JustPaste.it

un programme économique d’alternative au macronisme

Nouveau Front populaire : un programme économique d’alternative au macronisme

14 juin 2024 | Par Romaric Godin

 

Présenté le 14 juin, le programme économique de l’alliance de gauche est classiquement social-démocrate : il met l’accent sur le rôle de l’État, la lutte contre les inégalités et le détricotage des réformes macronistes. 

La part économique du « contrat de législature » du Nouveau Front populaire (NFP) n’est pas à proprement parler un programme. On n’y trouvera pas d’éléments de chiffrage, mais c’est le corollaire naturel d’une campagne courte. En revanche, ce contrat dessine un certain nombre d’actions prévues selon un calendrier en trois phases : dans les deux premières semaines, dans les cent jours et dans le reste de la législature.

 

000-34wp4nd.jpgLa présentation du programme du Nouveau Front populaire à Paris le 14 juin. © JULIEN DE ROSA / AFP

 

Cette division chronologique permet de distinguer les priorités et de déployer une action en posant les fondements de décisions plus profondes. En cela, ce projet n’abandonne pas une ambition de transformation qui constitue sa troisième partie. Mais il prend en compte la situation politique et sociale qui impose d’abord de réparer un pays soumis à la violence néolibérale depuis près de quinze ans. 

Soutien au niveau de vie

La première étape pourrait donc être qualifiée de « défensive », il s’agit d’en finir avec la violence néolibérale de l’ère Macron, en prenant des mesures de protection et en revenant sur certaines réformes. Il y aura donc une abrogation de la réforme des retraites de 2023 et de la réforme de l’assurance-chômage (rien n’est précisé concernant les trois précédentes réformes).

La protection, elle, passe par une tentative de maîtrise de l’inflation par « le blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants ». Dans le domaine agricole, la garantie du prix plancher est ainsi compensée par une taxation des superprofits de l’agro-industrie et de la grande distribution, empêchant le cercle vicieux de l’effet d’aubaine pour les profits qui a enflammé les prix en 2022 et 2023.

Mais la question du niveau de vie est moins aujourd’hui l’augmentation actuelle des prix que leur niveau depuis trois ans au regard de l’évolution des salaires. C’est pour cette raison que les mesures proposées sont d’abord centrées sur le renforcement des revenus : augmentation du minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté, l’augmentation du Smic à 1 600 euros net, hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires.

Cette politique peut être qualifiée de « réparatrice » pour venir compenser la baisse du niveau de vie que l’inflation a induite depuis 2021. Ces premières mesures peuvent paraître relativement modestes et elles le sont, mais elles sont aussi les seules qui peuvent être prises rapidement par la décision d’un gouvernement. Compte tenu de l’état désastreux du secteur du commerce en France, ces mesures ne peuvent cependant qu’être un soutien, au moins provisoire, à l’activité dans les premières semaines.

Les cent premiers jours du gouvernement de ce Nouveau Front populaire verront l’élargissement des mesures de soutien à l’économie. L’union de la gauche propose ainsi le rétablissement dans les trois mois de l’indexation des salaires sur l’inflation en parallèle d’une grande « conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la qualification ». L’articulation de ces deux mesures reste en grande partie à construire et le projet ne précise pas quels seront les objectifs de ladite conférence. Une chose est certaine : après quatre décennies de néolibéralisme, l’État devra soutenir fermement les intérêts du travail contre la tentation du chantage à l’emploi que le capital ne manquera pas d’entonner rapidement.

L’indexation des salaires sur l’inflation arrivera sans doute un peu tard, mais c’est une garantie minimale de protection de leur niveau de vie pour les salariés. Une telle mesure sera-t-elle inflationniste ou récessive dans la mesure où elle pèsera sur les profits ? pas nécessairement. Elle permettra d’éviter tout recul de la consommation comme ce fut le cas en 2023 en France et donc assurera des débouchés sur le marché intérieur pour les entreprises nationales.

Certes, sans augmentation de la productivité, il pourrait y avoir un effet inflationniste. Mais là encore, l’indexation des salaires sur l’inflation, en faisant pression sur la rentabilité des entreprises, est une incitation directe pour les entreprises à investir et à améliorer leur productivité pour, précisément, réduire la part du travail dans leurs coûts.

Rappelons que quarante ans de politiques néolibérales ont prétendu améliorer les gains de productivité alors même qu’elles ont conduit à une réduction de ces gains. Concernant la France, les aides massives au capital et la baisse du coût du travail ont même eu un effet désincitatif qui a conduit à privilégier les emplois peu productifs, conduisant à un fait inédit depuis plusieurs décennies, une baisse notable et durable de la productivité.

Planification écologique et égalité fiscale

Bref, le projet du NFP n’est pas « anti-économique » ni « absurde » économiquement, même si, on le verra, il convient d’apporter quelques réserves. C’est un pari que le moteur du redressement de la productivité réside non pas dans un soutien aveugle au capital, mais dans un appui aux salaires et dans une politique ambitieuse d’investissements publics.

