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La pénurie de logements à louer, une crise de plus en plus aiguë

Locataires incapables d’accéder à la propriété privée et qui ne libèrent plus leur logement, investisseurs privilégiant la location saisonnière… Les raisons de cette situation, qui s’accentue dans les métropoles et pénalise particulièrement les étudiants, sont multiples.

Par Véronique Chocron

 

File d’attente pour la visite d’un appartement à louer, à Paris, en 2019.

 File d’attente pour la visite d’un appartement à louer, à Paris, en 2019. AUBIN LARATTE / LE PARISIEN / MAXPPP

 

Pour relouer leur chambre de bonne parisienne de 10 mètres carrés à deux pas du Panthéon (5arrondissement), à compter du 1er octobre, Laurence et son mari, Jean, sexagénaires (ils n’ont pas souhaité donner leur nom), ont mis une petite annonce sur Leboncoin. Avec vue sur le quartier du Val-de-Grâce, à proximité des prestigieux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand, le logement est proposé à 490 euros charges comprises. En une demi-heure, ils reçoivent 148 réponses, avant de retirer l’annonce en catastrophe. « Mon téléphone n’arrêtait pas de biper, j’ai cru qu’il buggait », raconte Jean. Le désarroi des candidats à la location les laisse pantois. Parmi les messages, des étudiants écrivent : « Ma rentrée est demain et je n’ai rien » ; une jeune fille sans solution les supplie d’un « s’il vous plaît » ; un couple s’épanche : « On est perdus. »

 

« Ça brise le cœur, lâche Laurence. Ça n’avait plus rien à voir avec la dernière fois que nous avions mis une annonce, en 2021. » Des candidatures arrivent assorties d’un dossier en ligne, certaines « ressemblent à des lettres que l’on peut envoyer à un DRH [directeur des ressources humaines]. Quelqu’un m’a même écrit derrière pour savoir ce qui n’allait pas dans sa candidature », poursuit la propriétaire.

 

Tous les étudiants ont des garants, « des parents qui, à quelques exceptions près, gagnent beaucoup d’argent », souligne Jean. Le couple choisit finalement un étudiant au profil solide, mis à la porte de son logement, qui les a beaucoup relancés« de façon gentille ». « Mais je réagis aussi en maman, je continue à me poser la question de ce que vont faire les cent quarante que l’on n’a pas pris », glisse Laurence.

Deux cents demandes en vingt-quatre heures

Sur le réseau social professionnel LinkedIn, Richard M., un consultant, a raconté, mercredi 2 octobre, une expérience comparable. Après avoir mis en ligne une petite annonce pour un studio de 22 mètres carrés à Bordeaux à la rentrée, il reçoit plus de deux cents demandes en moins de vingt-quatre heures. Face à un tel déferlement, « répondre à tout le monde » est « impossible » et les étudiants les plus précaires n’ont, eux, « quasiment aucune chance », déplore-t-il dans son post LinkedIn.

 

La pénurie d’appartements à louer, particulièrement aiguë dans les métropoles et les zones tendues, relève de l’arithmétique : la demande de locations progresse, alors que l’offre baisse. Le pic des naissances du mitan des années 2000 se traduit aujourd’hui par l’accès de cette génération aux études supérieures, d’où la très forte demande des étudiants pour se loger – il s’ajoute au phénomène de la décohabitation, lié aux divorces et aux séparations.

« Tous ceux qui n’ont pas les parents derrière restent sur le carreau. Les agences immobilières, le plus souvent, ne les rappellent même pas ou ne sont pas toujours sympas – mais on ne peut pas en vouloir à l’assistante qui dit trente fois par jour : “il n’y a plus rien à louer”, explique Hanane Zineddaine, directrice de l’agence immobilière L’Adresse, au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Moi, ils me font de la peine. Beaucoup dorment au milieu du salon chez des cousins. Alors je dis à mon équipe : “Ça pourrait être votre gamin.” » Cette professionnelle n’a « jamais vécu une rentrée comme celle-là, en dix-huit ans de métier ».

Au cœur de la capitale, dans son agence immobilière Laforêt du 11e arrondissement, Samantha Nerot n’est pas non plus très à l’aise face à la détresse des candidats à la location. « C’est compliqué pour moi. En septembre, je m’excuse quotidiennement de ne pas pouvoir aider tout le monde, dit-elle. Les vingt ou trente premiers, on leur répond par mail ou au téléphone, mais quand il y a cent demandes, on ne tient pas la cadence. » Elle explique aux clients, désespérément à la recherche d’un appartement, fatigués d’être aux aguets, la tension extrême sur le marché locatif, et qu’« [ils] ne [sont] pas magiciens ».

