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Il devient difficile de ne pas rire devant une telle accumulation de subterfuges

Ecologie : « Il devient difficile de ne pas rire devant une telle accumulation de subterfuges de la part du gouvernement »

par Stéphane Foucart
Le Monde, 10 avril 2023

 

Les mesures annoncées ces dernières semaines pour la préservation de l’environnement et de la santé ne reposent sur aucune contrainte réglementaire et favorisent sans le dire le laisser-faire, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

 

Dans son manifeste pour une presse libre, qui devait paraître le 25 novembre 1939 dans Le Soir républicain avant d’être censuré, Albert Camus disait que l’ironie (au même titre que la lucidité, le refus et l’obstination) devait être, face au pouvoir, l’un des instruments du journalisme. Ces dernières semaines, l’action du gouvernement sur les questions de santé et d’environnement nous invite à suivre ce conseil, tant il devient difficile de ne pas rire devant une telle accumulation de subterfuges, de contradictions et de tours de bonneteau, invariablement destinés à favoriser le rendement économique à court terme, à l’exclusion de toute autre considération.

 

Forcément incomplète, la liste pourrait s’ouvrir avec la signature, le 27 mars, de la « charte d’engagement des gestionnaires de gares, stations et aéroports (…) en matière de sobriété énergétique », destinée à « mieux réguler la publicité lumineuse ». On s’en souvient : cet hiver, alors que la pénurie guettait, il était bien difficile de justifier une telle gabegie quand chaque foyer était invité à baisser la température de son logement. Il fallait donc agir. Signée en grande pompe sous le patronage enthousiaste de deux ministres – Agnès Pannier-Runacher et Clément Beaune –, la charte ne repose que sur la bonne volonté des entreprises signataires.

 

C’est heureux. Car les engagements pris sont à ce point majeurs qu’ils semblent à peine tenables. Ils sont au nombre de trois. Le premier : « Equiper (…) progressivement les dispositifs de publicités lumineuses (…) afin que ceux-ci puissent être éteints ou à défaut mis en veille. » La contrainte est forte : il s’agit d’installer des interrupteurs. La charte précise que cela se fera « progressivement », afin que nul ne se sente brusqué. Le deuxième : « Mettre en œuvre, lors de la fermeture des gares, stations ou aéroports (…), l’extinction ou la mise en veille des publicités lumineuses équipées du dispositif le permettant. » Autrement dit : éteindre la lumière en partant – mais seulement s’il y a un interrupteur.

 

Menace imaginaire

Le troisième point force l’admiration. Il s’agit, lit-on, d’« établir une stratégie “sobriété” fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d’émissions carbone du parc des publicités lumineuses en tenant compte des caractéristiques, usages et besoins des univers de transports selon leurs périmètres à la date de signature de la présente charte ». Il faut lire et relire cette phrase, dont on salue le rédacteur : dispenser un vide aussi sidéral au terme de tant de mots relève d’une certaine virtuosité littéraire. Quant à ces fameuses « trajectoires », elles seraient inscrites dans la loi si elles étaient sérieuses.

 

Feindre d’agir est un art protéiforme. Cela peut passer par des « chartes d’engagement » qui n’engagent personne, mais aussi par de plus subtiles cabrioles. Par exemple agiter une menace imaginaire pour en dissimuler une autre, afin d’annoncer triomphalement qu’on a vaincu la première tout en laissant prospérer la seconde. C’est, à peu de chose près, ce que le secrétaire d’Etat à la mer a accompli ces dernières semaines. Après avoir annoncé urbi et orbi qu’une nouvelle mesure européenne était susceptible de tuer « dès demain » la pêche artisanale française en lui interdisant l’accès aux aires marines protégées, Hervé Berville a fait le voyage à Bruxelles, afin de ferrailler pour sa survie.

 

Victoire ! Le 2 avril, il s’est félicité d’avoir eu gain de cause face à l’odieuse technocratie verte bruxelloise. Mais pourquoi diable, s’interrogent l’association Bloom et quelques autres, M. Berville avait-il omis de préciser que la mesure européenne si âprement combattue – un simple « plan d’action » – n’a jamais eu la moindre valeur contraignante ? Les artisans pêcheurs sont bien plus sûrement menacés par la pêche industrielle, dont les instruments, comme la senne démersale (défendue par le gouvernement), vident les océans.

 

Tout et son contraire

Même tour de passe-passe sur l’eau potable. Le 6 avril, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) annonçait que plus d’un tiers de l’eau distribuée en France n’était pas conforme aux critères de qualité pour cause de pesticides. « Ces résultats confortent le travail mené par les autorités françaises pour réduire les dépendances des productions agricoles aux produits phytosanitaires », a réagi le ministère de l’agriculture. Les mots n’ont donc plus de sens, tout et son contraire peut être proclamé avec le même aplomb, à quelques jours de distance, sans crainte du ridicule : à peine une semaine plus tôt, le ministre de l’agriculture exigeait de l’Anses qu’elle revienne sur sa décision d’interdire un pesticide précisément responsable d’une pollution à grande échelle des eaux de métropole.

 

Les moyens de l’inaction peuvent être parfois comiques, les conséquences le sont moins. Chaque année en France, la consommation de charcuterie provoque plus de 4 300 cancers, causés notamment par l’adjonction de nitrites dans les préparations. Ce chiffre est l’estimation la plus conservatrice, la réalité est sans doute bien au-delà. Le gouvernement a choisi de ne pas interdire cette pratique. Il a publié le 27 mars un « plan d’action » reposant sur une réduction progressive, au bon vouloir des industriels. Il faudrait réunir quatre mille malades du cancer et leurs familles, et les rassembler une fois l’an devant le ministère de l’agriculture, devant l’Assemblée, devant l’Elysée, de manière que le coût humain de leur laisser-faire apparaisse visuellement à nos responsables politiques. C’est plus de malheur et de morts que n’en feront jamais les « terroristes » de paille et de pacotille qu’on cherche à nous vendre ces jours-ci.