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Le secret de Meymac, un village à la recherche des corps de soldats allemands exécutés en 1944

Par Alain Albinet  (Tulle, correspondant) et Benoît Hopquin

EnquêteFin 2019, Edmond Réveil, un ancien maquisard presque centenaire, se soulage d’un fardeau qu’il était le dernier à porter : le 12 juin 1944, sa section a exécuté 47 soldats allemands ainsi qu’une Française, avant de les enterrer dans la plus grande discrétion. Après des années d’investigations, des fouilles pour retrouver les corps doivent débuter le 16 août.

Le vieil homme a parlé. Edmond Réveil, appelé « Papillon » dans la clandestinité des maquis de Corrèze, a libéré sa conscience. Il n’était que temps. Il a aujourd’hui 98 ans. Il en avait déjà 95, bon pied, bon œil, en cette fin de l’année 2019, quand il avait fini par révéler son secret. C’était lors d’une banale réunion d’anciens combattants, à Meymac, la commune du Limousin où il était revenu passer sa retraite, après un long exil professionnel en région parisienne. L’ordre du jour était épuisé.

Les adhérents se dirigeaient déjà vers le vin d’honneur quand il s’était raclé la gorge. « J’ai un truc à vous dire », a-t-il commencé. Un gros truc. Devant une assemblée muette de stupeur, Edmond Réveil a raconté cette journée du 12 juin 1944 où ici justement, au Vert, un hameau près de Meymac, il avait assisté à l’exécution sommaire de 47 prisonniers allemands et d’une Française collabo par des camarades de sa ­section. Les soldats avaient été abattus un à un et enfouis dans la fosse qu’ils avaient eux-mêmes creusée. Il avait fallu tirer au sort celui qui tuerait la femme, faute de volontaire.

Près de quatre-vingts ans après les faits et quatre ans après cet aveu, l’histoire pourrait trouver son épilogue. L’Office national des combattants et des ­victimes de guerre (ONACVG) s’est saisi de l’affaire, en lien avec le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (VDK), l’association allemande dont la mission est de retrouver partout dans le monde les corps des soldats disparus au cours des différents conflits. Le lieu des exécutions a été retrouvé, au dire des autorités. En juillet, des sondages par radar ont détecté des anomalies du terrain et la présence d’objets métalliques enterrés.

 

Des fouilles doivent débuter le 16 août pour ramener au jour les dépouilles, travaux qui mobiliseront une bonne quinzaine de spécialistes en archéologie. « Nous avons l’espoir prudent de retrouver les restes mortels des soldats », assure le VDK dans un communiqué. « Les résultats de la campagne d’analyse des sols semblent ­probants », assure de son côté la préfecture de Corrèze. En aparté, les responsables parlent de « quasi-certitude ». Un laboratoire marseillais est déjà mobilisé pour analyser et tenter d’identifier les corps qui seraient déterrés.

Un sale moment d’une sale époque

Edmond Réveil était un modeste agent de liaison âgé de 19 ans quand il avait été précipité dans cette tragédie. Depuis, l’ancien résistant, devenu cheminot, avait celé au plus profond de lui ce souvenir douloureux, insupportable. Il l’avait caché à son épouse, à ses enfants, à ses amis et même à son beau-frère qui était pourtant un chef du maquis. C’était un sale moment d’une sale époque, noyé dans ces journées de deuil que connut le Limousin avant d’être libéré. Il était indissociable de l’interminable traînée de sang qui traversa au même moment la région.

La division Das Reich massacrait par centaines les civils sur son chemin, en Corrèze ou en Haute-Vienne. Elle avait pendu 99 otages à Tulle le 9 juin 1944, assassiné 643 hommes, femmes et enfants à Oradour-sur-Glane le lendemain, reproduisant des méthodes de terreur qu’elle avait éprouvées auparavant en Ukraine. Ce même 10 juin, 47 francs-tireurs et partisans (FTP), des gamins encore, avaient été froidement abattus à Ussel. On ne comptait plus les martyrs. Qui donc après la Libération allait s’apitoyer sur le sort de ces Boches liquidés ?

 

Alors, il avait tout gardé pour lui, Edmond Réveil, jusqu’à ce brusque aveu de 2019. Tous ses camarades étaient morts : il ne se voyait pas partir à son tour au tombeau en emportant ce lourd secret. Dans la salle, se trouvait le maire de Meymac, Philippe Brugère, qui ignorait absolument tout du drame qui s’était joué sur sa commune. Son administré ne lui avait rien dit, à lui non plus.

