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Après une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats dénoncent une remise en cause du paritarisme

Alors que le gouvernement a présenté lundi une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les organisations de salariés craignent d’être reléguées dans une position subalterne, face à un Etat devenu quasi omnipotent.

Par Thibaud Métais et Bertrand Bissuel

 

Le ministre du travail, Olivier Dussopt (au centre), lors d’une réunion avec les syndicats sur la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022.

 Le ministre du travail, Olivier Dussopt (au centre), lors d’une réunion avec les syndicats sur la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022. BERTRAND GUAY / AFP

 

Les partenaires sociaux vont-ils rester sur le siège passager ou reprendre le volant ? Alors que le gouvernement a présenté, lundi 21 novembre, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats s’interrogent sur les marges de manœuvre – de plus en plus limitées – qu’ils détiennent, avec le patronat, au sein de ce dispositif. Ils craignent d’être relégués dans une position subalterne, face à l’Etat devenu quasi omnipotent.


En temps ordinaire, les organisations d’employeurs et de salariés fixent les paramètres d’indemnisation des chômeurs, dans le cadre de conventions conclues après négociations entre elles. Il leur appartient également d’administrer le système, par le biais d’une association : l’Unédic. C’est ce qu’on appelle le « paritarisme de gestion ». L’exécutif a, certes, toujours occupé une place aussi importante que discrète : pour que les conventions s’appliquent, le ministère du travail doit donner son agrément, ce qui lui permet d’« en contrôler le contenu et au besoin de jouer le rapport de force », décrypte Jean-Pascal Higelé, sociologue à l’université de Lorraine. En outre, les pouvoirs publics apportent leur garantie financière à l’Unédic quand celle-ci emprunte de l’argent pour combler des déficits.

 

Mais l’Etat a accentué son emprise au cours des dernières années. En 2019, il a durci les conditions d’accès au régime tout en modifiant les règles de calcul de l’allocation, avec comme conséquence une baisse du montant mensuel versé à certains chômeurs. De plus, une loi promulguée en septembre 2018 impose aux partenaires sociaux de suivre une lettre de cadrage quand ils discutent du contenu d’une convention.


« On passe du paritarisme au tripartisme »

La réforme dévoilée lundi par Olivier Dussopt, le ministre du travail, prolonge ce mouvement de fond. Concrétisant une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, elle aura notamment pour effet de diminuer de 25 % la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi dont le contrat de travail a pris fin à partir du 1er février 2023. M. Dussopt a précisé qu’il saisirait prochainement les organisations d’employeurs et de salariés, afin qu’elles négocient sur la « gouvernance » de l’assurance-chômage : « Ce sera l’occasion de réinterroger la place du paritarisme, la place de l’Etat, la place du Parlement [dans le système] », a-t-il dit.

Le ministre a aussi indiqué que les syndicats et le patronat ouvriront, fin 2023, des tractations à propos des modalités d’indemnisation : ils « souhaitent retrouver leurs prérogatives, ce que nous partageons », a-t-il ajouté. Mais les protagonistes devront se conformer au principe de modulation, désormais inscrit dans la loi, qui fait varier la durée de versement de l’allocation en fonction de la conjoncture économique. M. Dussopt a même évoqué des scénarios avec des paramètres encore plus stricts dans l’hypothèse où le taux de chômage baisserait à « 4,5 % ou 5 % » (contre 7,3 % aujourd’hui).

« Ça montre clairement que l’Etat veut reprendre la main », affirme Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT

« Ça montre clairement que l’Etat veut reprendre la main, affirme Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT. On ne peut plus considérer que c’est du paritarisme. » L’heure est donc venue de « se dire ce que sera la future gouvernance », poursuit-elle, en exhortant toutes les parties à « cesser de faire semblant » et à « assumer ce tripartisme » de fait – avec les représentants des salariés, ceux des entreprises et les pouvoirs publics. Secrétaire confédéral de FO, Michel Beaugas estime, lui aussi, qu’« on passe du paritarisme au tripartisme ». « Et quand on négocie à trois, il y en a toujours deux qui s’entendent contre le troisième. On sait donc que ce sera l’Etat et le patronat contre les syndicats », pronostique-t-il. Pour autant, « il ne faut pas laisser la chaise libre », d’après lui.

C’est également le point de vue Denis Gravouil, chargé du dossier pour la CGT, qui plaide pour que les syndicats reconquièrent rapidement leurs attributions. « On pourrait avoir cette facilité qui consisterait à s’en aller, mais ce serait laisser la porte grande ouverte au gouvernement, ce que nous ne voulons pas », renchérit Eric Courpotin, secrétaire confédéral de la CFTC. Son homologue à la CFE-CGC, Jean-François Foucard, est plus dubitatif : « Il n’y a plus grand intérêt à rester dans la gouvernance. »


La succession de réformes impulsée depuis 2018 par l’exécutif montre que l’Etat « n’a même plus le soin de trouver une forme de légitimité en cherchant un accord avec une ou quelques organisations », juge M. Higelé. « L’équilibre des intérêts contradictoires entre salariés et employeurs et les compromis nécessaires, qui justifiaient une négociation des partenaires sociaux, ne fait plus partie des préoccupations du pouvoir macroniste, complète-t-il. L’assurance-chômage n’apparaît plus comme un outil de protection contre le risque social du chômage mais comme un outil de politique d’emploi pour jouer sur des incitations ou des désincitations théoriques à la reprise d’emploi. »

Professeur à la Neoma Business School, Gilbert Cette considère, de son côté, que le régime est soumis à une « fiction de paritarisme de gestion ». « L’Etat intervient continûment et les partenaires sociaux laissent faire », observe-t-il, en rappelant que le dispositif a accumulé une dette colossale, de l’ordre de 63,6 milliards d’euros à la fin 2021. A ses yeux, il convient de sortir des faux-semblants : « Soit les syndicats et le patronat prouvent qu’ils peuvent gérer de façon exemplaire, comme ils le font pour les retraites complémentaires du privé, et dans cette hypothèse, leur laisser les rênes de l’assurance-chômage a tout sens. Soit l’Etat doit prendre les commandes, comme dans d’autres champs de notre système de protections sociale. »

Thibaud Métais et Bertrand Bissuel