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Par Agnès Lanoëlle - a.lanoelle@sudouest.fr
Publié le 28/10/2023 à 7h00.
Mis à jour le 28/10/2023 à 17h32.

 

170 captages d’eau abandonnés en trente ans, ouvrages maintenus malgré leur contamination aux nitrates et aux pesticides… la qualité de l’eau potable pose de plus en plus de problèmes

L’abandon des captages d’eau, ouvrages qui puisent de l’eau souterraine à plus ou moins grandes profondeurs pour être distribuée sous forme d’eau potable, ne date pas d’hier en Charente-Maritime. Cela fait même plusieurs décennies que ça dure. Et les causes ne sont pas nouvelles : les forages sont coupés en raison de leur contamination par les nitrates et les pesticides, majoritairement utilisés dans l’agriculture et la viticulture. Fermer un captage comme ce fut le cas encore la semaine dernière dans l’agglomération rochelaise ou au mois de septembre du côté de Saint-Jean-d’Angély, ne relève plus depuis longtemps d’un geste exceptionnel et courageux. Pour mesurer l’ampleur des dégâts, il suffit de consulter le document du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), réalisé il y a quelques années en lien avec l’agence régionale de santé (ARS) et la région Nouvelle-Aquitaine.

 

Nitrates et pesticides

On y apprend qu’en presque trente ans, sur la période de 1984 à 2012, 170 captages d’eau ont été abandonnés en Charente-Maritime. Le chiffre s’élève à 410 pour l’ex-région Poitou-Charentes. Soit une quinzaine de fermetures par an au plus fort, dans les années 2000. Et dans la très grande majorité, ils ne sont jamais rouverts. Comme le relève le BRGM, « les nitrates sont les premiers responsables ». Au moment de l’étude, ce fertilisant chimique très utilisé dans les vignes correspondait à 50 % de la contamination, devant les pesticides (entre 15 et 25 %). Il y a trente ans déjà, les experts n’émettaient aucun doute. « La dégradation de la qualité des eaux constitue la première cause d’abandon. Elle concerne 52 % des captages. Cette situation résulte d’une pression agricole élevée dans un contexte de forte vulnérabilité de certaines formes géologiques régionales. La difficulté à protéger efficacement et à coût acceptable les captages constitue la seconde raison de leur abandon. Ce motif est très souvent lié à des problèmes de qualité de la ressource » selon le document du BRGM.

 

Des fermetures prévisibles depuis longtemps

Trente ans plus tard, malgré des plans éco-phytosanitaires et la mise en place de zones de protections autour des nappes phréatiques, la situation est toujours aussi tendue, et les eaux souterraines toujours aussi polluées par des produits qui peuvent subsister pendant des décennies. Sans surprise, les collectivités continuent donc de fermer des ouvrages à tour de bras. Quelques exemples ces derniers temps : Casse-Mortier, sur la commune de Clavette, au nord de La Rochelle, fermé en 2020, après une énième contamination au chlortoluron, un puissant herbicide agricole épandu à l’automne. Poursay-Garnaud, près de Saint-Jean-d’Angély, fermé par « précaution » par le syndicat Eau 17, en septembre dernier en raison d’une pollution au chlorothalonil, un fongicide agricole.

Les politiques connaissent la cause mais ne cherchent pas de solution »

Là encore, son arrêt pur et simple ne doit surprendre personne. L’ouvrage de Poursay-Garnaud était depuis des années en sursis en raison notamment de « teneurs très élevées aux nitrates » selon les données du BRGM. En 2017, par arrêté préfectoral, les services de l’État avaient sommé Eau 17 de réaliser « un périmètre de protection immédiate » et interdit de nombreuses activités agricoles. Enfin, dans la foulée de Casse-Mortier, l’agglomération de La Rochelle vient de mettre sur pause ses 16 forages de l’agglomération rochelaise eux aussi contaminés par le chlorothalonil.

 

Des ouvrages pollués mais impossibles à fermer

Dans le meilleur des cas, les gestionnaires mettent à l’arrêt les ouvrages. Mais ce n’est pas toujours possible. L’exemple des deux forages de Néré (aux lieux-dits Petit Moulin et le Grand Breuil), dans le secteur d’Aulnay, illustre une autre problématique. Depuis deux ans, les services de la Préfecture ont pris un arrêté dérogatoire pour autoriser leur exploitation par le syndicat Eau 17 malgré « des dépassements récurrents aux limites de qualité pour le paramètre pesticides ». Mais il y a un gros problème : « il n’existe aucun moyen raisonnable pour maintenir la distribution d’une eau conforme à l’exigence de qualité sanitaire » stipule l’arrêté. En clair : les deux forages sont régulièrement pollués au métolachlore, selon le rapport de l’ARS, mais il n’y a pas de solution de raccordement à un autre réseau comme c’est souvent le cas dans le reste du département.

D’où une dérogation préfectorale de trois ans pour permettre à Eau 17 d’engager des travaux. En attendant, les usagers boivent une eau dégradée, « sans présenter de risque sanitaire » tentent de rassurer les autorités. Même situation et même exception à la règle, au sud du département : le captage de La Clotte, près de Montguyon, présente une qualité de l’eau « non conforme » selon l’ARS. Le métolachrore contamine régulièrement les nappes et « les contrôles sanitaires ne montrent aucune baisse ». Le seuil de qualité est atteint, pas celui de la toxicité. À Eau 17 d’agir vite « afin de réduire la concentration des pesticides dans l’eau distribuée », préviennent les services de l’État.

 

L’étau se resserre

À ce rythme, quel avenir pour la qualité de l’eau potable en Charente-Maritime ? Pour les membres de SOS Rivières et Environnement, qui siègent dans de nombreuses instances liées à la gestion de l’eau et mènent un combat depuis plus de vingt ans, il n’y a guère de quoi être optimiste dans un département champion du glyphosate et autres dérivés. « L’étau se resserre mais il ne se passe rien. Les politiques restent confiants et ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. Ils connaissent la cause, mais ils ne cherchent pas de solution et on continue ventre à terre d’autoriser les pesticides », estime Jean-Louis Demarcq. Pour son collègue Jean-Marie Bourry, les dernières fermetures l’amènent à une autre réflexion : « 40 % de l’eau potable est pompée dans la Charente, qui traverse tout le vignoble cognaçais. Or on recherche les molécules des herbicides, mais pas des fongicides qui sont autant utilisés. On ne cherche pas assez de molécules pour connaître précisément la qualité de l’eau. Il nous manque beaucoup de données et quand on les demande, on reste sans réponse ».