Réforme de l’assurance-chômage : vers un nouveau durcissement des règles
Le ministère du travail a transmis vendredi aux partenaires sociaux le projet de décret sur la réduction de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Il introduit un scénario prévoyant de diminuer de 40 % (et non plus de 25 %) le nombre de jours pendant lequel une personne est couverte.
Par Thibaud Métais et Bertrand Bissuel
Il faut toujours suivre jusqu’au bout l’élaboration de mesures réglementaires : la version finale réserve parfois quelques surprises. Démonstration vient d’en être apportée avec le projet de décret sur la réforme de l’assurance-chômage, qui a été transmis, vendredi 23 décembre, aux partenaires sociaux. Révélé par l’agence de presse spécialisée AEF, le texte introduit un nouveau scénario, consistant à réduire de 40 % la durée d’indemnisation lorsque le taux de chômage passe sous la barre des 6 %.
Les syndicats de salariés sont dans une colère noire, à cause du contenu comme de la méthode : ils assurent que le gouvernement ne leur avait pas parlé en amont de cet ajout, permettant de durcir un peu plus les dispositions applicables aux demandeurs d’emploi.
Le projet de décret en question est lié à la loi sur le « fonctionnement du marché du travail », qui a été publiée, jeudi, au Journal officiel. Le texte prévoit de moduler le nombre de jours durant lequel un demandeur d’emploi reçoit une allocation, en fonction de la conjoncture économique. Cette idée de « contracyclicité » correspond à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron.
En vigueur que jusqu’au 31 décembre 2023
Aujourd’hui, une personne privée d’activité peut être couverte, au maximum, durant vingt-quatre mois si elle a moins de 53 ans, trente mois si elle est âgée de 53 ou de 54 ans, et trente-six mois pour les autres. A partir du 1er février 2023, tout chômeur sera assujetti à un « coefficient réducteur » de 0,75, ce qui aura pour effet d’amputer de 25 % la durée d’indemnisation. Exemple : une personne qui aurait eu droit à douze mois de prestation en vertu du système actuel sera prise en charge pendant neuf mois.
Cette modulation joue en tenant compte de l’état de santé du marché de l’emploi. Pour pouvoir l’apprécier, l’exécutif a retenu comme indicateur le taux de chômage : s’il est inférieur à 9 %, comme c’est le cas en ce moment – à 7,3 % –, le coefficient réducteur s’applique. Si la situation se dégrade, avec un taux de chômage au-dessus de 9 % ou en progression de 0,8 point sur un trimestre, la durée d’indemnisation reviendra au niveau d’aujourd’hui.
Ces règles ne resteront en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2023. D’ici là, le patronat et les syndicats de salariés seront amenés à en négocier de nouvelles, dans le cadre d’une convention. Cependant, le mécanisme de contracyclicité devra être maintenu, comme l’a précisé le ministre du travail, Olivier Dussopt, lors d’une conférence de presse qu’il a donnée le 21 novembre. Il a ajouté que, à l’occasion de ces discussions, il serait « possible d’envisager » des cas de figure supplémentaires, voire « de durcir encore les choses » si l’« objectif de plein-emploi, à 5 % de chômage, est atteint ». Mais il n’a alors pas livré plus de détails.
Le projet de décret communiqué vendredi concrétise donc une intention, mais que M. Dussopt avait exprimée dans des termes vagues et avec un chiffrage différent. Il introduit la possibilité de réduire de 40 % la durée d’indemnisation « en cas de baisse du taux de chômage à un niveau inférieur à 6 % ». Ce changement n’est toutefois pas pour tout de suite : « Les conditions d’application de cette disposition sont renvoyées à un décret en Conseil d’Etat pris après concertation »avec les organisations d’employeurs et de salariés.
« Un coup de rasoir à trois lames »
Plusieurs responsables syndicaux disent être tombés de leur chaise quand ils ont découvert le texte. « Le ministère du travail avait évoqué l’hypothèse d’un autre coefficient réducteur, se traduisant par une diminution de la durée d’indemnisation encore plus importante que celle qui est sur le point d’entrer en vigueur, dans les situations où l’économie se porte très bien, affirme Marylise Léon, numéro deux de la CFDT. Mais il ne nous avait jamais parlé d’une réduction de 40 % avec un taux de chômage à 6 %. » Aux yeux de la dirigeante cédétiste, il s’agit d’une « très mauvaise nouvelle pour les demandeurs d’emploi » :
« Le gouvernement cherche clairement à dégager des économies, qui s’ajoutent à celles déjà induites par la réforme décidée en 2019. »
Une allusion à d’autres décrets pris sous la précédente législature qui ont eu pour conséquence, dans certaines situations, de limiter l’accès au régime et de tailler dans le montant des prestations.