Une rumeur racontée à voix basse

A Meymac, 2 500 habitants, la rumeur circulait dans quelques vieilles familles paysannes du cru, racontée à voix basse derrière les portes fermées. Philippe Brugère a alors prévenu le sous-préfet d’Ussel de la confession du vieux maquisard. Une autre personne présente dans la salle a également rapporté ses propos à l’ONACVG. Un nouveau directeur, Xavier Kompa, venait d’y être nommé. Il avait débarqué de Lorraine au début de l’année. Il avait juste eu le temps de mesurer la charge particulièrement douloureuse que représentaient dans la mémoire corrézienne ces journées terribles et le passé résistant de la région.

A Tulle, tout nouveau préfet ne marque-t-il pas sa prise de fonctions en déposant une gerbe devant le haut lieu de Cueille, monument dédié aux pendus de juin 1944 ? Ils ont donc jaugé les conséquences d’une telle révélation. Il a fallu vérifier les dires d’Edmond Réveil, attendre la fin de la pandémie de Covid et, surtout, le feu vert des hiérarchies. L’affaire est remontée à Paris, jusqu’aux cabinets ministériels, puis redescendue à Tulle. Les représentants allemands en France ont été mis dans la confidence. Tout cela dans la plus grande discrétion. Plus de trois années se sont ainsi écoulées avant que ne tombe l’aval officiel. Au début de 2023, Philippe Brugère recevait un appel du préfet de Corrèze, Etienne Desplanques, lui annonçant la décision d’entamer des fouilles.

Bizarrement, les hommes du VDK étaient déjà passés à Meymac, à la fin des années 1960. Ils avaient creusé une première fosse et exhumé onze corps, dont sept avaient été identifiés, qui avaient été transférés dans le cimetière militaire allemand de Berneuil (Charente-Maritime). Un agriculteur de la commune, André Nirelli, qui avait 10 ans à l’époque, se souvenait du passage de ces mystérieux visiteurs, guidés par son père. Il situe formellement la scène en 1967. Un bref rapport du VDK est, lui, daté de 1969. C’est la seule trace écrite de cette première campagne : il n’existe rien d’autre, ni dans la presse locale ni surtout dans les archives françaises, ce qui paraît surprenant alors que des corps ont été déplacés.

« Je n’en avais jamais entendu parler », assure le maire Philippe Brugère. Personne ne sait non plus, même dans la partie allemande, comment avaient alors été obtenues les informations sur le lieu de l’exécution. Une seule certitude : ces fouilles avaient été interrompues brutalement. Après cinq jours à peine, le VDK avait dû ranger à la va-vite pelles et pioches. L’hypothèse la plus communément admise aujourd’hui est qu’ils ont dû battre en retraite face à l’ire des associations mémorielles locales.

Des plaies toujours à vif

A l’époque, le maire de Meymac, Marcel Audy, était lui-même, et comme beaucoup d’autres édiles locaux, un survivant du maquis. En ces années où gaullistes et communistes s’en disputaient la gloire, le mythe résistancialiste tournait à plein régime. Il ne faisait pas bon écorner l’image de la France combattante, maculer son réel héroïsme, teinté de romantisme, avec cette histoire d’exécutions sommaires.

Dans le Limousin, les plaies étaient toujours à vif. Les émissaires venus d’Allemagne n’étaient pas les bienvenus. L’ancien envahisseur ne faisait rien non plus pour plaire. Pour mémoire, la République fédérale refusait obstinément d’extrader le SS Heinz Lammerding, commandant de la division Das Reich, qui avait été condamné à mort par contumace en 1953 par le tribunal de Bordeaux pour avoir ordonné les massacres de Tulle et Oradour (il mourra dans son lit en 1971).

Un demi-siècle plus tard, les investigations ont donc repris. Edmond Réveil et André Nirelli ont accompagné les responsables de l’ONACVG et du VDK sur les lieux. L’ancien maquisard a fouillé du regard un paysage que les décennies avaient forcément bouleversé et brouillé dans son esprit. Le décor était à l’époque constitué de landes, de bruyères et de feuillus. Il est désormais largement recouvert de pins Douglas, une variété de conifères importée d’Amérique en Corrèze après la guerre. Une zone de recherches de 3 000 mètres carrés a finalement été délimitée. Les cinq propriétaires concernés ont donné leur autorisation pour procéder aux explorations. Les sondages radar ont renforcé les présomptions.

