Face au marasme financier des Ehpad, une réponse de l’Etat jugée non structurante
Alors que l’équation est devenue insoluble pour de nombreux établissements, principalement publics et associatifs, le gouvernement annonce plusieurs centaines de millions d’euros d’aides. Le secteur, lui, réclame une réforme du financement.
Par Béatrice Jérôme
Cent millions d’euros : c’est le montant du fonds d’urgence annoncé par la première ministre, Elisabeth Borne, le 26 juillet, pour apporter des « aides ponctuelles » aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) confrontés à des difficultés de trésorerie. Une enveloppe, destinée aussi aux services d’aide à domicile en déficit, qui n’est pas à la hauteur des besoins, selon les professionnels. « Non seulement la somme est insuffisante, mais il ne faudrait pas qu’elle dispense le gouvernement d’engager des réformes structurelles », prévient ainsi Marc Bourquin, conseiller en stratégie à la Fédération hospitalière de France (FHF).
Le cabinet d’Aurore Bergé, nouvelle ministre des solidarités et des familles, affirme au Monde que 553 millions d’euros sont d’ores et déjà prévus dans le budget de l’Etat pour combler les effets, en 2022 et en 2023, de l’inflation à travers la mise en place d’un « bouclier énergétique » et compenser les revalorisations salariales. La somme est destinée aux établissements médico-sociaux qui accueillent des personnes âgées mais aussi handicapées. Une aide utile au secteur là encore. Mais leur permettra-t-elle de vraiment souffler ?
« L’Etat n’a pas failli, car il y a eu des enveloppes pour boucher les trous, mais il n’y a pas eu de réflexion d’ensemble sur le modèle économique », déplore, elle aussi, Laure de La Bretèche, présidente du groupe d’Ehpad Arpavie et directrice déléguée des politiques sociales à la Caisse des dépôts et consignations. Or, pour de nombreux établissements – certains modèles plus que d’autres –, la situation est alarmante, à l’heure où tous les Ehpad sont confrontés à la hausse de l’énergie, des denrées alimentaires et à l’augmentation des coûts salariaux. Les charges explosent et les recettes sont en berne du fait d’une sous-occupation des lits.
Si les groupes privés lucratifs voient leur marge financière décroître, les plus fragilisés sont les établissements dont le statut est public ou associatif. Soit près de 80 % du parc des 7 500 Ehpad en France. Pour ces maisons de retraite non commerciales, l’équation est devenue quasi insoluble. Les tarifs que paient les résidents sont plus faibles que dans le secteur privé lucratif. Le prix médian dans les Ehpad publics est de 66 euros par jour contre 78 euros dans les établissements privés commerciaux, où le coût mensuel du séjour est en moyenne supérieur de 1 000 euros.
« Bon vouloir » des conseils départementaux
Les Ehpad lucratifs ont obtenu que Bercy les autorise à augmenter leurs tarifs de 5,14 % en 2023. Les maisons de retraite publiques et associatives sont, elles, soumises « au bon vouloir » des conseils départementaux pour l’augmentation des leurs. Les départements apportent en contrepartie de cet encadrement des prix une prise en charge des résidents aux revenus modestes.
La hausse moyenne des tarifs autorisée par les départements est de 4 % depuis 2022, alors que l’inflation cumulée sur deux ans frôle les 10 %. « Le différentiel entre recettes et dépenses équivaut à un manque à gagner de 1 milliard d’euros sur la période » pour les Ehpad publics, calcule M. Bourquin à la FHF. « Cela nous a beaucoup contrariés de voir que l’Etat a autorisé le secteur lucratif à augmenter ses tarifs à un niveau exceptionnel en 2023, alors que la plupart des départements n’ont pas ou peu réévalué leur barème pour les Ehpad publics », tonne Isabel Madrid, adjointe au maire de Talence (Gironde). « En même temps, on veut maintenir une qualité de service qui, le plus souvent est supérieure aux Ehpad privés », poursuit cette administratrice de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale.
La solution qui consisterait à augmenter le prix des séjours en Ehpad public ou associatif est envisagée par les acteurs du secteur. Mais 76 % des résidents ont des revenus inférieurs au tarif moyen des établissements, selon un rapport remis le 26 juillet à Elisabeth Borne par la députée socialiste du Puy-de-Dôme, Christine Pirès Beaune. Plutôt qu’une hausse des prix, le rapport propose la création d’une « allocation universelle » qui serait versée à chaque personne qui entre dans un Ehpad. Cette aide serait en partie financée par une contribution obligatoire de sa famille, qui participerait selon ses moyens. Une révolution.
A court terme, Mme Pirès Beaune soutient l’idée de moduler le prix des séjours en fonction des revenus des résidents. « Une solution que nous devons mettre à l’étude », salue Olivier Richefou, président (UDI) du conseil départemental de la Mayenne, vice-président de l’Assemblée des départements de France, chargé des politiques en faveur des personnes âgées.
Taxe sur les salaires, « une iniquité supplémentaire »
En attendant, la FHF réclame en urgence à Bercy la suppression de la taxe sur les salaires qui s’applique uniquement aux Ehpad publics et associatifs. « Taxer les établissements pour les personnels qu’ils recrutent est une iniquité supplémentaire par rapport au secteur privé, qui n’y est pas soumis », insiste Marc Bourquin. Selon la FHF, cette taxe renchérit de 18 % le coût de la masse salariale des établissements non commerciaux.
Il reste pour le gouvernement à trouver une façon de combler le fossé qui se creuse d’année en année entre les ressources des Ehpad en général et un besoin de financement qui va croissant avec la nécessaire médicalisation liée à une perte d’autonomie de plus en plus accentuée des résidents.
Prédécesseur de Mme Bergé, l’ex-ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées Jean-Christophe Combe a mis en place en mai un groupe de travail sur « l’avenir du modèle économique des Ehpad ». Ses conclusions doivent être rendues à la fin de 2023.