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A Versailles, les potagers dans les choux, l’Elysée dans le coup ?

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Vue de la Lanterne, ancien pavillon de chasse devenu une résidence de la République. Sa porte d’accès direct au parc du château donne sur une voie utilisée par les agents. (Thierry Orban/ABACA)

par Thierry Gadault

publié le 20 décembre 2022 à 7h18, Libération

 

Utilisés depuis des années par les employés du château, les jardins mis à leur disposition devraient être déplacés. En colère, de nombreux salariés mettent en cause des pressions du couple Macron, qui séjourne régulièrement juste à côté, à la résidence de la Lanterne.

 

Le site s’appelle la Sablière. Un coin discret au sud du Grand Canal, dans l’immense parc du château de Versailles. Cette parcelle longe le mur d’enceinte qui borde la rue de la division Leclerc, loin des allées empruntées par les touristes. Une haie bien entretenue, deux barrières en bois et, derrière, un petit paradis réservé aux agents qui travaillent au château et qui, pour certains, habitent dans des dépendances. Depuis des décennies, la Sablière est dévolue aux jardins familiaux mis à la disposition des salariés. Des dizaines de terrains ont ainsi été transformés en potagers, des cabanes, parfois faites de bric et de broc, y ont été installées. Dès les premiers jours du printemps, les employés viennent cultiver leurs légumes, tomates, plantes aromatiques… Et profiter des beaux jours pour organiser des barbecues avec famille et amis.

 

Ces jours heureux sont terminés. Fin novembre, les salariés ont appris, par des indiscrétions d’agents du domaine, que leurs jardins allaient être détruits. Sans raison officielle. «On a contacté la direction des ressources humaines qui a affirmé ne pas être au courant», dit l’un d’eux, selon qui deux explications officieuses circulent au sein du personnel : «Certains disent que c’est à cause des épreuves équestres des Jeux olympiques de Paris qui doivent être organisées dans le parc du château.» Mais ces compétitions auront lieu tout au bout du Grand Canal, loin des potagers.

 

Pour d’autres, la véritable explication serait à aller chercher du côté de l’Elysée. «Les allées et venues du personnel dérangeraient la tranquillité du couple présidentiel quand il vient à la Lanterne», avance notre source. La Lanterne est un ancien pavillon de chasse au sein du domaine devenu une résidence de la République mise à disposition du Premier ministre puis du Président depuis Nicolas Sarkozy. Il côtoie en effet les potagers, et sa porte d’accès direct au parc du château donne sur une voie utilisée par les agents pour se rendre sur leurs parcelles.

 

Jardins difficiles d’accès

 

Interrogée par Libération, la direction du château se contente d’indiquer qu’«à l’initiative du service des jardins de Trianon, les potagers individuels, situés sur la parcelle de la Sablière, vont faire l’objet d’une requalification paysagère». De son côté, la présidence de la République n’a pas répondu à nos questions. Contacté, Alain Baraton, le jardinier en chef du domaine, dément tout lien entre le déménagement des jardins familiaux et la Lanterne. Selon lui, l’espace occupé actuellement par les potagers est difficile d’accès, obligeant les agents à traverser le parc en voiture pour s’y rendre. Certains jardins seraient aussi selon lui en déshérence. Il assure que le nouvel espace dévolu aux jardins des agents du château, proche du Trianon Palace et de la porte de la reine, sera plus facilement accessible, mieux adapté et plus sécurisé. Les demandes auraient déjà afflué.

 

Nul ne croit à cette explication : «Alain Baraton a subi des pressions de l’Elysée», affirme un employé. «Nous sommes tous mécontents, ajoute un agent qui dispose d’un potager. D’ailleurs, nous ne sommes pas autorisés à traverser le parc en voiture depuis plusieurs années et nous disposons d’une entrée proche des potagers qui donne directement sur la rue de la division Leclerc. Mais cette entrée est à quelques mètres de la Lanterne.» De plus, selon nos informations, rien n’est pour le moment prévu pour déménager les installations que les personnels ont construites sur leurs terrains : cabanes de jardin, poulailler, serres… Tout serait promis à la destruction.

Pour les agents que nous avons interrogés, il ne fait guère de doute que sur ce dossier comme sur d’autres, Catherine Pégard, l’actuelle présidente de l’établissement public du château de Versailles, se montrerait très accommodante avec le couple présidentiel. «Les Macron ont beaucoup fréquenté le château durant le premier confinement entre mars et mai 2020 et ils ont manifestement pris goût à la vie de château», s’amuse un employé. Au point d’avoir passé à Versailles la nuit de la victoire à la présidentielle de 2022. Cette source ajoute que certains de ses collègues les ont surnommés Louis XVI et Marie-Antoinette. «C’est surtout vrai depuis qu’ils ont pris l’habitude de faire des soirées dans le Hameau de la reine dès que les beaux jours arrivent», précise cet agent.

 

Services rendus Au couple Macron

 

Le Hameau de la reine a été bâti au début des années 1780 à la demande de Marie-Antoinette qui y passait beaucoup de temps pour jouer à la bergère… Interrogée pour savoir dans quel cadre ces soirées étaient organisées, la direction du château affirme que «jamais le président de la République n’a organisé d’événements privés au château de Versailles».