Affaire éventée et vives réactions

Mais l’affaire a fini par être éventée. Le 12 mai, l’hebdomadaire La Vie corrézienne rendait l’information publique. La Montagne, le grand quotidien régional, puis la presse nationale et bientôt les médias internationaux s’en sont à leur tour saisis. L’ONACVG et le VDK ont poursuivi leur travail sous les projecteurs. Philippe Brugère a dû publier un arrêté municipal interdisant la zone au public. Des rondes de gendarmerie ont été organisées pour dissuader les inévitables pilleurs de tombes et autres fanas milis armés de leurs détecteurs de métaux.

La médiatisation des dires d’Edmond Réveil et de la campagne de fouilles n’a pas manqué de provoquer de vives réactions. L’Association nationale des anciens combattants et amis de la résistance (ANACR) du département et le collectif Maquis de Corrèze ont publié des communiqués vindicatifs. « Comment salir (volontairement ou pas) la mémoire de la Résistance ! », est-il écrit. Les deux associations dénoncent, à propos des révélations sur les exécutions, un faux scoop. « Cet événement est publiquement connu depuis plusieurs décennies », assurent-elles.

En effet, il l’était, au moins des initiés. Louis Godefroy (qui était appelé « Marcel », « Robert » ou « Rivière » dans la clandestinité), délégué militaire de la zone, rapporte l’événement dans un témoignage rédigé après la guerre et conservé aux archives de Tulle. Dans Maquis de Corrèze, un recueil des Mémoires de résistants paru aux Editions sociales, ce fait est passé sous silence dans la première édition, datant de 1971. Mais la troisième édition, parue en 1975, le mentionne explicitement.

 

Plusieurs livres d’historiens sur les massacres de Tulle y font également référence comme, en 2004, en 2011 ou en 2014 ceux des historiens Bruno Kartheuser, Paul Estrade ou Fabrice Grenard. « Cette histoire était connue », confirme un autre historien, Jean-Michel Valade, qui a aussi travaillé sur ce sujet. Elle a malheureusement été reprise dans des ouvrages révisionnistes qui tendent à inverser la chronologie et à faire des exécutions de prisonniers allemands la cause des représailles des SS de la Das Reich.

Un manque de mise en perspective

Les associations du souvenir regrettent un manque de mise en perspective de ces exécutions par la Résistance. « On a parfois l’impression que le sujet est traité comme s’il s’agissait de deux armées régulières dans un conflit traditionnel », regrette Nathalie Sage-Pranchère. Cette Tulliste, historienne, chercheuse au CNRS, est aussi la fille de Pierre Pranchère, résistant et ancien député communiste de Corrèze.

« Il y a, dans la manière dont tout cela est parfois présenté, une mise à égalité de la Résistance et de l’armée d’occupation, regrette celle qui est membre du collectif Maquis de Corrèze. Or, il n’y a pas d’égalité. Dans cette guerre, tout résistant était considéré comme terroriste. Il n’était pas fait prisonnier. Il était torturé et exécuté. En condamnant la Résistance, on condamne ceux qui ont sauvé l’honneur de ce pays. » Elle poursuit : « Donner des leçons de morale à quatre-vingts ans de distance à ceux qui se sont levés contre l’envahisseur, c’est attaquer la notion même d’engagement. Les accuser de crime de guerre, notion créée en 1949 dans les conventions de Genève, est indécent. »

Pour comprendre les événements, on ne peut les séparer des journées qui les ont précédés. Depuis plusieurs années déjà, les maquis sont particulièrement bien implantés dans tout le Limousin. Ils recrutent des volontaires venant de toute la France. Ils intègrent même des rescapés de la guerre d’Espagne. La plupart de ces clandestins ne se connaissent que par leurs pseudonymes. Le chef de la section d’Edmond Réveil est ainsi un Alsacien appelé « Hannibal »…

Les résistants tiennent de facto le plateau de Millevaches, où se trouve Meymac. Ils mènent la vie dure aux forces d’occupation qui ont massé à Tulle (17 000 habitants à l’époque) une garnison de 400 hommes qui multiplie des raids meurtriers contre les insurgés. La répression est féroce, conduite par un important poste de la Sipo-SD, la police SS. Tulle compte également un fort cantonnement de miliciens et de groupes mobiles de réserve (GMR), la police de Vichy.

