La France prévoit d’autoriser tous les éleveurs à tuer des loups pour défendre leur troupeau
Par Perrine Mouterde
Vidéo, tournée le 2 décembre 2022 par un garde-moniteur au parc national des calanques, montrant des loups au sein du massif de Saint-Cyr Carpiagne (Bouches-du-Rhône), le 7 février 2023. ANTHONY MICALLEF POUR « LE MONDE »
La France a été en première ligne pour réclamer, en 2024, l’abaissement du niveau de protection du loup, passée d’espèce « strictement protégée » à « protégée ». Quelques mois après l’entrée en vigueur de ce déclassement au niveau européen, l’Etat devait préciser, mardi 23 septembre, la manière dont il entend traduire ce changement de statut. Il devait annoncer, notamment, de nouvelles mesures visant à accorder le droit de tuer des loups à l’ensemble des éleveurs afin de défendre leur troupeau, sans condition. Très attendues, ces propositions ne satisfont en l’état ni les organisations représentatives agricoles ni les associations de protection de la nature, qui estiment que la France « piétine ses engagements internationaux » relatifs à la conservation du prédateur.
La préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui pilote le dossier, devait confirmer ces orientations à l’occasion d’une réunion du « groupe national loups ». Cette instance informelle, censée permettre le dialogue entre l’ensemble des acteurs impliqués, est boycottée depuis deux ans par les associations environnementales, qui contestent les choix de l’Etat.
Parmi les « grandes lignes directrices de ce que pourra être la gestion du loup de demain », la « plus révolutionnaire », selon les mots du préfet référent Jean-Paul Celet, consiste à passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration concernant les tirs de défense. Aujourd’hui, tuer un loup est interdit. Pour se protéger ou demander à un chasseur de protéger son troupeau après une attaque, un éleveur doit obtenir une autorisation du préfet. Celle-ci ne peut être accordée, à titre dérogatoire, qu’à condition notamment que le troupeau soit protégé (grâce à la présence de chiens, de barrières électrifiées, de bergers…).
A l’avenir, tous les éleveurs ovins, caprins, bovins et équins disposeraient de ce droit et seraient simplement tenus de déclarer leurs tirs une fois un animal abattu. « Ce passage d’une autorisation dérogatoire à une déclaration aura un effet de simplification, mais aussi un effet de rapidité dans la réaction quand les attaques commencent », justifie Jean-Paul Celet.
« L’Etat abdique tous ses moyens de contrôle »
Pour six associations de protection de la nature – France Nature Environnement (FNE), la Ligue pour la protection des oiseaux, Ferus, le Fonds mondial pour la nature (WWF)… –, qui ont publié lundi un communiqué commun, accorder la possibilité de détruire des loups sans condition s’apparente à ouvrir la chasse de cette espèce. Elles s’inquiètent également d’une possible évolution du régime de sanction pour des destructions qui seraient jugées « non intentionnelles ».
« La volonté de l’Etat est bien d’organiser une réduction drastique de la présence des loups », dénoncent-elles, en rappelant que la France a l’obligation de maintenir cette espèce protégée dans un état de conservation favorable. « Est-ce que tous les loups tués vont être déclarés ?, s’interroge aussi Jean-David Abel, de FNE. L’Etat abdique tous ses moyens de contrôle. »
De leur côté, s’ils saluent le fait de faciliter les tirs, des syndicats agricoles estiment que cette mesure ne changera pas la donne, abattre un loup de nuit s’avérant difficile. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) demande que les éleveurs puissent être équipés de lunettes de tir à visée thermique, ce que le gouvernement refuse. Seuls les louvetiers et la brigade spécialisée de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui réalisent près de 80 % des tirs létaux – et qui continueront à n’intervenir que sur des troupeaux protégés –, ont accès à ces équipements.
Surtout, les principales organisations représentatives des éleveurs estiment que le nombre maximal de loups pouvant être tués chaque année demeure le nœud du problème. Ce plafond est fixé à partir de l’estimation annuelle de la population réalisée par l’OFB – 19 % des loups peuvent aujourd’hui être abattus. Des syndicats appellent à changer de « curseur » et à corréler par exemple le quota aux dommages, plutôt qu’à la population.
« Si on n’augmente pas le plafond, on continuera à gérer les prélèvements et non la pression de prédation », affirme Claude Font, chargé du dossier loup à la Fédération nationale ovine. « Aujourd’hui, les éleveurs sont dans l’attente, coincés dans le carcan administratif de l’estimation annuelle et du quota », ajoute Bernard Mogenet, de la FNSEA.
Des attaques en progression
Après un début d’année marqué par un nombre important de tirs, l’Etat a freiné l’intervention des louvetiers et de l’OFB pour ne pas atteindre le plafond trop tôt dans l’année et « faire en sorte qu’on puisse tirer jusqu’en décembre ». Selon la préfecture, 146 loups (sur 192) ont déjà été abattus. Le nombre d’attaques est en progression de 26 % par rapport à 2024, l’augmentation étant particulièrement concentrée (+ 60 %) dans les territoires où la présence du loup est récente et les élevages peu protégés.
Pour éclairer les débats, les résultats d’une expertise collective réalisée par l’OFB, le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS sur la viabilité de la population de loups en France à l’horizon 2035 devaient également être rendus publics mardi. « Nous ne savons pas dire quel sera le nombre de loups à cet horizon, cela dépendra de ce qui se passera chaque année, de la politique de tirs et des effets de ces tirs, résume Pierre-Edouard Guillain, directeur général délégué à l’OFB. Au-delà du taux de 19 %, la probabilité d’avoir une baisse de la population est importante. En dessous, la probabilité qu’elle augmente est importante : ce taux est un réel point de bascule. »
Interrogé sur le plafond, Jean-Paul Celet affirme que le cadre actuel « ne prévoit pas une évolution du taux de 19 % »,mais que « cela ne signifie pas que l’on ne peut pas ouvrir le débat à plus long terme sur l’indexation des 19 % sur la population ». Début juillet, le président Emmanuel Macron a plaidé pour empêcher l’implantation du loup là « où il y a du pastoralisme », quitte à en « prélever davantage ».