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À Lyon, l’ultradroite « se lâche » et défie de nouveau les pouvoirs publics

Les violences et provocations se sont multipliées ces derniers mois, dans les rues de Lyon, de la part de 300 à 400 militants radicaux, ragaillardis par un sentiment d’impunité. Les autorités peinent à trouver la parade contre cette galaxie de haine, malgré la dissolution des deux principaux groupuscules de l’extrême droite locale, en 2019 et 2021.

Mathieu Périsse et Nicolas Barriquand (Mediacités)

15 décembre 2022 à 13h42

 

 

 

 

Lyon (Rhône).– Flambeaux et drapeaux lyonnais bleu et rouge à la main, ils montent à Fourvière. Ce 8 décembre dernier, des membres des Remparts de Lyon se sont mêlés à un cortège du diocèse qui célébrait la Vierge. Ce groupuscule d’extrême droite, qui rassemble d’anciens membres de Génération identitaire, association dissoute en mars 2021, brave les autorités : un arrêté préfectoral a interdit l’organisation de leur procession Lugdunum Suum (« Notre Lyon ») pour risque de « sérieux troubles à l’ordre public ». 

Une fois les quelque 300 militants glissés au milieu des croyants, les forces de l’ordre préfèrent ne pas intervenir pour éviter un mouvement de foule, alors même qu’une banderole des Remparts est brièvement déployée.

 

« La présence de la foule dans le cadre de la Fête des lumières et de nombreuses familles rendaient nécessaire une intervention proportionnée, justifiera plus tard la préfecture du Rhône. L’arrêté a clairement permis de limiter la portée revendicative de cette manifestation. »

Lors de la procession du 8 décembre 2022. © Capture d’écran BFM Lyon

Jusqu’où iront-ils ? Ces derniers mois, les groupes lyonnais d’extrême droite ont multiplié les actes violents et les démonstrations de force au mépris des décisions de justice ou administratives.

Trois jours avant la procession de Fourvière, le 5 décembre, toujours dans le Vieux Lyon, deux militants de La France insoumise et membres du collectif « Fermons les locaux fascistes » étaient agressés, en fin d’après-midi, lors d’une opération de tractage. L’une des victimes, âgée de 18 ans, a été gravement blessée à la tête. Le parquet de Lyon a ouvert une enquête pour « violence par pluralité d’auteurs ».

 

Féministes attaquées, lycéen frappé

 

Cette attaque est le dernier événement inquiétant d’une liste qui a émaillé l’automne lyonnais 2022. Le 26 novembre : des activistes de l’extrême droite radicale s’en prennent au service d’ordre de la manifestation contre les violences sexuelles et sexistes. Le 21 octobre : près de 150 militants défilent derrière une banderole « L’immigration tue ».

Cette manifestation non déclarée, ponctuée de propos xénophobes et racistes, faisait alors suite au meurtre de la jeune Lola. À la manœuvre, déjà, le groupe Les Remparts de Lyon. Dans la foulée, la justice a ouvert une enquête pour « provocation publique à la haine ». 

 

Les violences surviennent aussi en dehors des grands rassemblements. Le 14 octobre : des membres du Collectif 69 Palestine sont pris pour cibles par une vingtaine d’individus armés et le visage masqué, comme l’a rapporté Rue89Lyon. Ils s’en sortent au prix de plusieurs dents cassées. Le 22 septembre : un lycéen est frappé pour avoir osé détacher un autocollant d’extrême droite dans son quartier d’Ainay.

 

Sur les réseaux sociaux, le maire de Lyon, Grégory Doucet, dénonce « une recrudescence inacceptable des faits de violence revendiqués par les mouvements d’extrême droite et d’ultradroite ».

 

L’implantation et les coups de force des groupuscules dans les rues de Lyon ne datent pourtant pas d’il y a quelques mois, ainsi que l’illustre la frise ci-dessous recensant les événements depuis la dissolution du Bastion social, en 2019. « Mais le degré de violence augmente, observe Raphaël Arnault, ancien porte-parole de La Jeune Garde et figure des militants antifascistes. Maintenant, les fachos sont presque systématiquement armés de matraques, de gazeuses et sortent, de plus en plus souvent, des couteaux. »


Tous groupuscules confondus, l’extrême droite radicale lyonnaise représenterait entre 300 et 400 individus, selon les observateurs de la mouvance. Elle se répartit entre grandes familles, toutes unies dans la haine de l’autre et de l’étranger. On y retrouve un noyau de l’Action française, royaliste et catholique ; des néofascistes de l’ex-Bastion social, organisation dissoute, donc, depuis trois ans, elle-même issue du Groupe Union Défense (GUD) ; et la frange identitaire, sans doute la plus influente aujourd’hui. 