À ce sujet, le NFP entend mettre en place des investissements ambitieux, notamment dans la transformation écologique. Les aides aux ménages seront « renforcées », permettant d’assurer « l’isolation complète des logements », la rénovation des bâtiments publics sera « accélérée », les « filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables »seront « renforcées ». Ce dernier point reste assez flou, il sera déployé dans la phase suivante, après les cent jours.  

Dans cette phase, le NFP propose une politique de « reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques », qui sera accompagnée d’une inscription dans cette stratégie industrielle des aides publiques aux entreprises, lesquelles seront conditionnées à des critères environnementaux et sociaux. Un pôle public bancaire viendra collecter l’épargne pour le financement de cette politique. Ce dernier élément mis à part, on n’est pas très loin d’une ambition proche des plans de Joe Biden aux États-Unis, qui a mis en place un fléchage des investissements et des aides, accompagné de mesures protectionnistes (défendues par le NFP sous la forme d’une « taxe kilométrique sur les produits importés »). Tout cela est totalement différent des « arrosages massifs » de la politique défendue par Emmanuel Macron.

Ce pôle bancaire public n’est alors pas anecdotique. Il permet précisément de contourner le « privilège exorbitant » que représente le dollar pour les États-Unis. Il s’agit de passer le moins possible par les marchés financiers pour financer des mesures cruciales et urgentes et bien plutôt de piocher dans l’abondante source de l’épargne des ménages.

Logiquement, pour rendre ce pôle public attractif, le NFP doit brider la finance et propose d’encadrer les investissements bancaires et de mettre en place une taxe sur les transactions financières. En parallèle, les finances publiques seront renforcées, dès les cent jours (le projet évoque la date symbolique du 4 août) par une remise en cause des politiques fiscales anti-redistributives de l’ère Macron.

Ce projet de loi de finances rectificative du 4 août viendra ainsi rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) « renforcé avec un volet climatique » qui pourrait venir frapper les activités les plus écocides. L’« exit tax », venant taxer les plus-values de cession des entreprises délocalisées, détricotée par Emmanuel Macron, sera aussi rétablie. Le projet du NFP propose aussi de supprimer les « niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes ».

Ces mesures ne visent pas qu’à financer la politique proposée, mais aussi à réduire les inégalités dont les conséquences néfastes sur l’économie ont été largement documentées. Ainsi, il sera proposé de renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu avec quatorze tranches (contre cinq aujourd’hui), ce qui rendra les effets des hausses de salaires moins violents. La CSG deviendra aussi plus progressive (il existe aujourd’hui seulement quelques taux différenciés dans certains cas). Enfin, l’impôt sur l’héritage sera plus progressif et ciblera les plus hauts patrimoines, avec la mise en place d’un héritage maximum.

Un projet irréaliste ?

Ce projet mériterait encore d’être précisé, la campagne le permettra peut-être, mais il a le mérite de fixer un cap. Et il convient d’emblée d’écarter les critiques venant de la droite et de l’extrême droite et jouant sur les ressorts classiques de l’impossibilité et du caractère dangereux de ce projet. Ce levier classique a déjà été activé par le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire le 14 juin sur France Info qui, sans avoir vu l’ébauche du programme, publié trois heures plus tard, a déjà promis « le retour du chômage de masse » dans le cas de son application.

La réalité est que, face à ce projet, les deux alternatives ne sont pas plus raisonnables, loin de là. Passons rapidement sur le projet du Rassemblement national, fondé sur l’exploitation économique des minorités et la discrimination et qui ne finance aucune dépense sérieusement et s’inscrit largement dans la continuité néolibérale. Mais le camp macroniste est-il en condition de donner des leçons ?

L’actuelle majorité présidentielle passe son temps à se gargariser de son « succès économique », mais celui-ci est une chimère. La baisse du chômage s’explique en grande partie par la baisse de la productivité et des aides publiques qui financent des bas salaires. La politique menée depuis 2017 a conduit à une dégradation nette et constante des finances publiques par l’affaiblissement des recettes à coups de cadeaux fiscaux pour les entreprises. La croissance, pourtant élevée au rang de vertu cardinale par la majorité sortante, est en berne : le PIB du dernier trimestre se situe encore 1,8 % en deçà de ce qu’aurait été son niveau si la tendance 2009–2019 s’était poursuivie. Et cela, malgré les milliards déversés. Mais, on l’a vu, la crise du niveau de vie est passée par là.

Pour régler cette situation inextricable et compte tenu d’une dégradation historique de la productivité, la seule proposition de la majorité sortante est la répression sociale par l’austérité et par la réduction des droits des travailleurs. C’est la seule façon de rétablir une forme de politique consensuelle au sein du capital entre ceux qui bénéficient des aides publiques et ceux qui veulent des garanties de remboursement de la dette publique. Cette politique a d’ailleurs commencé : après la réforme des retraites en 2023 et la coupe de 10 milliards d’euros dans le budget en début d’année 2024, le gouvernement n’a d’autres promesses qu’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et de nouvelles coupes budgétaires massives.

