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Vin de Normandie, pâtes de sorgho… que mangerons-nous quand l'eau sera rare ? 

 

 

Pour représenter ce quotidien, le ministère des Affaires étrangères néerlandais a lancé The Drop Store, un site de vente en ligne où 15 ml d'eau « propre » coûtent 180 euros ! Exorbitant ? Pas tant que cela, répondent les experts. Mais ce sombre scénario n'est pas une fatalité.

 

Par Mathilde GollaPublié le 30 avr. 2023 à 10:03Mis à jour le 30 avr. 2023 à 10:34

« Tout ce qui est rare est cher », l'adage est bien connu. Or, avec les vagues de sécheresse inédites qui se succèdent en Europe, notamment en ce moment en Espagne , l'eau devient de plus en plus rare. Le prix de l'or bleu pourrait donc s'envoler. Le ministère des Affaires étrangères néerlandais a voulu alerter sur cet avenir qui se dessine avec le site de vente en ligne The Drop Store («  le magasin de la goutte  »). Sur ce site futuriste, la ressource est devenue si rare que chaque produit détaille la quantité d'eau nécessaire à sa production pour justifier son prix devenu exorbitant.

Les denrées courantes deviennent en effet des mets précieux et leurs prix flambent. Par exemple, une fiole d'eau « très pure » de seulement 15 ml est vendue 182 euros ; un épi de maïs de 35 grammes, 129 dollars (118 euros) ; deux cubes de fromage, 109 dollars (100 euros) ; ou encore 4 carrés de chocolat, 3.600 dollars (3.200 euros) ! Pour chaque produit, une étiquette précise la cause de sa raréfaction : inondation, sécheresse, pollution…

L'initiative choc reste une fiction, mais certaines des conséquences esquissées pourraient bien devenir réelles. Première activité consommatrice d'eau en France, l'agriculture est en effet lourdement affectée par la baisse significative de la recharge des nappes phréatiques, de l'ordre de 10 % à 25 % en moyenne en France métropolitaine.

Nous aurons des années de rendement si faible que l'on ne pourra pas nourrir l'ensemble de la population. 

Sylvain Doublet Solagro

D'ici à 2050, la tendance des températures « sera à la hausse et nous allons connaître d'importantes et nombreuses variations interannuelles. Et ce sera encore plus vrai avec la pluviométrie », confirme Christian Huyghe, directeur scientifique de l'Inrae.

Le climat de la France proche de celui de la Tunisie

A cet horizon, le climat de la France se rapprochera de celui de la Tunisie. Or, le pays du Maghreb doit se mobiliser pour conserver une forme de souveraineté alimentaire et éviter de nouvelles émeutes de la faim. Cette indépendance a un prix puisque pour maintenir son agriculture, le pays investit dans le retraitement des eaux usées et construit des stations de dessalement d'eau de mer. Ces installations et leur utilisation ont un coût qui pourrait bien se répercuter sur le prix des denrées.

En France, le système alimentaire sera-t-il en mesure de s'adapter à de tels changements ? « C'est une vraie question. Nous savons qu'il faudra se passer de produits phytosanitaires et que la production va diminuer si aucune adaptation n'est mise en oeuvre », répond Christian Huyghe. L'avenir apocalyptique dessiné par les Pays-Bas pourrait donc être « réaliste à l'horizon 2050 si l'on ne fait rien », abonde Sylvain Doublet, responsable de la prospective au sein de l'association Solagro. « Nous aurons des années de rendement si faible que l'on ne pourra pas nourrir l'ensemble de la population », ajoute le chercheur.

Mais ce sombre scénario n'est pas une fatalité. « On va devoir apprendre à cultiver avec moins d'eau. On va introduire de nouvelles espèces en mesure de s'adapter à des situations de stress hydrique, comme le sorgho », indique Christian Huyghe. La recherche va aussi s'accentuer dans le domaine de la génétique végétale pour découvrir des espèces et créer des variétés plus adaptées. A condition toutefois de réinventer notre système alimentaire.

