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Vague d’interpellations coup-de-poing dans la mouvance écologiste

Plusieurs personnes ont été interpellées, lundi, dans le cadre d’une enquête ouverte pour « association de malfaiteurs » et « dégradation en bande organisée » visant une action contre le cimentier Lafarge. Les Soulèvements de la Terre dénoncent « l’escalade répressive que le gouvernement mène contre les mouvements sociaux et écologistes ».

Karl Laske et Jade Lindgaard

5 juin 2023 à 21h14

 

 

 

 

LundiLundi matin, à l’aube, environ soixante-dix policiers ont débarqué à Verfeil-sur-Seye, un village du Tarn-et-Garonne. « La moitié d’entre eux avaient le visage dissimulé par une cagoule », décrit un témoin joint par Mediapart. 
 
Cet habitant, Rémi, s’est vu confier la fille d’une des personnes interpellées par une commissaire de la police judiciaire. « Il y avait une vingtaine de policiers autour de la maison et à toutes les intersections des rues. Ils étaient partout dans le village », raconte-t-il. Remué par la situation, il attend devant la maison en cours de perquisition. « Un homme cagoulé, en tee-shirt noir et treillis, m’a dit de sortir les mains de mes poches et qu’il fallait qu’elles restent visibles. C’était assez intimidant. »
 
Après la perquisition de leurs domiciles, trois jeunes femmes ont été interpellées et conduites à Toulouse où elles ont été placées en garde à vue. Une quatrième personne y a été conduite pour les mêmes faits. 
 
Selon nos informations, elles sont interrogées dans le cadre d’une enquête ouverte pour « association de malfaiteurs » et « dégradation en bande organisée », soupçonnées d’avoir participé à une action contre la cimenterie de La Malle, exploitée par le groupe Lafarge-Holcim, à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), le 10 décembre 2022.

 

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Action militante contre le site de Lafarge-Holcim à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), le 10 décembre 2022 (DR). © DR

Au total, au moins une quinzaine de personnes ont été perquisitionnées simultanément dans plus de dix communes puis placées en garde à vue, selon Les Soulèvements de la Terre, dans un communiqué : « Nous avions soutenu cette initiative de démantèlement salutaire à l’encontre d’une des entreprises les plus destructrices au monde. Nous appelons donc à soutenir très largement les personnes arrêtées aujourd’hui. » Le mouvement appelle à des rassemblements devant les sites Lafarge et les préfectures mercredi soir, et à rejoindre une action prévue contre l’extension d’une carrière Lafarge le 11 juin au matin à Saint-Colomban (Loire-Atlantique).

En décembre, deux cents personnes vêtues de combinaisons blanches avaient investi l’infrastructure du « cimentier pollueur », et avaient revendiqué « une attaque par tous les moyens » : « Le sabotage de l’incinérateur et de dispositifs électriques, câbles sectionnés, sacs de ciment éventrés, véhicules et engins de chantiers endommagés », entre autres. « Sans attendre une COP 2050 et 3 degrés de plus », les militant·es avaient annoncé vouloir « mettre en échec par les moyens adéquats les projets écosuicidaires d’aménagement du territoire et détruire les infrastructures qui les rendent possibles ».
 
Après avoir déploré « de très importants dégâts », le groupe Lafarge avait déposé plainte à Marseille. L’action, qualifiée de « désarmement » par les activistes, n’avait pas duré plus d’un quart d’heure, et personne n’avait pu être interpellé en flagrant délit. Rien n’a filtré sur les éléments qui auraient conduit les enquêteurs jusqu’aux jeunes femmes interpellées lundi.
 
Leur garde à vue pourrait durer 96 heures, a indiqué une fonctionnaire lors de l’opération. Les Soulèvements de la Terre dénoncent « l’escalade répressive que le gouvernement mène contre les mouvements sociaux et écologistes ». Rappelant les « violences policières » à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), lors d'une manifestation contre la mégabassine en mars, et dénonçant « un régime d’exception alimenté par le spectre de “l’éco-terrorisme” » ou encore les menaces de dissolution des Soulèvements de la Terre, les activistes affirment que « par cette criminalisation, c’est bien l’association de malfaiteurs qu’il constitue avec les industries mortifères que le gouvernement révèle ».

L’opération en cours, qui a engagé de nombreux effectifs de police parisiens, arrive à point nommé. En effet, le gouvernement avait justifié sa décision de vouloir procéder à la dissolution des Soulèvement de la Terre (SLT) après les affrontements à Sainte-Soline, par une lettre de griefs relatant les événements militants relayés par le mouvement, et notamment plusieurs actions contre Lafarge. En juin 2021, le mouvement s’était en effet associé à Extinction Rebellion pour envahir un autre site de Lafarge-Holcim, ainsi que du groupe Eqiom, sur le port de Gennevilliers. Et le 10 décembre, il avait relayé le communiqué revendiquant l’action de Bouc-Bel-Air.
 
Dans sa lettre de griefs, le ministère de l’intérieur reprochait aux SLT d’avoir « développé une doctrine qui vise à légitimer les opérations de sabotage auxquels (sic) il provoque », et de « justifier la pratique de l’éco-sabotage ». Ce à quoi les avocats du mouvement avaient répliqué « qu’un tel terme ne peut être trouvé dans aucun écrit, réseaux ou site du mouvement ». Quant « aux faits concrets » reprochés aux SLT, ils ne peuvent pas non plus leur être imputés, avaient souligné les avocats. 
 
La faiblesse juridique du dossier du ministère de l’intérieur est particulièrement criante, tellement que la dissolution souhaitée par Gérald Darmanin, le 28 mars, n’a toujours pas été prononcée, deux mois après la réplique des avocats le 6 avril.
 
La découverte de plusieurs dispositifs de surveillance, traceurs GPS, caméras dissimulées, par des militant·es écologistes ces derniers mois, évoquée vendredi par Mediapart, semblait déjà montrer que des opérations de police étaient en cours. « On ne connaît pas de procédure ouverte qui ait pu servir de support à ces surveillances », avait toutefois commenté Me Pierre Huriet, l’avocat de Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, évoquant l’hypothèse d’enquêtes préliminaires.
 
Les gardes à vue entamées lundi marquent une nouvelle étape dans la criminalisation des actions écologistes, qualifiées « d’association de malfaiteurs ». Le 30 octobre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, réagissant aux affrontements du deuxième rassemblement à Sainte-Soline, avait dénoncé « des modes opératoires » des manifestant·es comme relevant « de l’éco-terrorisme ». « C’est fini : plus aucune ZAD ne s’installera dans notre pays, a-t-il déclaré au JDD, le 1er avril. Ni à Sainte-Soline ni ailleurs. Nous créerons d’ailleurs au ministère de l’intérieur une cellule anti-ZAD, avec des juristes spécialisés. »