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* Nicolas Sarkozy renvoyé devant les juges au terme de dix ans d’enquête sur les soupçons de financement libyen * (25/08/2023)

 

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L’ex-président de la République devra répondre devant le tribunal correctionnel de « recel de détournement de fonds publics », de « corruption passive », de « financement illégal de campagne électorale » et d’« association de malfaiteurs ».

 

 

 

 

En pleine tournée de promotion pour la parution du nouvel opus de ses Mémoires, Le Temps des combats (Fayard, 592 pages, 28 euros), Nicolas Sarkozy a été rattrapé par ses ennuis judiciaires, vendredi 25 août. L’ex-président de la République a appris son renvoi, avec douze autres prévenus, devant le tribunal correctionnel dans le cadre du dossier du financement présumé de sa campagne électorale victorieuse de 2007 par le régime libyen du dictateur Mouammar Kadhafi.

Au terme d’une information judiciaire de dix ans, les juges d’instruction Aude Buresi et Virginie Tilmont ont rendu leur ordonnance de renvoi et estimé que M. Sarkozy devait être jugé dans cette affaire pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de dix ans d’emprisonnement ».

 

Contacté par Le Monde, l’entourage de l’ancien président, qui conteste ces accusations, n’a pas souhaité réagir à ce stade, tout en déplorant « l’absence d’élément matériel » au terme de l’enquête. « Rien de probant n’a été trouvé contre moi », martelait M. Sarkozy sur le plateau du « 20 heures » de TF1, mercredi 23 août.

« On doit démystifier l’argumentaire de défense de M. Sarkozy. Il est très courant dans ces affaires d’atteinte à la probité de pouvoir réunir des preuves via des faisceaux d’indices convergents », considère Vincent Brengarth, avocat de l’association Sherpa, partie civile, qui loue « le travail monumental des juges d’instruction dans ce dossier inédit » et se réjouit de la perspective « d’un procès qui laissera une trace très forte ».

 

Dans un communiqué, le Parquet national financier précise qu’un procès devrait avoir lieu « entre le 6 janvier et le 10 avril 2025 devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris ». Pour M. Sarkozy, 68 ans, cette nouvelle épreuve judiciaire vient s’ajouter à une kyrielle de condamnations : à trois ans de prison, dont un ferme, pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Bismuth (en première instance et en appel), et à un an de prison ferme (en première instance) pour « financement illégal de campagne électorale » dans le dossier Bygmalion.

 

 


La Sarkozie devant le tribunal

Au-delà de la figure de l’ex-chef de l’Etat, c’est tout une partie de la Sarkozie historique qui est renvoyée devant le tribunal correctionnel dans le dossier libyen révélé par Mediapart en juillet 2011. L’ex-secrétaire général de l’Elysée et ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant sera jugé pour une dizaine de chefs dont « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée », « corruption passive », « complicité de financement illégal de campagne électorale ».

 

 

« Cette ordonnance de renvoi, après quand même plus de dix années d’instruction, illustre les plus grandes difficultés à établir, à l’encontre de M. Guéant, la moindre infraction, estime son avocat, Philippe Bouchez El Ghozi. Et pour cause, puisque mon client a toujours fait valoir qu’aucune infraction ne pouvait lui être reprochée, ce que l’ordonnance de renvoi ne contredit pas sérieusement et ce que M. Guéant démontrera à la juridiction qui aura à juger de cette affaire. »

 

L’ex-ministre du budget, ancien trésorier de la campagne de M. Sarkozy en 2007 et actuel député (Renaissance) de l’Oise Eric Woerth est, lui, renvoyé pour « complicité de financement illégal de campagne électorale ». Contacté, il n’a pas donné suite.

 

L’ancien ministre de l’intérieur et actuel député européen (Les Républicains) Brice Hortefeux sera pour sa part jugé pour « association de malfaiteurs » et « complicité de financement illégal de campagne ». Son avocat, Jean-Yves Dupeux, n’a pas donné suite.

 

Le Parquet national financier avait souligné, en mai, dans son réquisitoire, « des circuits opaques de circulation de fonds libyens » qui auraient « abouti, in fine, à des décaisses d’espèces dans une temporalité et une chronologie compatibles avec un usage occulte », lors de l’élection présidentielle de 2007. Les juges d’instruction concluent, dans leur ordonnance de renvoi de 557 pages révélée par l’Agence France-Presse et consultée par Le Monde, qu’il « apparaît qu’un pacte de corruption a été noué entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi aux fins de financement de l’élection du premier ».

 

Concernant le « projet délictuel », les magistrats estiment que « les fonds récoltés ou, au moins une partie de ces fonds, étaient destinés à financer la campagne électorale de M. Sarkozy en contrepartie d’engagements divers », que « la perspective de l’accès au pouvoir de M. Sarkozy a favorisé des intermédiaires qui se revendiquaient de lui pour obtenir le versement de commissions dans différents contrats commerciaux ».