La rhétorique des « réformes douloureuses, mais nécessaires » est un classique du néolibéralisme, mais après sept ans d’Emmanuel Macron à l’Élysée, elle est clairement émoussée. S’il est une chose que prouve cette dissolution en panique, c’est bien l’échec patent de cette politique et son rejet massif par la population française. En cela, les leçons d’économie des partisans du chef de l’État traduisent davantage les positions de classe de ceux qui les formulent qu’une réalité quelconque.

Le projet du Nouveau Front populaire prend acte de cet échec et cherche en partie son inspiration dans la politique de Joe Biden. C’est un projet keynésien et social-démocrate cherchant à rééquilibrer la distribution de richesses et à stimuler l’investissement par la demande et la dépense publique.

Les obstacles

Un tel chemin n’est cependant pas sans obstacles. Compte tenu de l’état du capitalisme, il est difficile d’envisager qu’une quelconque politique économique se résume à une promenade de santé. La question n’est pas réellement là, mais bien plutôt dans les priorités qui sont posées. Doit-on protéger d’abord les salariés et, parmi eux, les plus faibles, ou favoriser l’accumulation du capital ? Doit-on faire de l’écologie une priorité absolue face à la croissance ? Ces questions vont inévitablement se poser à un potentiel gouvernement de gauche.

La politique préconisée par le NFP vient rompre l’alliance scellée par le macronisme entre le capital financier et le capital industriel que l’on vient de décrire. Inévitablement, le premier et une partie du second, effrayés par la politique de redistribution, entreront en conflit avec le gouvernement français. Ce dernier, comme durant la période 1981-1983 ou celle du quinquennat Hollande, sera sous la pression des classes dominantes qui, se sentant attaquées, vont riposter par des fuites de capitaux et par un chantage à l’emploi.

Si la Banque centrale européenne (BCE) dispose désormais des moyens de contrer une véritable crise de la dette publique, on a vu dans le cas grec voici dix ans que cette institution pouvait n’être pas aussi neutre politiquement qu’elle le prétend. Francfort pourrait faire pression sur Paris et, là encore, il faudra tenir et placer la BCE face à ses responsabilités.

Il en sera de même avec Bruxelles. Le projet du NFP insiste sur son rejet de l’austérité et des nouvelles règles budgétaires européennes. Mais là encore, cela implique de ne pas se soumettre aux demandes de la Commission et d’en assumer les conséquences. La France est un pays clé de la zone euro et une source de matière première incontournable pour les marchés financiers.

Une crise de la dette française risquerait de tourner en une crise financière généralisée. Il faudra donc tenir le cap et ne pas céder à la panique et aux pressions. Pour cela, il semble indispensable que se construise un mouvement social fort en soutien à cette politique et conscient des sacrifices à faire pour construire un avenir durable hors du néolibéralisme.

Il reste un autre écueil à ce projet. Le pari qui est fait ici est celui d’une possibilité du « capitalisme vert et social ». C’est ce qui fait que ce projet est authentiquement social-démocrate, il entend donner une chance au système actuel d’être, avec l’appui de l’État, plus vertueux socialement et écologiquement. Le projet n’évoque aucun projet de dépassement de la croissance comme horizon, ni de renforcement majeur du pouvoir des travailleurs (ni même de l’État).

Or, il existe une hypothèse que ce projet soit au-delà des forces du capitalisme actuel et qu’il faille engager une transformation beaucoup plus profonde du système économique pour faire face aux crises écologiques et sociales, notamment remettre en cause la logique des besoins capitalistes et l’accumulation même du capital. Dans ce cas, quel sera le chemin choisi par cette alliance politique ? Tout retour en arrière supposera une aggravation de l’exploitation de la nature et du travail.

L’urgence de ces élections législatives a conduit l’alliance de gauche à favoriser un projet permettant de lisser ses divergences internes sur l’économie, notamment sur la question de la croissance, essentielle pour faire face aux crises actuelles. Mais l’exercice du pouvoir ne manquera pas de ramener ces questions au premier plan. L’enjeu sera alors de construire un nouveau compromis, permettant d’affronter ces difficultés. 

Il faut noter cependant que ces difficultés, contrairement à ce que l’on entend souvent, ne sont pas le signe d’un irréalisme de la politique proposée, mais bien plutôt du fait que les priorités énoncées permettent de se confronter réellement à la situation concrète du capitalisme contemporain. C’est donc une option difficile, mais profondément réaliste. À l’inverse, l’option néolibérale se berce dans l’illusion que faciliter l’accumulation du capital permettra de résoudre l’ensemble des problèmes sociaux et écologiques.

Le projet du Nouveau Front populaire n’est donc pas la caricature que ses adversaires en font. Mais si l’on considère que son esprit est la priorité donnée à la résolution de la double crise environnementale et sociale, son principal obstacle réside bien davantage dans sa détermination politique que dans de supposées « lois économiques » immuables.