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EDF : le projet d’EPR2 donne des vapeurs au nucléaire français

 

La construction des six réacteurs nucléaires voulue par Emmanuel Macron devrait commencer en 2024 avec une première paire sur la centrale de Penly en 2027. Mais le géant français rencontre de sérieux problèmes sur cette évolution de l’EPR de Flamanville et se retrouve sous pression de l’Autorité de sûreté nucléaire.
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L'EPR de Flamanville le 14 juin 2022. Après moult problèmes et délais, il doit entrer en service fin 2023. (Adeline Keil/Libération)

par Thierry Gadault
publié le 22 novembre 2022 à 17h31
 

Un an après son discours de Belfort de février 2022 et l’annonce de la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR (réacteur à eau pressurisée), Emmanuel Macron entend bien voir ses vœux se réaliser. Il est décidé à inaugurer, dès 2024, le chantier des deux premiers «EPR2», qui seront édifiés sur la centrale de Penly (Seine-Maritime). Le chef de l’Etat veut que son deuxième séjour à l’Elysée reste dans l’histoire comme celui de la relance du nucléaire français, cinquante ans après le grand programme de Pompidou. Et vu l’urgence énergétique et climatique, il compte bien sur une livraison de cette première paire à l’horizon 2035. Le président jupitérien a confié cette mission à haut risque au nouveau PDG d’EDF, Luc Rémont, nommé ce mercredi en Conseil des ministres. Pour lui, l’échec n’est pas une option.

Après la conclusion du débat public de rigueur, EDF devrait effectivement pouvoir déposer au printemps 2023 son dossier de demande d’autorisation pour la création des deux nouveaux EPR normands auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi que celui du permis de construire à Penly. Une étape réglementaire indispensable avant les premiers coups de pioche. «Si la décision est prise rapidement, on vise de commencer les travaux préparatoires sur ce site à mi-2024, pour une mise en service à l’horizon 2035-2037», a indiqué la semaine dernière, Gabriel Oblin, le directeur du projet EPR2.

 

Comment ne pas refaire les mêmes erreurs qu’à Flamanville

Pour EDF, la pression est énorme : il s’agit de faire oublier le fiasco du premier EPR, dont la construction a commencé en 2007 sur la centrale de Flamanville (Manche) et qui n’est toujours pas livré, tandis que les coûts ont été multipliés par cinq, à 20 milliards d’euros. L’EPR de Flamanville devrait être finalement livré fin 2023 après bien des vicissitudes. L’électricien sera-t-il cette fois en mesure de tenir les délais pour les six réacteurs EPR2, une version simplifiée censée tenir compte de ce retour d’expérience désastreux ? L’électricien a promis une mise en service de ces trois paires étalée entre 2035 et 2040 : la première à Penly donc, les deux autres à Gravelines (Nord) et en bord de Rhône (le Bugey ou Tricastin).

Mais selon l’enquête menée par Libération, rien n’est moins sûr à ce stade. Contrairement à la communication positive de l’électricien, EDF n’est pas encore assuré de pouvoir couler le premier béton de la première paire en 2027, l’année où Emmanuel Macron doit quitter l’Elysée. Car si elle est la petite sœur de l’EPR, cette nouvelle version n’est pour l’heure qu’un «réacteur de papier». Il n’existe que sur plans. Et un gros travail reste à fournir par les équipes d’EDF pour finaliser le design de la nouvelle centrale et de ses équipements, sous l’œil intransigeant du gendarme du nucléaire. Or, à ce jour, des problèmes techniques cruciaux n’ont toujours pas été résolus par EDF et sa filiale Framatome, chargée de l’îlot nucléaire de l’EPR2 (le circuit primaire et ses équipements). Le seront-ils d’ici 2027 ? C’est un pari à 52 milliards d’euros, le coût – prévisionnel – de construction des six premiers EPR2.