 

Ils désignent « des montages sophistiqués utilisés pour rendre indétectables ces transactions et convertir les fonds ainsi détournés » et des « contreparties diplomatiques » envisagées, comme « l’invitation de M. Kadhafi en France » en décembre 2007.

 


5 millions d’euros en espèces

Les juges d’instruction ont exploré deux filières de financement occulte supposées afin d’identifier la provenance de 250 000 euros en espèces, non déclarés par M. Woerth et conservés dans les locaux du candidat Sarkozy au terme de la campagne de 2007. La première ramène à l’intermédiaire sulfureux Ziad Takieddine, en fuite au Liban depuis sa condamnation en 2020 dans l’affaire Karachi. Les juges d’instruction ont demandé le renvoi de l’affairiste franco-libanais pour sept charges, dont « complicité de corruption et de trafic d’influence ». L’avocate de M. Takieddine, Elise Arfi, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

 

Devant les juges, M. Takieddine a affirmé à plusieurs reprises avoir transporté dans des « mallettes », entre la fin de 2006 et le début de 2007, entre Tripoli et Paris, 5 millions d’euros en espèces en vue de les livrer au ministre de l’intérieur et futur candidat Nicolas Sarkozy, et à Claude Guéant, qui était alors son directeur de cabinet à Beauvau.

 

Pour réunir et acheminer cette somme, l’intermédiaire aurait œuvré avec Abdallah Al-Senoussi, chef du renseignement militaire du régime libyen et beau-frère de Mouammar Kadhafi. Condamné par contumace en 1999 par la justice française à la détention à perpétuité pour avoir orchestré l’attentat contre un avion de la compagnie UTA en 1989 entre Brazzaville, au Congo, et Paris (170 morts, dont 54 Français), M. Al-Senoussi a assuré aux autorités libyennes ainsi qu’aux magistrats français avoir rencontré, à l’automne 2005, à Tripoli, M. Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités territoriales, et M. Guéant, afin d’évoquer les modalités du soutien financier supposé du régime libyen à M. Sarkozy. Ce que ces derniers démentent.

 

Les juges d’instruction se polarisent également sur un virement de 440 000 euros effectué, en février 2006, par une société de M. Takieddine sur le compte, aux Bahamas, de Thierry Gaubert, ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et au ministère du budget. Déjà condamné dans l’affaire Karachi en 2020, M. Gaubert sera jugé dans le dossier libyen pour « association de malfaiteurs ». Son avocat, François Esclatine, n’a pas souhaité réagir.

 


Dossier à tiroirs

L’autre filière de financement présumé renvoie à l’affairiste Alexandre Djouhri, rival de M. Takieddine, et qui sera jugé dans le dossier libyen pour une douzaine de charges, dont « corruption active d’agent public étranger ». Ses avocats n’ont pas répondu à nos sollicitations.

 

Les juges d’instruction soupçonnent M. Djouhri d’avoir financé M. Guéant à hauteur de 500 000 euros et de s’être appuyé, dans cette entreprise, sur Bechir Saleh, ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et ex-argentier de son régime en tant que dirigeant du fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio (LAP). Exfiltré de Libye après la chute de Kadhafi en 2011 par la France, puis en fuite en Afrique du Sud et visé par un mandat d’arrêt international, M. Saleh sera jugé pour « détournement de fonds publics » et « corruption passive d’agent public étranger ».

 

Les juges d’instruction se focalisent sur un versement de 10,1 millions d’euros effectué, après le scrutin présidentiel de 2007, par LAP vers une société offshore de M. Djouhri – extradé en 2020 en France par les autorités britanniques – au Panama. Un paiement qui se cacherait derrière l’achat d’une villa à Mougins (Alpes-Maritimes) à un prix surévalué.

 

M. Saleh a, depuis, reconnu auprès des autorités libyennes que « Nicolas Sarkozy a demandé à Mouammar Kadhafi de l’aider dans sa campagne » en octobre 2005.

Si le procès du financement présumé de la campagne de 2007 par le régime de Kadhafi s’annonce spectaculaire, ce dossier à tiroirs pourrait connaître d’autres rebondissements. Une information judiciaire a été ouverte, en 2021, pour « subornation de témoin » à la suite de la fausse rétractation, en novembre 2020, de M. Takieddine sur BFM-TV et dans Paris Match. Soit plusieurs années après ses accusations à l’encontre de M. Sarkozy.

 

Selon Mediapart, la justice chiffrerait à 608 000 euros cette opération médiatique visant à disculper l’ex-chef de l’Etat. Neuf personnes, dont Mimi Marchand, figure de la presse people, ont été mises en examen. Dans ce volet, M. Sarkozy a été entendu par les enquêteurs dans le cadre d’une audition libre et son domicile a été perquisitionné.

 

 

 

Mise à jour le 25 août 2023 à 19 heures : ajout de précisions concernant l’ordonnance de renvoi rendue par les juges d’instruction

 

Rémi Dupré