C’est cette place forte que les résistants décident de prendre. L’opération, imaginée dès le printemps, divise. Le groupe le plus puissant, auquel appartient Edmond Réveil, est formé par les Francs-tireurs et partisans, d’obédience communiste. Les FTP brûlent d’agir. Les autres groupes temporisent. Ils jugent que l’action est prématurée et met en danger la population. Ils n’y participeront finalement pas mais accepteront de servir de couverture. « Ils sont restés aux portes de la ville », explique l’historien Jean-Michel Valade. Pour anecdotique qu’elle semble, cette dissension marquera durablement la Résistance locale, les uns reprochant aux autres, qui leur pusillanimité, qui leur témérité. Un différend qui trouvera pendant longtemps un écho hargneux lors des cérémonies commémoratives.

Au lendemain du Débarquement, le 6 juin 1944 en Normandie, les FTP passent à l’action. Quelque 600 maquisards attaquent Tulle le 7 au matin. Dans la confusion, le préfet négocie avec les chefs résistants le départ vers Limoges du contingent de 600 GMR, au milieu desquels vont se dissimuler des miliciens. Les combats sont en revanche rudes avec la garnison allemande. Les morts se comptent par dizaines de part et d’autre. Dix-sept gardes-­barrières qui ont le malheur de porter un brassard blanc sont confondus avec des FTP et exécutés par les forces d’occupation.

Une répression abominable

Le 8 juin, le groupe d’Edmond Réveil encercle l’école normale des filles où se sont barricadés nombre de soldats allemands. Une quarantaine d’entre eux meurt en tentant de briser l’encerclement, les corps déchiquetés par les balles traçantes des mitrailleuses. Les autres finissent par se rendre. Des membres du Sipo-SD sont identifiés par une trentaine de maquisards détenus sur place. Ils sont immédiatement exécutés. La Résistance semble alors maîtresse de la ville. Des réjouissances sont mêmes organisées. La population est en fête. Mais, le soir, des éclaireurs alertent sur l’arrivée imminente de la division Das Reich, qui remonte de Brive-la-Gaillarde. Les FTP doivent se replier précipitamment. C’est là que la section d’Edmond Réveil emmène des prisonniers allemands.

La vengeance de la Das Reich contre la population est abominable. Tous les hommes de la ville sont rassemblés dans la manufacture d’armes. Un membre de la Sipo-SD, Walter Schmald, qui a survécu aux combats, désigne alors les suppliciés. Quatre-vingt-dix-neuf sont pendus par groupe de dix aux arbres, aux réverbères, aux balcons de la ville, puis les corps sont abandonnés dans un dépotoir. Le 10 juin, 149 otages sont envoyés en déportation (101 ne reviendront pas). La répression va se poursuivre pendant des semaines, menée par les Allemands mais aussi par les miliciens qui sont revenus à Tulle. La ville ne sera définitivement libérée que le 16 août 1944.

Le 8 juin, Edmond Réveil et son groupe quittent donc la ville avec leurs prisonniers. Quelques-uns parviennent à s’enfuir. Un gestapiste est abattu en tentant de s’évader. Dans des conditions qui restent mystérieuses, la section se voit ensuite confier la garde d’une femme accusée de collaboration. Le cortège parcourt près de 70 kilomètres vers le nord du département et le relatif refuge du plateau de Millevaches. Le groupe erre de ferme en ferme, tente de partager son fardeau. « Personne n’en voulait. On ne savait pas quoi en faire. Les gars d’Allassac ne pouvaient pas s’en occuper. Ils ont confié les prisonniers au groupe de Treignac. Mais, une fois arrivés au Lonzac, ceux de Treignac ont dit qu’ils ne pouvaient pas, eux non plus, les garder », raconte Edmond Réveil dans La Montagne du 15 mai.

Une section de maquisards étrangers accepte de prendre quelques soldats d’origine tchèque et polonaise, apparemment volontaires pour rejoindre la Résistance. Un témoin, André Roussel, cité dans le livre Maquis de Corrèze publié en 1975, raconte : « Les prisonniers sont pour nous un lourd handicap. Que devons-nous faire ? Les relâcher ou les garder avec nous ? Devinant notre perplexité, un prisonnier sort du rang et nous dit en assez bon français : “Laissez-nous ici, nous avons été bien traités. Nous vous jurons que nous retarderons vos poursuivants.” La majorité d’entre nous s’élève contre cette proposition. »

Le groupe d’Edmond Réveil, fort d’une quinzaine d’hommes, arrive finalement à Meymac, au hameau du Vert. Selon le témoin, les maquisards ont encore avec eux 47 prisonniers allemands et la femme. Ils sont enfermés dans une grange. Mais leur surveillance est difficile. Il faut trouver de la nourriture, mobiliser deux gardes chaque fois qu’un détenu demande à sortir pour se soulager. Les maquisards sont traqués par les troupes allemandes dont ils entendent dans le lointain ronfler les moteurs et détoner les armes. Ils distinguent également, la nuit, les fusées éclairantes qui zèbrent le ciel et permettent aux poursuivants de se repérer entre eux. L’encerclement est imminent. Il faut se disperser.

