Aide sociale à l’enfance : la scolarité heurtée et l’insertion professionnelle précoce des mineurs accompagnés
Dans une note publiée mardi, France Stratégie éclaire les ruptures de parcours scolaires plus fréquentes et les orientations davantage subies vers la voie professionnelle des enfants placés, en comparaison avec la population générale. Parmi eux, 40 % ont redoublé en primaire, contre 16 % pour l’ensemble des jeunes.
Par Solène Cordier
L’année de sa 6e, Melissia C. a dû se rendre, en tout, « dix fois au collège ». « Ma mère faisait des allers-retours en psychiatrie, on était vraiment seuls avec mon petit frère. Forcément, ça a nui à notre scolarité, je suis partie en Segpa [section d’enseignement général et professionnel adapté, pour les élèves en grande difficulté] », se souvient la jeune femme.
Agée de 20 ans aujourd’hui, elle déroule le récit de son enfance « chaotique » : retirée à 14 mois de sa famille et confiée à l’aide sociale à l’enfance (ASE), violée par son beau-père après qu’un juge eut décidé d’un retour au domicile familial à 9 ans, puis placée dans une vingtaine de lieux partout en France jusqu’à la fin de sa prise en charge, à 18 ans et 3 mois. Malgré des aptitudes manifestes au collège et un goût prononcé pour l’écriture, la jeune femme a finalement pour seul diplôme le brevet des collèges. « Mon parcours, ça n’a été que ça, c’est fait de déchirures avec les personnes ou de coupures scolaires », résume Melissia.
Sur le plan scolaire, son itinéraire résonne avec celui de nombreux enfants placés. Davantage que les autres, ces derniers sont confrontés à des ruptures de parcours et à des orientations subies, rappelle une note d’analyse de France Stratégie, intitulée « Retisser les fils du destin : parcours des jeunes placés », rendue publique mardi 10 septembre.
12 % obtiennent un bac général
En croisant les données d’enquêtes statistiques en population générale et celles issues de l’enquête de référence ELAP, sur le passage à l’âge adulte des jeunes accueillis à l’ASE, l’étude éclaire les parcours éducatifs et l’insertion dans la vie professionnelle de ces derniers. Pour des raisons méthodologiques, seuls les enfants nés en France et ayant effectué toute leur scolarité dans notre pays font partie du panel, ce qui exclut les mineurs non accompagnés et les enfants arrivés avec leurs parents de l’étranger. Autre précision : les données exploitées datent de 2015, soit avant le vote de la loi du 7 février 2022, qui prévoit que les départements poursuivent leur accompagnement jusqu’à 21 ans en cas de ressources ou de soutien familial insuffisants. Les éventuels effets du changement de la loi n’apparaissent donc pas.
Parmi les résultats marquants figure le taux de redoublement particulièrement élevé, en primaire, des enfants sous protection de l’enfance : 40 %, contre 16 % pour l’ensemble des jeunes. Cela reste cependant plus faible que pour ceux vivant dans des familles « inactives » (sans emploi), souligne l’étude. A la fin du collège, seulement 43 % des jeunes placés arrivent en classe de 3e sans aucun retard, contre 71,5 % pour l’ensemble des jeunes.
Autre enseignement comparatif important : la part prépondérante de jeunes placés qui sont orientés dans les filières professionnelles. Seulement 12 % des jeunes de l’ASE obtiennent un baccalauréat général ou un diplôme de l’enseignement supérieur, c’est trois fois moins que pour l’ensemble des jeunes. Pour 30 % d’entre eux, le CAP ou le BEP est le diplôme le plus élevé, contre 13 % pour l’ensemble des jeunes. Là encore, ceux issus de familles inactives obtiennent les mêmes résultats que les enfants de l’ASE. En revanche, le taux de sortie sans aucun diplôme, qui s’élève à 17 % chez les jeunes placés – contre 8 % en population générale –, est semblable à celui des jeunes issus de familles d’ouvriers ou d’employés (17, 5 %) et bien inférieur à celui des enfants évoluant dans des familles inactives (30 %).
« Pas le temps d’expérimenter »
Plusieurs facteurs expliquent ces trajectoires scolaires difficiles : il y a d’abord la vie avant le placement, peu propice à une scolarité épanouie, et, par la suite, les conditions du placement elles-mêmes, marquées parfois par un continuum des violences familiales aux violences institutionnelles. Le rôle des éducateurs et des familles d’accueil où vivent les enfants s’avère déterminant. « Faire de la réussite scolaire un objectif du placement, en sensibilisant les adultes qui accompagnent les enfants placés, serait une mesure de politique publique opportune », estime Bénédicte Galtier, l’autrice de l’étude, adjointe au directeur du département Société et politiques sociales de France Stratégie.
Bien souvent, ces jeunes sont aiguillés vers des filières courtes dans la perspective de mettre fin à leur prise en charge le plus tôt possible. « Le couperet des 18 ans, relevé depuis 2022 à 21 ans, les a contraints à une autonomie précoce. A la différence des autres jeunes, eux n’ont pas le temps d’expérimenter », souligne Mme Galtier.
Nombreux sont ceux qui remisent leurs rêves au placard. Melissia, qui voulait être procureure ou avocate, a obtenu à 18 ans un accompagnement de trois mois en échange de la promesse de « bien se tenir » et de commencer un CAP cuisine. Elle se souvient avec précision des mots prononcés par l’éducatrice du foyer de l’ASE de Seine-et-Marne où elle vivait alors, après avoir écumé de nombreux lieux d’accueil. « Elle m’a dit : “Pour avoir un contrat jeune majeur [qui prolonge la prise en charge du jeune au-delà de ses 18 ans], il faut que tu aies un dossier en béton.” Un dossier en béton… comment c’est possible de demander ça ? »
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