Après la dissolution de l’association Génération identitaire en mars 2021, le mouvement a réussi à maintenir ouverts son bar La Traboule et la salle de boxe attenante, l’Agogée, au cœur du Vieux Lyon. Officiellement, ces deux lieux sont gérés par Les Remparts de Lyon, une nouvelle structure – au moins en théorie puisque aucune association portant ce nom n’apparaît au Journal officiel – qui souhaite développer un lieu « communautaire, culturel et sportif »

Alors qu’on entend Gérald Darmanin parler “d’écoterrorisme”, le gouvernement reste silencieux.

Marie-Charlotte Garin, députée EELV

Après l’agression du 5 décembre, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler à fermer ces locaux. À l’instar de celle de Grégory Doucet. « L’inaction qui s’est accumulée dans le temps fait que certains se sentent aujourd’hui autorisés », analysait le maire de Lyon sur BFM Lyon. Avant cet épisode, les quatre députés Nupes du Rhône avaient déjà écrit au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin pour lui demander des comptes sur la poursuite des activités à La Traboule et à l’Agogée. 

 

En langage plus diplomatique, dix députés de la majorité, dont trois du Rhône (Thomas Rudigoz, Anne Brugnera et Sarah Tanzilli), l’avaient aussi interpellé pour les mêmes raisons le 29 novembre, dans un courrier appelant à la dissolution des Remparts : « Nous souhaiterions que toute action de dissolution puisse entraîner la fermeture définitive de ces espaces. » Depuis, ni les uns ni les autres n’ont obtenu de réponse ou de rendez-vous de la part du ministre.

 

« Le phénomène de l’extrême droite à Lyon n’est pas nouveau, mais là, ils se lâchent, s’inquiète Marie-Charlotte Garin, députée EELV de Lyon. Ils se sentent d’autant plus légitimes que leurs actions ne donnent lieu à aucune sanction. » « Alors qu’on entend Gérald Darmanin parler “d’écoterrorisme”, le gouvernement reste silencieux sur les dernières actions violentes de l’extrême droite. Cela brouille les pistes », estime la parlementaire.

 

« Pendant dix ans, Gérard Collomb a renvoyé dos à dos l’extrême droite et l’extrême gauche, blâme aussi Raphaël Arnault, et la préfecture tient une position ambiguë vis-à-vis des fachos. Maintenant on attend des actes ! » 

Des accusations en inaction un peu trop faciles, s’agace Thomas Rudigoz. « Arrêtons de dire : “Que fait l’État ?” L’État a dissous par deux fois des mouvements, le Bastion social et Génération identitaire, sans compter les Loups gris [groupe d’ultranationalistes turcs – ndlr]. L’État a pris ses responsabilités, défend le député Renaissance. On ne peut pas prononcer une dissolution comme ça, poursuit-il. Les services du ministère de l’intérieur doivent disposer de suffisamment d’éléments. Sinon, l’association déposera un recours, obtiendra gain de cause et en ressortira fortifiée. »

 

Pour « taper plus fort » contre Les Remparts de Lyon, l’ancien maire du 5e arrondissement préconise d’ailleurs d’attaquer le mouvement pour « reconstitution de ligue dissoute », en démontrant que le groupuscule n’est qu’une résurrection de Génération identitaire sous une autre bannière.

 

De l’efficacité de la dissolution

 

Contactée par Mediacités, la préfecture du Rhône dit porter « la plus grande attention au groupe Les Remparts » et indique avoir réuni une dizaine de fois un groupe de travail avec le procureur de la République à ce sujet. Elle rappelle aussi que la dissolution de Génération identitaire de 2021 n’a pu avoir lieu qu’après « un long travail, précis et rigoureux » pour rassembler des éléments solides sur le plan juridique.

 

La question de l’efficacité d’une dissolution reste toutefois discutée. Ni celle du Bastion social ni celle de Génération identitaire n’ont empêché les multiples violences perpétrées ces trois dernières années.

« Si on compte le nombre d’actes récents, on peut se dire que la dissolution ne sert pas à grand-chose, admet Alain Chevarin, auteur de l’ouvrage Lyon et ses extrêmes droites, publié en 2020. Mais la dissolution a quand même un impact en termes d’image : elle empêche les militants d’utiliser leur “marque” en quelque sorte. Génération identitaire organisait ses actions en uniforme bleu, avec des banderoles et du marketing bien visibles, ils ne peuvent plus le faire. » Cette atteinte à la visibilité peut avoir pour effet de tarir les recrutements des groupuscules. 

