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À Nantes, quatre étudiantes qui manifestaient accusent la police de violences sexuelles

À Nantes, quatre étudiantes ont déposé plainte, vendredi, pour « violences sexuelles par dépositaire de l’autorité publique » après avoir subi une fouille au corps lors d’une nasse par la police, le 14 mars. Le procureur a saisi l’IGPN.

Karl Laske

18 mars 2023 à 17h45

 

« Au« Au moment où les policiers ont ouvert la nasse, j’ai vu une étudiante sortir en pleurs, raconte Jeanne*, une militante. Mais je n’ai su que plus tard qu’elle avait subi une fouille approfondie. » Mardi 14 mars, vers 10 h 30, Jeanne, appelée par des camarades, a rejoint le chemin de halage des bords de l’Erdre, à Nantes. « Les étudiants revenaient de la rocade nord, où ils avaient tenu un barrage filtrant, poursuit-elle. Ils étaient regroupés de manière très dense contre un mur. Un cordon très serré de policiers, harnachés en tenue de Robocop, essayait de masquer ce qui pouvait se passer. J’ai vu un camion partir avec l’un d’eux. Et ensuite j’ai vu l’opération de fouille, de loin. »

 

Vendredi, quatre étudiantes piégées dans cette nasse ont déposé plainte contre « X » pour des faits de « violences sexuelles par dépositaire de l’autorité publique ». Le procureur de la République a saisi l’IGPN (l’Inspection générale de la police nationale) de l’enquête. Dans les rangs militants, depuis mardi, c’est la sidération. « Lorsqu’ils sont sortis de la nasse, les étudiants sont allés faire une AG à la fac, poursuit Jeanne, puis on les a retrouvés devant le commissariat pour demander la libération de l’étudiant interpellé. C’est lors de ce rassemblement que j’ai su comment s’était déroulée la fouille. Je leur ai dit que c’était illégal, et qu’il fallait déposer plainte. »

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À Nantes, la police nasse des manifestants après un blocage du périphérique, le 14 mars. © DR

« L’émotion de ma cliente est considérable, explique Me Anne Bouillon, avocate d’une des quatre étudiantes. J’ai reçu une jeune femme profondément impactée, perturbée par ce qu’elle venait de vivre. Elle a subi une fouille sur le corps, sur les parties intimes, de la part d’une policière. Elle vit les choses sur le registre de l’agression intime. L’objectif premier était a minima d’humilier, et d’impressionner. Les gestes décrits sont inexplicables, et on ne peut en aucun cas les rattacher à une opération de contrôle. Comment est-ce qu’en manifestant calmement on peut être amenée à subir une fouille de cette nature-là ? C’est extrêmement grave. »

 

« Mes clientes dénoncent les gestes de palpation qu’elles ont subis dans le cadre de ce contrôle, commente Me Aurélie Rolland, qui défend deux autres étudiantes. Les faits que les jeunes filles décrivent, des palpations avec les mains à l’intérieur des sous-vêtements, m’apparaissent hallucinants. Ils s’accompagnent de propos inadaptés, insultants, humiliants, dans un contexte de grande tension. »

 

La fouille au corps est strictement encadrée par des articles du Code de la sécurité publique, rappelle l’avocate. Elle ne peut en aucun cas se justifier, ni être pratiquée dans ces conditions (voir ici les règles rappelées sur le site du ministère de l’intérieur). « Les étudiantes décrivent à présent un sentiment d’insécurité, et de stress, qui correspond à ce que les victimes d’agressions sexuelles éprouvent », signale aussi l’avocate.

Les étudiantes ont détaillé toutes les quatre des faits similaires lors de leur déposition, vendredi. Jointe par Mediapart, l’une d’entre elles a indiqué qu’elle ne souhaite pas s’exprimer pour l’instant.

« À Nantes, le niveau de tension, il est extrême, explique une responsable syndicale. Nos manifestations sont systématiquement réprimées. La dernière fois, la manifestation n’a pas pu se tenir. On va tous les jours à Waldeck-Rousseau [la place où se trouve le commissariat – ndlr] ou au CHU. Mardi, les policiers ne sont pas intervenus lors du barrage filtrant des étudiants. Ils les ont regardés faire de loin. Les étudiants ont plié bagages, et c’est quand ils sont rentrés, à 500 mètres de la fac, qu’ils ont été nassés. Il y a un niveau de répression qui est plus qu’abusif. »

 

Les propos dégradants tenus par la police aux étudiantes indignent les milieux militants : « Faut que je fouille dans ta culotte, t’es sale, ça me dégoute, tu sens mauvais », « Je vais te fouiller dans la chatte ».