Dans cette course contre la montre, un premier danger guette EDF : refaire les mêmes erreurs qu’à Flamanville. Inenvisageable. Comme le rappelait Jean-Martin Folz dans son rapport sur l’EPR normand, remis en octobre 2019 au ministre de l’Economie, l’électricien ne disposait pas des plans détaillés de son nouveau réacteur lors du démarrage du chantier, en 2007. Cela a été l’une des principales causes des retards et surcoûts. Cette fois, EDF se dit mieux préparée. «A titre de repère, l’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique, ndlr] recommande que 65 % des études détaillées soient disponibles au premier béton. C’est pourquoi le projet EPR2 a retenu un objectif de 100 % pour les infrastructures du génie civil et de 70 % pour le reste du projet», affirme l’exploitant nucléaire. Mais EDF refuse de dire précisément le volume de travail déjà réalisé et ce qui reste à faire pour réussir à couler le premier béton fin 2027.

Des vibrations trop élevées

Cette discrétion peut s’expliquer par le retard pris par Framatome pour finaliser la configuration générale du réacteur. Un rapport confidentiel du ministère de l’Economie, rendu public en novembre 2021 par le site Contexte, chiffrait à seulement 20 % le travail d’ingénierie déjà réalisé. Ce retard trouve notamment son origine dans le feu rouge émis en mars 2021 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le bras armé technique de l’ASN, sur le projet de circuit primaire de l’EPR2. Framatome avait cru se simplifier la vie en reprenant pour l’EPR2 le même design que celui de l’EPR de Flamanville. Mais l’industriel avait zappé un gros problème qui affecte le circuit primaire du puissant réacteur de 1650 MW : les vibrations trop élevées qui fragilisent la ligne d’expansion du pressuriseur, un équipement essentiel qui, s’il venait à rompre, pourrait provoquer un accident grave.

La solution retenue pour limiter les vibrations sur l’EPR a été de poser un amortisseur. Mais l’IRSN ne veut pas en entendre parler pour l’EPR2 : l’ASN et lui considèrent que c’est un projet de nouveau réacteur, donc hors de question que son circuit primaire soit affecté par un problème déjà connu. D’où le feu rouge de l’IRSN, qui a demandé à Framatome d’identifier la cause des vibrations et de trouver une solution pour les supprimer… Quitte à revoir toute l’architecture du circuit primaire.

Interrogée pour savoir si la cause du problème avait été identifiée et résolue, Framatome n’a pas répondu à Libé. «Plusieurs solutions sont étudiées pouvant conduire à une modification des supportages de la tuyauterie concernée sur EPR2», nous a indiqué EDF. «EDF a proposé des modifications de conception pour tenir compte de ce retour d’expérience. Elles seront analysées par l’IRSN dans le cadre de l’examen du rapport préliminaire de sûreté», a précisé l’institut.

Une qualité de l’eau de vapeur pas conforme

Tuile supplémentaire, en juillet dernier, l’IRSN a rendu un avis sévère concernant cette fois la cuve de l’EPR de Flamanville et qui aura des répercussions directes sur celle, identique, de l’EPR2. A la lumière des problèmes rencontrés sur l’un des deux EPR chinois de Taishan, qui a dû être arrêté durant un an à la suite d’une rupture de plusieurs gaines contenant le combustible radioactif provoquée par des turbulences intempestives, l’institut a en effet demandé à l’électricien de modifier les «internes» chargés d’orienter le flux d’eau en fond de cuve. Avec l’injonction de le faire avant la mise en service de l’EPR de Flamanville. Selon l’IRSN, la mauvaise distribution du flux d’eau dans la cuve est non seulement responsable des vibrations qui détériorent les assemblages combustibles, mais elle provoque aussi des fluctuations inattendues du flux neutronique créé par la réaction nucléaire. Ce qui pourrait générer des difficultés pour garder le contrôle de la réaction en chaîne…

Pour le moment, EDF demande, elle, à faire ces modifications après la mise en route de Flamanville pour ne pas prendre plus de retard. Mais l’électricien sait qu’il devra impérativement faire ces modifications dès le départ pour la cuve de l’EPR2. «EDF a travaillé sur une modification et des premiers échanges ont eu lieu avec nous, en amont du dépôt d’un dossier de modification. Il va de soi que la demande d’évolution doit également s’appliquer à l’EPR2», nous a confirmé l’IRSN.