 

Mais les services rendus par Catherine Pégard au couple présidentiel expliqueraient pourquoi cette ancienne journaliste politique et conseillère de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était président serait toujours en poste, alors qu’elle a dépassé l’âge limite en mars 2021 et que son troisième et dernier mandat s’est officiellement terminé le 1er octobre 2022. «Lors de la réunion d’un comité mixte au ministère de la Culture, un conseiller de la ministre a indiqué que la décision de la maintenir en poste dépendait de l’Elysée, raconte un syndicaliste. Lors d’une réunion suivante au château, Catherine Pégard nous a dit qu’elle resterait en poste tant qu’on aurait besoin d’elle.»

 

Ce «on» fait-il référence à l’Elysée et donc à Emmanuel Macron ? Pas de réponse de la part de l’établissement public qui se contente d’indiquer que «Catherine Pégard poursuit sa mission au château de Versailles et assume son propre intérim». Problème, un décret aurait dû être pris pour «légaliser» cet intérim qui dure (Catherine Pégard n’est pas fonctionnaire mais contractuelle), ce qui n’a pas été le cas. En son absence, la présidente de l’établissement public, qui serait donc toujours rémunérée hors de tout cadre légal, pourrait être inquiétée par la justice, estime Elise Van Beneden, la présidente de l’association Anticor. Au château, une autre rumeur circule : Catherine Pégard aurait eu l’assurance de rester en poste jusqu’à la tenue des Jeux olympiques de 2024. De quoi refroidir l’ardeur des nombreux candidats qui ont rêvé de sa succession.

 

«Dialogue sur les conditions de travail»

 

En attendant, l’incertitude sur le remplacement de la présidente plombe l’atmosphère alors que les relations sociales se tendent. Depuis des mois, les agents, notamment ceux affectés à l’accueil et à la surveillance des salles, se plaignent de leurs conditions de travail. Au point de laisser planer une menace de grève entre le 24 décembre et le 1er janvier. Pour le moment, les deux parties tentent de déminer les discussions en cours. «Nous sommes pour l’instant dans une période de dialogue sur les conditions de travail», explique Damien Bodereau, le responsable du syndicat Schadov CGT (section du château et du domaine de Versailles). «Le dialogue social est permanent, avec des discussions fréquentes tout au long de l’année sur les différentes revendications. Nous essayons d’y répondre point par point», répond l’établissement public qui affirme ne pas être au courant d’un possible mouvement de grève durant les derniers jours de l’année.

 

Les deux parties savent que les agents sont excédés. «Pour éviter une grève, l’administrateur général a déjà accordé à tous les agents titulaires qui le demandaient des jours de congé pour les deux week-ends de fête, ce qui est inhabituel», raconte un agent. Une décision lourde, en raison des nécessaires embauches supplémentaires de personnels vacataires pour compenser les absences, pour un établissement dont les finances, durement fragilisées par la crise provoquée par l’épidémie de Covid-19, demeurent toujours précaires. En 2019, avant donc l’explosion de la pandémie, le château de Versailles flirtait avec l’équilibre financier, malgré plus de 8 millions de visiteurs payants. L’année suivante, le nombre de visiteurs s’est effondré à 2 millions. Guère mieux en 2021 avec seulement 2,5 millions de touristes.

 

Conséquence logique, les pertes de l’établissement public ont explosé : un déficit budgétaire de 31 millions d’euros en 2020, puis un trou de plus de 100 millions d’euros l’année suivante. Le tout compensé par le versement d’une aide publique d’urgence de 116 millions d’euros en 2021. L’année 2022 semble, elle, enregistrer une nette reprise de la fréquentation du château : selon les propos tenus par Catherine Pégard dans une interview au Monde en avril, le nombre de touristes pourrait atteindre les 4 millions en fin d’année. Si Versailles devait fermer ses portes entre le 24 et le 31 décembre, le coup serait donc rude et remettrait en cause ce début de redressement financier.

 

«Il insulte les hôtesses»

 

Non seulement les agents dénoncent l’organisation du service d’accueil et de surveillance des salles, mais ils se plaignent aussi de l’absence quasi totale d’évolution professionnelle au sein de l’institution et d’un management trop souvent autoritaire et maltraitant. Des agents affirment ainsi que de nombreux collègues sont en souffrance. Nombre d’entre eux pointent du doigt la responsabilité de Laurent Brunner, le directeur de la filiale Château de Versailles spectacles, qui organise notamment les spectacles musicaux ou les grandes eaux, vu comme le véritable patron de l’établissement public. «Non seulement il décide des heures d’ouverture et de fermeture des salles en fonction de ses propres besoins, mais c’est un homme grossier qui parle mal à tout le monde», dénonce un agent. Selon cette source, plus personne au sein du château ne souhaite travailler avec lui. «Il insulte en public les hôtesses d’accueil et le personnel du château», ajoute un autre salarié. Contacté, Laurent Brunner ne nous a pas répondu.

 

Si aucun préavis de grève n’a pour le moment été déposé, les réunions de négociations entre la CGT et la direction n’ont, pour l’instant, débouché sur aucune décision. L’affaire de la destruction des jardins alimentant la colère sociale, le château entre dans une période de turbulences qui pourrait gâcher la tranquillité du couple présidentiel. Peut-être le plus gros risque que doit maintenant affronter Catherine Pégard.