Dans son témoignage versé après la guerre aux archives de Tulle, le colonel Louis Godefroy, alias Rivière, assume la responsabilité de l’ordre d’exécution. « C’était outre une charge énorme un réel danger pour la sécurité de nos éléments d’avoir à garder des prisonniers alors que l’ennemi sillonnait la région, écrit-il. La situation (…) exigeait leur disparition immédiate. » Louis Godefroy ajoute que les prisonniers connaissaient leurs déplacements et leurs planques, justifiant à ses yeux « de prendre la seule décision possible : les passer par les armes ». Selon les maquisards, les prisonniers se seraient vu proposer un marché : rejoindre les rangs des rebelles ou être tués.

Hannibal, le chef du groupe, est chargé d’appliquer l’ordre. « Quand il a compris qu’il devait les tuer, il a pleuré comme un gamin, assure Edmond Réveil à La Montagne. Il était alsacien, donc il parlait allemand. Il leur a parlé un par un. Mais il y avait une discipline dans la Résistance. Il a demandé aux gars lesquels se portaient volontaires pour exécuter les ordres. Chaque maquisard avait son bonhomme à tuer. Il y en a, parmi les gars, qui n’ont pas voulu, dont moi. [Les prisonniers] ont été tués, on a versé de la chaux sur eux et on n’en a plus jamais reparlé. Ce n’est pas marrant, vous savez, de fusiller quelqu’un… » La femme est passée par les armes, en treizième position, se souvient précisément le témoin. De ces heures, Edmond Réveil a conservé en tête « l’odeur du sang ».

Des corps régulièrement retrouvés

La plupart des historiens estiment que les maquisards avaient appris les massacres de Tulle et même d’Oradour. Tous s’accordent sur le fait qu’ils connaissaient le sort réservé à leurs camarades d’Ussel, à 15 kilomètres de là. Ont-ils aussi agi en représailles ? Selon Edmond Réveil, les témoins auraient juré de garder secret le drame de Meymac. Lui s’est ensuite enrôlé dans l’armée régulière. Il a combattu les troupes allemandes de l’autre côté du Rhin. Les autres membres de la section se sont dispersés. Chacun a repris sa vie, lesté de ce souvenir pénible. Mais l’écho national des dernières révélations a réveillé des mémoires. L’ONACVG a ainsi été contacté par la fille d’un résistant qui a retrouvé l’histoire dans les carnets de son père.

Et ainsi la guerre n’en finit pas de recracher ses secrets et ses corps. L’affaire de Meymac n’est pas isolée. En 2003, à Saint-Julien-de-Crempse, en Dordogne, ont été retrouvés ­dix-sept soldats allemands tués en représailles par la Résistance après l’exécution de dix-sept otages par les occupants. Régulièrement, des corps allemands sont retrouvés en Normandie, désarmés, avec une balle dans la nuque : des prisonniers dont les troupes libératrices ne savaient que faire au cœur des combats.

A Meymac, onze corps ayant été enlevés lors des premières fouilles, dans les années 1960, il en resterait, selon le décompte d’Edmond Réveil, 36 autres à retrouver. « Les fouilles trancheront », résume Nathalie Sage-Pranchère, qui, comme les associations mémorielles, ne s’y oppose pas. « Cette exhumation est une obligation pour la France, qui doit rendre les soldats tombés à l’Allemagne, a insisté Etienne Desplanques, préfet de Corrèze, lors d’une conférence de presse. C’est aussi une obligation morale à l’égard du peuple allemand et de l’amitié qui nous lie. » Edmond Réveil espère que sera ainsi réparé ce qu’il appelle « une faute ». « Les familles de ces gars-là ont le droit de savoir ce qu’ils sont devenus », ajoute-t-il. Le vieil homme a parlé. Il peut partir la conscience tranquille. Contacté par Le Monde, il s’est à nouveau muré dans le silence. « Tout ça, c’est fini pour moi », a-t-il dit en raccrochant brusquement.

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