Situation « critique à Paris et à Nice »

Du côté de l’offre, les obstacles s’accumulent. Avec la hausse brutale des taux d’intérêt, en 2022, la machine de l’accession à la propriété s’est cassée et le parcours résidentiel s’est grippé. Les ménages qui auraient dû acheter leur premier logement sont restés locataires de leur appartement et ne l’ont donc pas libéré pour les étudiants et les jeunes travailleurs. « Le taux de rotation des locations a chuté, passant de 22,6 %, en 2021, à 18,5 % à ce jour », explique-t-on chez Foncia. « Les difficultés concernent tout le monde, mais les familles qui s’agrandissent vivent dans une forme d’inconfort et ressentent moins de pression que les étudiants, dont certains en sont à dormir dans leur voiture », constate Laurent Soulier, directeur de l’excellence opérationnelle chez Emeria, ex-Foncia Groupe.

« En deux ans, le nombre de congés donnés par des locataires dans notre parc a chuté de 30 % et le nombre de nouveaux mandats de gestion de location rentrés par nos cabinets s’est effondré de 50 % », souligne, de son côté, Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim).

 

En se fondant sur les petites annonces mises en ligne sur son site, le groupe SeLoger estime que « l’offre locative disponible en France entre 2022 et 2024 a reculé de 17 % », avec de gros écarts selon les territoires. La situation serait ainsi « très critique à Paris et à Nice avec respectivement − 44 % et – 41 % » sur la période, affirme Thomas Lefebvre, vice-président chargé des données des plateformes SeLoger et Meilleurs Agents.

Phénomène ancien, l’attrition de l’offre locative dans la capitale va en s’accélérant. Jacques Baudrier, adjoint communiste à la maire de Paris chargé du logement, estime « à 350 000 le nombre de logements locatifs privés, en 2024, contre 430 000 dix ans avant, 600 000 dans les années 1980 et 1 million juste après la guerre ». L’élu s’alarme de « la baisse de 8 000 logements locatifs privés par an », pour l’essentiel liée à l’augmentation du nombre de logements vacants et de résidences secondaires. Il redoute que, dans quatre ou cinq ans, les logements privés à louer à Paris ne deviennent moins nombreux que les résidences secondaires et les logements vacants réunis.

« La taxe foncière augmente »

La réglementation de la Ville sur les meublés touristiques de type Airbnb n’y change rien. Selon le réseau d’agences Century 21, les achats de résidences secondaires dans la capitale durant les neuf premiers mois de l’année ont encore grimpé de plus de 37 % sur un an, pour représenter 11 % des ventes. Et, dans le même temps, les acquisitions effectuées à des fins d’investissement locatif ont reculé de près de 4 %.

« La taxe foncière augmente, le dispositif Pinel s’arrête, une partie des loyers sont plafonnés et encadrés. On demande aux bailleurs des obligations de diagnostics énergétiques auxquels échappent les Airbnb, qui bénéficient en outre d’une fiscalité avantageuse… Tout cela fragilise l’investissement locatif », fait valoir M. Cantin.

 

A Rennes aussi, l’investisseur à la recherche d’un studio à louer pour compléter sa future retraite se fait plus rare. « Avec un rendement à 4 % dans le centre-ville, on vend plutôt à des investisseurs avec de l’affect, comme les parents qui ne trouvent rien à louer pour leur enfant étudiant », raconte Guillaume de Vergie, responsable d’une agence immobilière Laforêt dans la capitale bretonne. Il reste possible de « trouver du 8 % à 10 % de rapport » en investissant « dans des quartiers un peu moins sympas, sur de la colocation, avec des chambres à 450 euros par mois », dit-il.

Cette activité de gestion reste toutefois complexe et chronophage, si bien que l’agence n’accepte plus ce type de mandats. Les investisseurs se rabattent le plus souvent sur les locations saisonnières. « Moi, je ne mets pas cette option en avant, prévient M. de Vergie. Les meublés touristiques nous prennent des logements. Donc, on se tire une balle dans le pied si l’on commence à inciter les investisseurs à sortir les appartements du parc locatif. »