La manière dont les services de M. Dussopt ont agi heurte aussi Jean-François Foucard, secrétaire confédéral de la CFE-CGC : « Faire ça en catimini un 23 décembre prouve qu’ils n’ont pas la conscience tranquille. » Pour le syndicaliste, le pouvoir en place « préempte déjà la future négociation » qui doit avoir lieu en 2023 entre partenaires sociaux, afin de fixer de nouvelles règles d’assurance-chômage : « Ce n’est pas normal, dit-il. Dans un tel cadre, on peut déjà acter qu’elle n’aboutira pas. »
Chargé du dossier pour la CGT, Denis Gravouil est ulcéré : « Le gouvernement s’assoit un peu plus sur le paritarisme. C’est inacceptable, l’Etat veut prendre la main et fait en sorte que ça se produise en ignorant le rôle des organisations patronales et syndicales. » Alors que la réforme de 2019 produit des « effets négatifs », rappelle-t-il, « on va avoir un deuxième coup en février et le gouvernement en annonce donc déjà un troisième » : « C’est un coup de rasoir à trois lames pour détruire l’assurance-chômage. »
Sollicité par Le Monde, le ministère du travail n’a pas donné suite.
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« Les réformes de l’exécutif visent à conforter une rupture avec le développement historique du système social français »
Tribune
Jean-Claude Barbier
Economiste
Michaël Zemmour
Economiste
Les chercheurs Jean-Claude Barbier et Michael Zemmour déroulent, dans une tribune au « Monde », le fil reliant les réformes de la retraite, de l’assurance-chômage, du revenu de solidarité active et du service public de l’emploi.
Publié le 21 octobre 2022
Après le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, marqué par des réformes du marché du travail, une réduction des prestations chômage, puis l’abandon d’une première réforme des retraites, l’agenda social du second mandat se précise. Il comprend quatre réformes principales : une nouvelle diminution de l’assurance chômage (en minorant les droits en fonction de la conjoncture), un raccourcissement de la retraite (en jouant sur l’âge ou la durée de cotisation), la mise sous condition d’activité du RSA (éventuellement fusionné avec les autres minima sociaux) et la réforme du service public de l’emploi, rebaptisé France travail (chargé d’accompagner, de contrôler et de sanctionner les personnes en recherche d’emploi).
Ensemble, ces quatre réformes dessinent une étape supplémentaire de la transformation du modèle français de protection sociale ; il s’agit d’organiser d’une part sa réduction, d’autre part de tourner le dos à sa philosophie d’origine (issue notamment du Conseil national de la Résistance), pour en produire une version plus compatible avec les attentes du marché.
Il s’agit d’abord d’une diminution de la part socialisée des dépenses de protection dans l’économie. Le gouvernement n’en fait pas mystère, il ne vise plus simplement à maîtriser la hausse des dépenses sociales, mais à les réduire structurellement et pour la première fois depuis 1945. Cela se traduit déjà par une diminution inédite de la part des chômeurs indemnisés par l’assurance chômage, part que la nouvelle réforme réduirait encore. Côté retraites, le trait est net également : la réforme envisagée ramènerait la durée moyenne de la retraite des personnes nées dans les années 1970 à celle qu’ont connue leurs grands-parents nés dans les années 1930, c’est-à-dire près de trois ans de moins que la génération de leurs parents nés autour de 1950.
Régulation marchande
Au-delà de cette réduction structurelle des dépenses, les réformes envisagées visent également à réorienter la protection sociale française dans le sens de la régulation marchande de l’économie. En effet, le système français, avec ses forces et ses limites, s’est construit autour du salariat, dont les assurances sociales restent une institution centrale, qui assure aux personnes salariées, au-delà de la seule rémunération, la protection juridique (le droit du travail) et des droits sociaux assurantiels propres. L’économiste Karl Polanyi (1886-1964) a bien montré qu’à travers cette protection, qu’il fut le premier, en 1944, à qualifier de « protection sociale », la société visait à se protéger contre les chocs propres au fonctionnement du marché.
