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En Espagne, après une sécheresse prolongée et des canicules à répétition, les pluies torrentielles précoces interrogent les climatologues

Trois personnes sont mortes et trois autres sont portées disparues après des précipitations torrentielles et inhabituelles à cette période de l’année, symptôme possible du réchauffement climatique.

Par Sandrine Morel (Madrid, correspondante)

 

 Après des pluies torrentielles à El Alamo, en Espagne, le 4 septembre 2023.

Après des pluies torrentielles à El Alamo, en Espagne, le 4 septembre 2023. SUSANA VERA / REUTERS

Trois personnes sont mortes et trois autres étaient encore portées disparues, mercredi 5 septembre, après les pluies torrentielles qui se sont abattues sur l’Espagne, dans la nuit de dimanche à lundi. Violentes averses, orages, tornades et grêle se sont abattus sur la péninsule Ibérique, accompagnés de calima, ce violent vent d’est transportant du sable provenant du Sahara. En quelques heures, des torrents de boue se sont formés dans plusieurs provinces espagnoles du centre, emportant les voitures, inondant les maisons et détruisant des routes et des ponts, tandis que des vagues de 4 mètres étaient enregistrées près de Valence.

Après des semaines de chaleur asphyxiante, du fait de vagues de chaleur plus intenses et fréquentes qu’à l’ordinaire, et dans le contexte d’une grave sécheresse persistante, cette DANA (acronyme espagnol pour « dépression isolée à des niveaux élevés ») a été qualifiée à son tour d’« exceptionnelle » par les experts du climat, qui pointent les possibles effets du changement climatique.

Si les DANA ne sont pas rares en automne, celle-ci était particulièrement précoce. Elles se forment lorsque des gouttes froides en altitude entrent en contact avec des masses d’air chaud en superficie. « Cette DANA est plus propre aux mois d’octobre et de novembre », explique Samuel Biener, expert à l’institut Meteored. Lundi, elle a frappé la péninsule Ibérique, alors que la Méditerranée affichait encore des températures particulièrement élevées, de près de 27  °C. Ce qui, dans l’attente d’une analyse en profondeur, pourrait expliquer sa violence, selon le météorologue Juan Jesus Gonzalez Aleman, de l’Agence espagnole de météorologie (Aemet) interrogé par le quotidien El Pais, mardi.

Un enfant perché sur un arbre

Plus surprenant encore, cette dépression a touché violemment le centre de la péninsule Ibérique, en particulier l’ouest de la région de Madrid et la province de Tolède, en Castille-La Manche, où près de 120 litres d’eau par mètre carré se sont déversés en quelques heures, en plus de la région de Valence, du sud de la Catalogne ou de la province de Cadix, en Andalousie. D’ordinaire, les DANA se concentrent près de la côte, où l’air est réchauffé par la mer.

C’est dans des petites communes de la province de Tolède, à 70 kilomètres au sud de Madrid, que les dégâts ont été les plus graves. Un homme de 22 ans est mort alors que l’ascenseur dans lequel il se trouvait s’est inondé. Un autre a été emporté par les flots sur l’autoroute où il circulait. Un dernier, d’une cinquantaine d’années, a été retrouvé noyé dans une rivière.

 

 Après des pluies torrentielles à Chozas de Canales, dans la province de Tolède, le 4 septembre 2023.

Après des pluies torrentielles à Chozas de Canales, dans la province de Tolède, le 4 septembre 2023. ISABEL INFANTES / REUTERS

Un garçon de 10 ans a, quant à lui, été retrouvé perché sur un arbre, à Aldea del Fresno, municipalité située à 60 kilomètres à l’ouest de Madrid, où il a attendu durant huit heures l’arrivée des secours, après que la voiture dans laquelle il voyageait a été emportée par le courant. Sa mère et sa sœur avaient pu être secourues plus tôt, mais son père faisait encore partie des disparus mardi. Dans cette ville, trois ponts ont été détruits.

Les régions de Madrid et de Castille-La Manche ont demandé à être décrétées zones de catastrophe naturelle. Mais, déjà, les experts s’inquiètent de la capacité des villes espagnoles à faire face à de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes.

Adapter le territoire

L’Aemet avait lancé une alerte rouge concernant la ville de Madrid dès vendredi. Dimanche matin, le gouvernement de région de la Communauté de Madrid y a ajouté pour la première fois une alerte téléphonique, envoyant à tous les résidents un SMS accompagné d’un son très strident, avertissant de risque d’inondations et déconseillant tout déplacement. Le maire de la capitale espagnole, José-Luis Martinez-Almeida, est intervenu lui-même pour demander aux habitants de « ne pas sortir dans la rue » et de « réduire au maximum les déplacements non indispensables » face à une DANA « exceptionnelle et anormale ».

Il a aussi ordonné la fermeture de tunnels, de parcs et d’installations sportives et culturelles. Pas question de répéter les erreurs de « Filomena », la tempête de neige de janvier 2021, quand il avait minimisé son impact en assurant que la ville était « prête » à y faire face, avant d’assister, impuissant, au chaos qu’elle avait provoqué. Cette « Filomena d’automne », comme l’ont surnommée les météorologues, a finalement déversé les 120 litres par mètre carré attendus dans la capitale à 60 kilomètres de là, et les incidents dans la ville de Madrid sont restés limités. Le désastre aurait été majeur dans cette ville densément peuplée.

Pour Jorge Olcina, professeur d’analyse géographique à l’université d’Alicante, spécialiste des effets du réchauffement climatique sur la Méditerranée, il est à craindre que ce type de phénomènes extrêmes se répètent de plus en plus souvent, a-t-il expliqué au site d’information El Confidencial. Or, si le système d’alerte civile a sans doute permis de limiter les dégâts, en particulier humains, il n’est pas suffisant, et il est indispensable de « redimensionner les systèmes d’égouts afin de capter les eaux de pluie de plus en plus intenses ou torrentielles » et d’adapter le territoire aux « effets de plus en plus adverses du changement climatique ».

 

Sandrine Morel(Madrid, correspondante)