Joint par Mediapart, Hugo, le manifestant interpellé, membre de Solidaires Étudiant·es, décrit le traquenard policier. « Mardi, on a bloqué le périph’ au rond-point Porte de la Chapelle, avec des camarades de la CGT, pendant une heure et demi, sans incident, et puis on est repartis vers la fac. La police nous suivait à distance. Et lorsqu’on a pris le petit chemin qui remonte l’Erdre, ils nous ont rattrapés. On s’est retrouvés coincés, à l’avant et à l’arrière, avec l’Erdre à côté. »

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À Nantes, les policiers bloquent les manifestants près d'une des rives de l'Erdre. © DR

Les policiers sont en tenue anti-émeute. Ce sont des effectifs de la compagnie départementale d’intervention (CDI-44). Ils ordonnent un contrôle d’identité. Les étudiants et étudiantes réagissent en formant une chaîne, d’abord sur le chemin de halage, puis un peu plus loin contre un mur. « On a formé un bloc compact bras dessus, bras dessous, et ils ont commencé à nous tirer dans tous les sens, poursuit Hugo. Les gens se faisaient arracher du groupe, mettre par terre, tirer sur le sol. Des camarades se sont fait tirer les cheveux sur plusieurs mètres. On a eu des coups dans le ventre, sur les parties génitales, des placages. Ils ont tiré une quinzaine de personnes comme ça, puis ça a été mon tour. Je n’étais pas serein, donc je me suis débattu. Je me suis pris des coups de pied sur la tête, et les policiers m’ont fait une clé de bras. »

 

« Celui-là, on l’embarque », annonce un policier. Hugo est menotté et embarqué vers le commissariat, et placé en garde à vue. Il est mis en cause pour des faits de « violence contre dépositaire de l’autorité publique », parce qu’il s’est débattu, pour « port d’arme » parce que la police a trouvé un cutter dans son sac avec ses affaires de peinture, pour « entrave à la sécurité publique » et enfin pour « rébellion ».

 

À la fac, après l’annonce des violences subies par les étudiantes et l’arrestation d’Hugo, une assemblée générale décide du blocus immédiat de l’établissement et de partir en manif « à Waldeck-Rousseau ». Hugo est déféré au parquet le lendemain. Il refuse la comparution immédiate et devra comparaître le 8 juin. En attendant, il est interdit de manifestation à Nantes et placé sous contrôle judiciaire.

 

« On sent une émergence de la violence policière depuis le 7 mars, estime Nelly Goyet, secrétaire de l’Union locale CGT. Quatre jeunes paysans de la ZAD qui vendaient de la soupe sur la manif ont été interpellés, et lorsqu’on a demandé pourquoi à la police, on s’est fait immédiatement gazer [les jeunes ont été placés en garde à vue, puis libérés sans aucune poursuite – ndlr]. Le 11 mars, la manif s’est terminée sous des tonnes de lacrymos et de grenades de désencerclement… Le 14, on s’est retrouvés devant le commissariat après l’interpellation du jeune militant de Solidaires. Et c’est là que l’on a appris que des jeunes filles nassées par la police avaient subi des fouilles au corps. Le 15 mars, la manif n’a pas pu aller à son terme. Il y a eu 36 interpellés, des camarades qu’on a conduits au CHU. On a déambulé pour aller au commissariat. On s’est fait stopper au bord de l’Erdre, il n’y avait aucun problème. Les gens ont levé les bras en l’air et là, ça a été un déferlement de gaz. On ne voyait rien. Les gens ont paniqué. On est retournés vers le parc, où on s’est fait charger. On est dans l’ultra-violence. J’ai 55 ans, je n’ai jamais vu ça. »

 

Joints par Mediapart, vendredi, au sujet des plaintes des étudiantes, les services du préfet de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire, Fabrice Rigoulet-Roze, ont simplement indiqué que le parquet de Nantes avait saisi l’IGPN. Lors de son entrée en fonction le 30 janvier 2023, après avoir été le directeur de cabinet de plusieurs ministres, le dernier à l’agriculture, Fabrice Rigoulet-Roze s’était déclaré « ravi de revenir dans l’opérationnel », car « le goût du terrain commençait à [lui] manquer ».

 

Les cinq députés Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) du département lui ont demandé rendez-vous pour connaître ses explications sur les faits reprochés à la compagnie départementale d’intervention 44. Questionnée cette semaine par le député La France insoumise (LFI) Andy Kerbrat, la préfecture avait répondu qu’il s’agissait « d’une opération de sécurisation de périmètre et des étudiants eux-mêmes ».

 

(*) Le prénom a été changé.