Le président de la République considère, lui, que le salariat est une relique du passé et que l’assurance sociale est dépassée. Lors du centenaire de l’Organisation internationale du travail, le 11 juin 2019, il a réaffirmé qu’il faut « bâtir cette nouvelle protection sociale universelle » car, dit-il, « la protection sociale a été bâtie durant le XXe siècle sur le salariat, et le rapport à une organisation sociale productive était celle d’une économie à long terme ». Il pense que « nous sommes dans un cycle d’économie de l’innovation où la relation [est] de plus en plus individualisée à cause du numérique ».
Les quatre réformes emblématiques de l’agenda actuel vont bien dans le sens du développement d’une protection sociale moins assurantielle et plus « libérale ». Elles estompent la différence entre minima sociaux et assurance sociale, confient le contrôle des prestations sociales à l’Etat au détriment des organisations de salariés et organisent la flexibilité du travail par la réforme du service public de l’emploi.
Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « La protection sociale, désormais, se mérite »Le gouvernement envisage ainsi la protection sociale non pas comme un droit des salariés, mais comme un outil au service d’une politique du marché du travail. Il ne s’agit pas tant de chercher à réduire le chômage en favorisant la création d’emplois de qualité et rémunérateurs et en œuvrant à une meilleure qualification des personnes en recherche d’emploi, que d’augmenter, sous le terme de « plein-emploi », le taux d’emploi (et donc la production), quitte à développer les emplois à temps partiel, mal rémunérés ou difficiles.
Systèmes complexes
Ainsi, les réformes des retraites et de l’assurance chômage ont pour point commun d’augmenter la main-d’œuvre disponible sur le marché du travail et d’en diminuer les protections, afin de dégrader le pouvoir de négociation des salariés dans une période où les employeurs redoutent les revendications salariales. C’est d’ailleurs exactement pour la même raison tout à fait explicite que le gouvernement s’oppose à l’ouverture des minima sociaux aux moins de 25 ans.
Le projet, vague et électoraliste, de « mise sous condition d’activité » du RSA poursuit la même logique, alors qu’au-delà des discours, le contrôle des ressources et des obligations des allocataires existe déjà à un degré que ne connaissent aucun autre contribuable ni aucune entreprise et donne lieu à des sanctions dont les conséquences sont dramatiques pour les allocataires.
Bien sûr, l’histoire n’est pas écrite d’avance. D’une part, les projets de réforme, on l’a vu récemment, ne vont pas toujours à leur terme et peuvent être transformés ou abandonnés en cours de mandat face à l’opposition ou au gré des circonstances. D’autre part, les systèmes nationaux de protection sociale sont complexes, et leur évolution sur le temps long se plie rarement à des plans généraux décidés par un gouvernement précis.
Pour autant, les réformes confiées au ministre du travail, Olivier Dussopt, en phase avec la dernière décennie de réformes (notamment la prime d’activité), visent sans ambiguïté à conforter une rupture avec le développement historique du système social français, construit autour des assurances sociales et du salariat.
Jean-Claude Barbier et Michaël Zemmour sont chercheurs au Centre d’économie de la Sorbonne (CES, université Paris-I Panthéon-Sorbonne) et auteurs, avec Bruno Théret, du « Système français de protection sociale » (La Découverte, 2021)
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Assurance-chômage : premiers effets concrets de la réforme
Une note de l’Unédic montre que le nombre d’« ouvertures de droits » a baissé, notamment en raison de conditions d’accès plus strictes.
Par Bertrand Bissuel
Les syndicats auraient préféré que les faits leur donnent tort. La réforme de l’assurance-chômage, décidée en 2019 et mise en vigueur – en plusieurs étapes – jusqu’à la fin 2021, commence à produire ses effets. Ils sont synonymes de droits amputés et d’allocations en baisse pour une partie des demandeurs d’emploi. C’est ce que montre une note de l’Unédic, l’association paritaire qui gère le régime, dont les représentants des salariés et des employeurs ont pris connaissance, le 16 décembre.
