes et des malversations présumées d’une ampleur phénoménale au détriment des salariés, estime Elise Van Beneden, la présidente d’Anticor. Il montre que partout où il y a de l’argent et du pouvoir, il faut des contrôles et à chaque étape. »

 

Pour elle, l’affaire de l’AGS a ceci d’inacceptable qu’elle « a entraîné le licenciement de la personne à l’origine de la révélation des faits », à savoir l’ex-directrice de la DUA, Houria Aouimeur. Celle-ci a été licenciée, en février, pour « faute lourde », accusée de dépenses professionnelles abusives et d’irrégularités dans la passation de marchés publics. Mais pour Anticor, il s’agit d’un acte de représailles : « Notre société n’évitera pas le pire si nous bâillonnons ceux qui alertent », met en garde Elise Van Beneden.

 

« Nous sommes face à une affaire de corruption systémique », dénonce Jérôme Karsenti. L’avocat d’Anticor attend beaucoup de la demande de supplément d’information adressée au juge d’instruction Vincent Lemonier : « Le dossier est lourd, avec des professionnels du droit qui ont pour mission de sauver des entreprises, mais qui, ayant une mainmise totale sur la distribution d’argent à destination des salariés et sur les actifs des sociétés, se sont constitués des petites fortunes. Il y a ici quelque chose d’inique, c’est de l’économie française dont il s’agit », conclut MKarsenti.