JustPaste.it

Le projet budgétaire du gouvernement français est inutile, dangereux et injuste

0a7be6f133a5724aeb77c8f4055d48f5.jpg

 

Dans une tribune au « Monde », le politiste Benjamin Lemoine et les économistes Éric Berr et Anne-Laure Delatte critiquent le « contresens historique » du Programme de stabilité présenté par Bruno Le Maire.
Aujourd’hui à 12h00, mis à jour à 12h00.Lecture 3 min. Article réservé aux abonnés

 

Vous avez aimé la réforme des retraites ? Vous allez adorer le nouveau projet budgétaire du gouvernement. Bruno Le Maire en a dévoilé les contours jeudi 20 avril lors de la présentation du Programme de stabilité (Pstab) de la France pour 2023. Il affiche une volonté claire d’accélérer le désendettement du pays, assurant vouloir « ramener le déficit public à 2,7 % et la dette publique à 108,3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2027, soit 4 points de dette en moins que ce qui avait été envisagé il y a un an lors du précédent Pstab ». Cet effort à venir de l’Etat, des collectivités locales et de la Sécurité sociale est présenté par le ministre comme un principe de justice – après le sacrifice demandé à la population avec la réforme des retraites, il serait normal qu’un effort soit demandé aux administrations publiques.

Qui peut avaler un argument aussi grossier ? C’est en réalité la poursuite implacable de la dégradation des services publics et de la protection sociale qui est programmée. Cet effort serait, selon le gouvernement, rendu nécessaire par la hausse des taux d’intérêt qui alourdirait la charge de la dette publique et menacerait sa soutenabilité. Afin de noircir le tableau à dessein, Bruno Le Maire affirme que « c’est soit la réduction accélérée de la dette maintenant (…), soit les impôts demain ».

 

Signal de fébrilité

Le choix du gouvernement est pourtant inutile, dangereux, et aussi injuste.

Inutile parce que d’après l’Agence France Trésor, en avril, la demande des investisseurs a été deux fois plus importante que le volume de titres français émis. Cela signifie que la dette française reste éminemment attractive et ne suscite aucune inquiétude sur les marchés financiers. Selon les prévisions du gouvernement, la charge de la dette atteindrait 70 milliards d’euros en 2027, soit 2 % du PIB en 2027 contre 1,8 % en 2022. Cette légère hausse est en partie due à l’émission de titres indexés sur l’inflation. Or ces titres, en protégeant les revenus financiers alors que les salaires ne le sont pas, représentent un élément de plus d’injustice sociale.

 

Dangereux parce que le gouvernement envoie un signal de fébrilité, alors que les appréciations financières ne montraient pas d’inquiétude quant à la soutenabilité de la dette française. Afficher publiquement que la signature française est conditionnée à la réforme des retraites et aux baisses de dépenses à venir est une stratégie périlleuse, sinon contre-productive, comme en témoigne la récente dégradation opérée par l’agence de notation Fitch, qui s’est déclarée bien plus inquiète du climat social en France que de l’absence de la réforme des retraites, ou encore la réaction de son homologue Moody’s, qui a souligné qu’en passant en force par le 49.3, le gouvernement obérait les capacités de réforme à venir.

La presse économique étrangère, notamment le Financial Times, observe que le président a « balayé l’opposition parlementaire d’une manière qui ne convient pas à la démocratie », parle de « marche forcée au prix de la cohésion sociale » et exprime sa « crainte du vote populiste Marine Le Pen en 2027 ». La dérive autoritaire du pouvoir n’alarme pas forcément par elle-même, mais par crainte des réactions dites « anti-establishment » que la réforme nourrit. Ce qui est en cause, c’est l’impact négatif sur le critère de « stabilité institutionnelle », soit la capacité de l’État à ponctionner sans heurts l’impôt pour en transférer le revenu aux créanciers. Emmanuel Macron devient contre toute attente un « mauvais élève » du capital financier, précisément parce que sa méthode de gouvernement a mis à mal l’acceptabilité des réformes néolibérales par la population : le démantèlement pas à pas de la protection sociale et son grignotage par les assurances privées. Ce sont ces sujets-là qui animent les conversations étrangères sur la France actuellement, pas le niveau de la dette publique en soi !

Récit catastrophiste

La stratégie du gouvernement est enfin injuste. Plutôt que de s’attaquer à la dette écologique, ce qui nécessite des investissements publics importants en partie financés par l’endettement, Bruno Le Maire assume que « ce choix du désendettement accéléré est un véritable choix politique ». Il est surtout le résultat de l’organisation de la baisse des recettes fiscales qui, en creusant la dette, permet de justifier un récit catastrophiste à coups de chiffres chocs et de légitimer l’austérité par un message disciplinaire contraignant la population au sacrifice des services publics et sociaux (« sinon ce serait la faillite »).

 

En effet, les baisses de recettes fiscales s’expliquent en grande partie par des exonérations fiscales et de cotisations sociales qui coûtent plus de 6 % du PIB chaque année ! Ces exonérations profitent principalement aux ménages les plus aisés et aux grandes entreprises. Pour financer le déficit public, on préfère emprunter aux plus riches épargnants plutôt que les taxer, en garantissant la sécurité et le rendement de leur placement par un mode de gouvernement autoritaire. Accélérer le désendettement au moment où la crise écologique et la contestation sociale se font de plus en plus pressantes est un contresens historique.

Source le Monde 5 mai 2023

Eric Berr est maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux et membre de Bordeaux sciences économiques ; Anne-Laure Delatte est chargée de recherche au CNRS à l’université Paris-Dauphine et membre du Center for Economic and Policy Research ; Benjamin Lemoine est politiste, chercheur au CNRS à l’École normale supérieure de Paris et membre du Centre Maurice-Halbwachs.