Dans ce contexte, la diversité devient le maître mot des agriculteurs pour affronter les aléas climatiques. Ils ne pourront plus tout miser sur une seule culture. « L'Europe peut s'inspirer de l'exemple de l'Afrique où les légumineuses poussent en même temps que des céréales au sein d'une même parcelle depuis très longtemps », précise David Pot, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

 

Création de nouvelles filières

Certains agriculteurs ont déjà adapté leurs pratiques. « De nouvelles filières se créent en France comme celle de la pistache, de la nèfle, du sorgho, du lin, du chanvre… » observe Serge Zaka, docteur et chercheur en agroclimatologie. Ainsi, dans le sud de la France, la culture de pistachiers se développe tout comme celle du sorgho dans le Sud-Ouest, en Vendée en Lozère et jusque dans les Pays de la Loire. Les céréaliers la cultivent pour nourrir leur bétail tandis que des transformateurs l'utilisent pour en faire des pâtes, du pain ou même de la bière.

Les viticulteurs font aussi évoluer leurs pratiques avec des zones de production qui changent. Ainsi, les Hauts-de-France ou la Normandie pourraient devenir des régions viticoles ! Ces dernières années, des pieds de vigne ont été plantés dans le Cotentin, l'Orne ou l'Eure et l'association des « Vignerons de Normandie » s'est constituée l'an passé. Des producteurs se sont aussi lancés dans la Somme, le Nord, l'Aisne ou le Pas-de-Calais.

Changement des régimes alimentaires

La clé d'une adaptation réussie repose aussi sur un changement des régimes alimentaires pour les orienter vers des produits moins consommateurs d'eau. Sans surprise, les chercheurs plaident unanimement pour une assiette plus végétale. « Vraisemblablement, notre consommation de produits animaux diminuera avec un régime alimentaire qui passera de 60 % de protéines d'origine animale à 40 ou 50 % », avance Christian Huyghe de l'Inrae. « Il faudrait également multiplier notre consommation de légumineuses par cinq », avance Sylvain Doublet.

Les fruits et légumes vont aussi évoluer. Les consommateurs devront s'habituer à des fruits et légumes aux calibres et aux goûts différents. Par exemple, avec moins d'eau, la taille des pommes de terre se réduira ainsi que celle des fruits qui seront aussi plus sucrés. Par ailleurs, avec des rendements agricoles en baisse, la lutte contre le gaspillage va s'intensifier.

De plus, il y a peu de risque que toutes les cultures soient touchées en même temps par des aléas climatiques. « Certaines années, la récolte de blé pourra être mauvaise tandis que celle du maïs restera préservée, celle des abricots par exemple sera médiocre, mais pas celle des pommes », souligne Serge Zaka. Les consommateurs devront donc être en mesure de substituer facilement une denrée par une autre.

De toute évidence, notre assiette va évoluer avec la raréfaction de l'eau. Mais les changements prennent du temps. « Il faut neuf ans en moyenne pour voir émerger une nouvelle variété », pointe Serge Zaka. Or, il devient urgent de repenser notre système agricole si l'on veut éviter de devoir, un jour, débourser des milliers d'euros pour quelques carrés de chocolat.

 

Le sorgho, une plante millénaire d'avenir

Le sorgho est l'objet de toutes les attentions. La plante originaire de la région sahélienne constitue déjà l'aliment de base dans plusieurs régions arides et semi-arides. Cette céréale dotée d'un système racinaire profond peut en effet pousser malgré des températures élevées et un déficit hydrique important. La plante riche en protéines « possède des qualités nutritionnelles et énergétiques comparables à celles d'autres céréales », indique David Pot, du Cirad. Elle peut être consommée par les humains, mais aussi les animaux.

Toutefois, si le sorgho est plus résistant que le maïs à la sécheresse, son rendement reste inférieur lorsque l'eau est abondante. « Cela résulte aussi d'investissements très importants de la recherche et des entreprises de sélection dans le maïs », précise David Pot. La céréale peu gourmande en engrais et en pesticides pourrait faire l'objet de recherche agrologique et d'investissements « laissant aussi présager des gains génétiques importants », indique le chercheur.

Un monde où l'eau est rare

10 % à 25 % : baisse moyenne de la recharge des nappes phréatiques en France.

9 ans : c'est la durée moyenne actuelle pour créer une nouvelle variété agricole en France.

2050 : le climat de la France sera comparable à celui de la Tunisie.

40 % à 50 % : proportion de protéines animales dans le régime alimentaire en France en 2050, contre 60 % aujourd'hui.

182 euros : le prix de 15 ml « d'eau pure », si l'on ne change pas de système alimentaire, selon la politique-fiction des Pays-Bas.