Mais le circuit primaire de l’EPR2 n’est pas la seule partie du réacteur qui pose problème. Les solutions retenues pour le circuit secondaire (le réseau vapeur qui relie les générateurs de vapeur à la turbine produisant l’électricité) pourraient elles aussi être retoquées par les autorités de sûreté. «EDF et Framatome ont fait le choix de reprendre les solutions choisies pour l’EPR, mais on sait que cela signifie que l’EPR2 fonctionnera avec une qualité de l’eau pour le circuit secondaire qui n’est pas celle imposée par les règles d’exploitation», affirme une source au fait du dossier. Selon les règles d’exploitation en vigueur, l’eau utilisée pour remplir les générateurs de vapeur doit avoir un pH élevé (9) et être dégazée (désoxygénée) pour réduire les risques de corrosion. Sur l’EPR de Flamanville, «il y a bien un dégazeur à l’entrée des réservoirs qui alimentent les générateurs de vapeur, mais ils ne peuvent pas être désaérés», affirme notre source.

«Ce point a été relevé par l’IRSN au cours de l’expertise du dossier de demande d’autorisation de mise en service et EDF a pris des mesures pour limiter la quantité d’oxygène présente dans l’eau utilisée[injection d’hydrazine pour «consommer» l’oxygène]. Les spécifications techniques d’exploitation interdisent toute injection d’eau dans les générateurs de vapeur tant que la concentration en oxygène n’est pas suffisamment basse», nous a confirmé l’institut, qui précise que pour l’EPR2, «il est bien prévu que l’eau contenue dans les réservoirs dits ASG soit désaérée.» «Inexact», répond notre source, qui affirme qu’à ce jour, les études réalisées par EDF pour l’EPR2 reprennent «la même conception des réservoirs ASG que celle de l’EPR de Flamanville». Un point qui pourrait donc déboucher au final sur un blocage des autorités de contrôle quand EDF et Framatome feront valider leurs travaux.

Un délai de dix ans à Flamanville

Autre question aujourd’hui sans réponse : comment refroidir efficacement les EPR2 en prenant en compte les conséquences du changement climatique ? Pour les quatre réacteurs qui devraient être construits en bord de mer (Penly et Gravelines), l’accès à une ressource inépuisable pourrait laisser croire qu’il n’y a aucun problème. Ce n’est pas le cas.

En septembre, l’IRSN a ainsi publié un avis sur les solutions proposées par EDF pour améliorer l’efficacité du système de refroidissement de l’EPR de Flamanville, jugé «insuffisant» par l’électricien lui-même. Ne voulant pas faire immédiatement les gros travaux nécessaires, EDF a obtenu un long délai (ils ne seront entrepris que dix ans après le début de l’exploitation) et a promis d’ici là d’augmenter le débit des pompes qui alimentent le système de refroidissement. Mais ces modifications devront être intégrées sans attendre sur les EPR2 en bord de mer.

Pour les deux réacteurs prévus sur des centrales en bord de Rhône – le Bugey ou Tricastin –, le problème paraît encore plus complexe. Selon une source bien informée, les études aboutissent à la nécessité de renforcer significativement les moyens de refroidissement (groupes froids, tours aérofrigérantes…). Mais pour des raisons de coûts, l’électricien ne serait pas convaincu de la nécessité de mettre en place ces équipements supplémentaires. Quitte à prendre le risque de ne plus pouvoir respecter ses obligations environnementales si le changement climatique entraîne une baisse du débit du fleuve et une augmentation de la température de l’eau.

Autant de dossiers en suspens qui vont avoir un impact sur le design final du réacteur, avec des solutions techniques qui devront franchir l’épreuve d’un examen intransigeant par l’ASN et l’IRSN. Les cinq années qui séparent l’EPR2 du premier béton seront-elles suffisantes ?