L’étude en question s’intéresse aux incidences de mesures prises par décret sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Elles ont eu pour conséquence de durcir les conditions d’indemnisation. D’abord, les critères d’accès au système sont devenus plus exigeants, puisque les individus sont tenus d’avoir travaillé pendant six mois sur vingt-quatre (au lieu de quatre sur vingt-huit, avec la réglementation antérieure) pour toucher une prestation, et les droits à l’assurance-chômage ne sont rechargés qu’à partir d’un nombre d’heures six fois plus élevé qu’avant. Ensuite, l’allocation diminue à partir du septième mois pour les chômeurs de moins de 57 ans qui percevaient une rémunération égale ou supérieure à quelque 4 700 euros brut par mois quand ils étaient en activité. Enfin, le mode de calcul pour déterminer les montants versés a été modifié, dans le but d’inciter les salariés à rester sur un emploi durable.
L’Unédic souligne que les résultats de sa recherche doivent être interprétés avec prudence, notamment parce que les données exploitées portent sur une période allant jusqu’à la fin juin. Les dispositions incriminées continuent de monter en charge et il faudra « plus de recul » afin d’apprécier les « changements de comportement », qui sont escomptés parmi les travailleurs, du fait des nouvelles règles.
Une fois ces précautions prises, les auteurs de la note expliquent que le nombre d’« ouvertures de droits » à l’assurance-chômage a fortement baissé (– 20 %), entre la mi-2019 et la mi-2022. Une telle tendance provient de la « conjugaison »de deux facteurs : des conditions d’accès plus strictes (six mois d’activité contre quatre auparavant), qui ont fermé les portes du régime à des milliers de chômeurs, et une conjoncture économique dynamique. La diminution s’avère plus marquée chez les moins de 25 ans (– 26 %), ainsi que chez ceux « ayant perdu un CDD » (– 30 %) ou un contrat d’intérim (– 37 %) – autrement dit les jeunes et les précaires.
« Puissants effets d’éviction »
Au total, le nombre d’allocataires a reflué de 275 000 entre juillet 2021 et juin 2022 (– 7 %). Là encore, l’évolution est plus nette pour les moins de 25 ans (– 12 %), mais cela peut avoir un « lien » avec le plan lancé en 2020 par le gouvernement pour soutenir les embauches dans cette tranche d’âge. Si l’on raisonne en pourcentages, la proportion d’« allocataires indemnisés » parmi les inscrits à Pôle emploi s’effrite, passant de 40,4 % en décembre 2021 à 36,6 % en juin 2022.
Autre chiffrage instructif : 31 000 personnes avaient, en juin, une indemnisation dégressive « et 52 000 autres pourraient voir leur [prestation] baisser dans les mois à venir », écrit l’Unédic. Enfin, ceux qui sont touchés par le nouveau mode de calcul ont en moyenne une allocation journalière « inférieure de 16 % par rapport à ce qu’ils auraient perçu avec les anciennes règles », la réduction pouvant osciller entre – 40 % et – 50 % dans quelques cas. Au cours du premier semestre 2022, 40 % des nouveaux entrants dans le système ont ouvert un droit avec une prestation inférieure au seuil dit « minimal » (un peu plus de 29 euros par jour). Ils étaient 27 % dans cette situation, durant les six premiers mois de 2019.
L’Unédic précise que ces observations vont dans le même sens que l’étude d’impact qu’elle avait réalisée en 2021. « Ça confirme toutes les horreurs que nous avions prédites lorsque la réforme avait été présentée », confie Denis Gravouil, chargé du dossier pour la CGT. Les décrets pris sous l’ancienne législature engendrent « de puissants effets d’éviction au détriment de travailleurs précaires, qui n’arrivent plus à accéder au régime », déplore Marylise Léon, numéro deux de la CFDT. « Dès lors, on peut se demander à qui s’adresse l’assurance-chômage et qui elle doit protéger », ajoute-t-elle.
Selon la leader cédétiste, les économies obtenues « sur le dos des demandeurs d’emploi » sont « colossales » : de l’ordre de 6,5 milliards d’euros sur la période 2022-2024. Un montant susceptible de s’accroître, puisque le gouvernement s’apprête à publier un autre décret qui va réduire la durée d’indemnisation des chômeurs, conformément à une loi votée cet automne au Parlement.