JustPaste.it

https://www.alternatives-economiques.fr/investissement-public-letat-ne-prepare-plus-lavenir/00107308

 

Si l’investissement public baisse, l’investissement privé prendra le relais, et c’est tant mieux, estiment les économistes libéraux, convaincus de la moindre efficacité des deniers publics par rapport à ceux investis par le secteur privé. Résultat, l’Etat investit de moins en moins pour construire des routes, des barrages, des logements, pour la recherche et développement (R&D) ou encore pour faire face au réchauffement climatique.

« Comparé aux autres pays de l’OCDE, le capital public est élevé en France, ainsi que la qualité des infrastructures », estiment les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)1. Mais la trajectoire est inquiétante. On peut le voir en s’intéressant à l’investissement public « net », c’est-à-dire duquel on retranche le simple amortissement, autrement dit la dégradation du capital existant. De cette manière, on obtient l’image la plus fidèle de l’effort d’investissement de l’Etat.

L’investissement public en chute libre Investissement public net de la dépréciation du capital depuis 1979, en % du PIB
gr45_436-437_investissement_8959128.svg
Source : Insee, calculs OFCE

 

Depuis le début des années 1990, et encore davantage après la crise financière de 2008, l’investissement public net s’est réduit comme peau de chagrin. Il se rapproche dangereusement de zéro, seuil fatidique à partir duquel l’Etat ne compense même plus la dégradation du capital existant. « Parmi les exemples de ce sous-investissement, la France a insuffisamment investi dans le maintien du réseau ferroviaire existant (…). Autre exemple, un tiers du parc immobilier universitaire est jugé dégradé », liste l’OFCE.

A lire Alternatives Economiques n°435 - 06/2023

 

Un moteur pour l’investissement privé

L’investissement privé a-t-il augmenté pour autant ? Depuis quarante ans, « l’investissement des sociétés non financières ne s’est pas effondré autant que l’investissement public, mais il n’a pas pour autant connu un dynamisme à même de compenser le retrait des administrations publiques », a mis en évidence l’économiste Bruno Tinel2. « L’effet d’éviction avancé par les économistes libéraux pour justifier le recul de l’investissement public n’existe pas en France », conclut-il.

« Il n’est pas possible d’avoir à la fois une dette faible, une faible progressivité fiscale et un Etat puissant » – Bruno Tinel

En clair, moins d’investissement public ne signifie pas plus d’investissement privé. Au contraire, l’investissement public stimule l’investissement privé. En conséquence, lorsqu’il diminue, il entraîne avec lui, bien que dans une moindre mesure, l’investissement privé. Le « mythe de l’entrepreneur » en prend un coup3; sa réussite n’est pas liée à son seul mérite personnel mais également à un acteur dont le rôle est souvent invisibilisé, alors que son action est essentielle pour créer un environnement économique propice : l’Etat.

« Le rôle premier de l’investissement public est de transformer l’environnement de long terme pour améliorer le bien-être de la population et la productivité des entreprises », résume l’OFCE. Et, de fait, « les études actuelles concluent à un fort effet de l’investissement sur l’activité économique à court terme (…) : un multiplicateur élevé (supérieur à 1) indique qu’un euro d’investissement public génère une activité économique supérieure à 1. (…) Une lecture raisonnée de la littérature conduit à une estimation de 1,5, au moins, dans la période actuelle », estiment les économistes de l’Observatoire.

L’Etat est aussi le mieux placé pour conduire certains chantiers, lorsque l’horizon des investissements est de l’ordre de plusieurs décennies, par exemple, ou lorsque des effets antiredistributifs importants doivent être compensés, comme dans le cadre de la transition écologique. Pourtant, au nom du respect de sacrosaintes règles d’orthodoxie budgétaire et de choix politiques assumés, certains continuent de s’opposer à la prise en charge des investissements par l’Etat.

En matière climatique, « le gouvernement peut privilégier le levier de la réglementation et celui de la fiscalité pour déclencher des investissements privés, et ainsi miser moins sur le levier de la dépense publique, explique Damien Demailly, directeur adjoint de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). Mais ces leviers sont-ils en tout point substituables ? Quand on met une interdiction, une obligation, une taxe, il faut l’accompagner. Dit autrement : quand l’Etat oblige, l’Etat s’oblige. Il s’oblige à offrir des alternatives ». C’est-à-dire à investir.

Une variable d’ajustement

Au contraire, la réduction rapide de la dette publique voulue par l’exécutif risque de se faire de nouveau au détriment de l’investissement, poste dans lequel les coupes sont moins visibles que pour d’autres types de dépenses. Du moins à court terme. Les politiques d’austérité mises en place au début des années 2010 en Europe ont fait peser un tiers de l’ajustement sur l’investissement public, alors que cette composante ne représentait que 6 % des dépenses publiques totales4.

« Il n’est pas possible d’avoir à la fois une dette faible, une faible progressivité fiscale et un Etat puissant, explique Bruno Tinel. Si on renonce au levier fiscal pour augmenter les recettes publiques et qu’on cherche en même temps à réduire fortement la dette, on fait forcément passer l’investissement public au second plan. »

Les collectivités notamment, qui réalisent en France 70 % de l’investissement public civil, ont réduit leurs investissements pour compenser la privation de certaines de leurs recettes décidées par l’Etat central, comme récemment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Alors que, estime I4CE, a minima 6,5 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an seraient nécessaires à leur niveau, pour construire des aménagements cyclables, rénover les bâtiments publics ou encore développer les réseaux de chaleur.

Annoncé pendant la crise sanitaire, le plan de relance de 100 milliards d’euros, dont 36 dédiés à l’investissement public, marque une inflexion de la tendance observée ces quarante dernières années. La création, concomitante, d’un Haut-Commissariat au Plan également.

« Sans une stratégie construite sur plusieurs années, l’investissement sera toujours une variable d’ajustement dépendante de l’évolution de la conjoncture économique », insiste en effet Louise Kessler, directrice du programme économie à I4CE.

Mais quarante ans de politiques de désarmement de l’Etat et d’organisation de son incapacité à agir pour préparer l’avenir ne prennent pas fin si facilement. Car la chute de l’investissement public s’est aussi traduite par des pertes de compétences précieuses au sein de l’appareil d’Etat.

 

Retrouvez notre dossier : « L’impasse libérale »