 

Pour Raphaël Arnault, toutes les dissolutions n’ont pas le même effet. « Si c’est pour dissoudre un groupe de dix néonazis qui ressemble plus à un gang, comme Blood and Honour, cela ne sert pas à grand-chose, estime l’antifasciste. Par contre, dissoudre une organisation qui a la volonté de grandir, comme les identitaires, oui, cela peut être utile. »

 

Pour lui, le principal enjeu reste la fermeture des locaux. Après la dissolution du Bastion social en 2019, la ville de Lyon a fini par fermer le Pavillon noir, le fief du groupuscule dans le Vieux Lyon, officiellement pour des raisons de sécurité. « Cela a contribué à casser leur dynamique. Tout se structurait autour de leur local. On les a privés de leur outil central et on sait que certains militants ont même cessé leur activisme à la suite de cette fermeture », assure Raphaël Arnault. 

 

« Sans leurs locaux, ces groupes ne peuvent plus organiser d’événement publics et sont réduits aux actions violentes pour exister. Cela peut aussi freiner leur recrutement », abonde Alain Chevarin, avec un bémol : une dissolution peut entraîner « une forme de clandestinité » qui rend plus difficile le suivi des militants radicaux.

« Ils se mélangent beaucoup plus entre différents groupes. Comme ils n’ont plus vraiment de bastion, de lieu à tenir, ils sont aussi plus mobiles, vont faire des actions dans d’autres villes, à Clermont-Ferrand, Bordeaux, là où les services de renseignement ne les connaissent pas », reprend le spécialiste de l’extrême droite.

Démasquer ces groupes quand ils se reforment et leur mettre la pression au quotidien.

Raphaël Arnault, militant antifasciste

À l’inverse, tous nos interlocuteurs constatent l’échec de la « demi-dissolution » de Génération identitaire. « On n’a pas assez travaillé sur ses satellites [La Traboule, l’Agogée – ndlr], il y a eu un trou dans la raquette », déplore le député Thomas Rudigoz.

 

Autre consensus : ces groupes doivent faire l’objet d’un suivi permanent. « La dissolution seule ne suffit pas. Il faut les affaiblir dans le temps, pense Marie-Charlotte Garin. On n’a pas gagné une fois que la dissolution a été prononcée, d’autant plus que, parfois, elle légitime leur résistance et leur récit. » 

Raphaël Arnault plaide, lui, en faveur d’une « lutte de terrain » pour « démasquer ces groupes quand ils se reforment et leur mettre la pression au quotidien »

 

Identifier les auteurs des faits

 

Et si la meilleure façon de lutter contre l’extrême droite radicale restait encore de juger les auteurs de violences ? Comme Adrien Ragot, figure des identitaires lyonnais, condamné en juin dernier à dix-huit mois de prison dont six avec sursis probatoire, pour avoir agressé deux jeunes avec un couteau et frappé un policier à la Croix-Rousse.

 

En octobre dernier, un autre militant a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pendant cinq ans, pour des faits de violences aggravées lors d’un concert de métal en 2018

Le parquet de Lyon assure qu’il engage des poursuites « systématiquement », à condition de pouvoir identifier les auteurs des faits. « Ces investigations s’avèrent cependant souvent complexes faute de témoignages ou parfois même de plaintes des victimes », tempère le bureau du procureur, qui précise à Mediacités avoir poursuivi l’un des organisateurs de la manifestation interdite du 8 décembre dernier. Ce dernier doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Lyon le 21 mars prochain.

 

De même, « les propos racistes et incitations à la haine proférés lors de la manifestation non déclarée “Justice pour Lola” du 21 octobre dernier font actuellement l’objet d’une enquête », nous fait savoir le parquet. 

Mais le temps de la justice est autrement lent que celui des groupuscules. Plus de deux ans après avoir découvert sa permanence électorale dégradée (lors des élections métropolitaines) par des identitaires, Thomas Rudigoz attend la date du procès des trois personnes mises en examen dans cette affaire.

Sept autres mis en examen après des violences en marge de la finale de la Coupe d’Afrique des nations, en juillet 2019, devraient être jugés seulement « au cours des prochains mois », indiquent les services du procureur. Soit plus de deux ans et demi après les faits.

 

Ce soir-là, un couple avait notamment été agressé, physiquement et verbalement, par une vingtaine de personnes cagoulées et armées de battes de baseball alors qu’il circulait en voiture aux abords du Vieux Lyon. Leurs assaillants avaient éclaté les pare-brise avant et arrière. À bord du véhicule, une petite fille de deux ans.

 

Mathieu Périsse et Nicolas Barriquand (Mediacités)