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L’alerte des chefs d’établissement scolaire sur la mise en place des groupes de niveau

Le SNPDEN-UNSA, syndicat majoritaire dans la profession, estime la réforme lancée par Gabriel Attal « contraire à [ses] valeurs » et pointe des moyens largement insuffisants pour assurer son déploiement.

Par Eléa Pommiers

 

L’initiative est rare de la part d’une organisation syndicale représentant des cadres de l’éducation nationale peu coutumière des oppositions frontales au ministère. Le SNPDEN-UNSA, largement majoritaire chez les chefs d’établissement du public, a remis lundi 22 janvier un courrier « d’alerte » à la ministre de l’éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, sur les groupes de niveau au collège. Cette mesure, décidée en décembre 2023 par Gabriel Attal lorsqu’il occupait encore son poste Rue de Grenelle, est « contraire à nos valeurs » et « engendre de nombreuses difficultés techniques et organisationnelles », dénonce le syndicat. « Il n’y a rien de plus difficile pour des cadres que de porter un projet auquel ils ne croient pas, et contraire à ce qu’ils ont toujours porté », prévient le courrier.

Dès septembre 2024, selon le calendrier établi par le ministère, les élèves de 6e et de 5e doivent être répartis en groupes en fonction de leur niveau scolaire pour toutes leurs heures de français et de mathématiques. Ces groupes, déjà dénoncés par la quasi-totalité des syndicats enseignants et par plusieurs chercheurs, dont certains du Conseil scientifique de l’éducation nationale, « sont vécus par les chefs d’établissement comme une ségrégation scolaire », tance le SNPDEN dans sa lettre.

 

Loin de n’être que des regroupements temporaires et flexibles, comme le recommande la recherche et comme a pu les présenter le gouvernement, ils vont « regrouper, sur un temps inévitablement long, des élèves en difficulté qui, sans hétérogénéité, avanceront nettement moins vite que les autres groupes », déplore le SNPDEN. « Nous refusons d’organiser, Madame la Ministre, des classes de niveau », tranche l’organisation, qui syndique plus de la moitié des personnels de direction.

 

Pour le SNPDEN, la réponse aux difficultés posées par l’hétérogénéité tient davantage aux effectifs de classe, qui sont au plus haut depuis la création du collège unique : « Donnez-nous plutôt les moyens de diminuer le nombre d’élèves par classe et de faire ainsi réussir mieux les élèves », plaide le syndicat.

« Faire disparaître le latin »

Aucun texte réglementaire encadrant la création des groupes de niveau n’a par ailleurs encore été publié et ne pourra l’être avant mi-février, alors même que les collèges et les lycées doivent préparer la rentrée 2024 en ce mois de janvier, période de la réception et de la répartition des moyens dans les établissements. Déjà échaudé par plusieurs mesures de la rentrée 2023 mises en place dans les mêmes conditions, le SNPDEN dénonce « cette perpétuelle urgence désormais devenue règle » et affirme : « Pas de texte, pas de mise en œuvre. »

 

Les personnels de direction alertent également sur les conséquences de cette nouvelle organisation pour « les conditions de travail des enseignants » et pour la désignation de professeurs principaux, qui risque de devenir « impossible », car les professeurs de mathématiques et de français ne connaîtront plus que des groupes, et ne suivront plus des classes entières.

 

Alors que les établissements ont désormais reçu leurs « dotations globales horaires » – ces enveloppes d’heures que l’éducation nationale donne aux collèges et aux lycées pour mettre en place leur offre pédagogique –, le SNPDEN constate surtout que « les moyens sont insuffisants dans de nombreux établissements ».

« Beaucoup d’établissements n’ont pas reçu de moyens supplémentaires, ou pas assez pour proposer des groupes réduits à tous ceux qui en ont besoin », observe Audrey Chanonat, secrétaire nationale du SNPDEN et principale de collège. Le ministère a en effet annoncé que les groupes d’élèves de faible niveau ne devraient pas dépasser 15 élèves, et prévoit « théoriquement » un effectif de 22 pour le niveau « intermédiaire ».

S’ils veulent appliquer la consigne ministérielle, les chefs d’établissement devront donc piocher dans leur « marge », l’enveloppe d’heures dont l’utilisation est libre et qui finance, notamment, des options. « Si je prends sur ma marge pour les groupes de niveau, je vais devoir faire disparaître le latin », illustre Mme Chanonat. Or, rappelle la lettre du SNPDEN, ces enseignements optionnels « sont, pour l’école publique, (…) une garantie de pouvoir maintenir une offre de formation suffisante face à certains établissements privés ».

« Recourir à des contractuels »

Même pour les établissements qui disposent de moyens supplémentaires, le syndicat s’alarme du manque de ressources humaines. La Rue de Grenelle a calculé que 2 300 postes seraient nécessaires pour permettre des groupes en effectifs réduits : ils ne sont « pas suffisants », assure le SNPDEN. D’autant que, malgré la révision du budget de l’éducation nationale pour finalement créer des postes dans le secondaire, le ministère ne dispose pas de tels effectifs supplémentaires en mathématiques et en français. Et les deux disciplines étant déficitaires au concours, il n’est pas garanti que les postes créés soient pourvus en 2024.

Le ministère assure, lui, que ces 2 300 postes « suffisent ». Mais il précise qu’une partie des besoins pourront être couverts par des heures supplémentaires, se dit également « conscient » que les enseignants titulaires ne seront pas assez nombreux, et qu’il faudra « recourir à des contractuels », pourtant bien moins formés.

 

« Ces groupes risquent d’abîmer l’école publique que nous défendons et que nous servons, la ministre doit entendre notre alerte », conclut Audrey Chanonat. Une alerte qui rend ce projet cher à Gabriel Attal, désormais premier ministre, mais largement rejeté par les représentants de la communauté éducative, encore plus périlleux pour Amélie Oudéa-Castéra.