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«Vivre avec» le Covid-19… sauf à Davos

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société traversée par le coronavirus. Aujourd’hui il dénonce le deux poids, deux mesures entre les puissants et les autres.
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Au forum de Davos, le 16 janvier. Le niveau de protection contre le Covid dont bénéficient les puissants de ce monde est sans commune mesure avec celui que nous octroient nos gouvernements, (Fabrice Coffrini/AFP)

par Christian Lehmann, le 21 janvier 2023 à 13h12

 

Parfois, c’est une comète qui va s’écraser sur la Terre (Deep Impact, Don’t look up). Parfois ce sont des bombardements de neutrinos liés à une éruption solaire qui vont entraîner des séismes (2012), parfois une glaciation qui recouvre la croûte terrestre d’un manteau neigeux où rien ne peut survivre (Snowpiercer). C’est devenu un cliché de nombreux films-catastrophe : à l’approche du cataclysme, des arches sont construites dans lesquelles s’engouffrent les puissants – politiciens, milliardaires –, quelques scientifiques, et une poignée de prolétaires tirés au sort ou choisis en fonction de leur potentiel érotique. Parce qu’on a beau être riche, il faut savoir s’amuser, et les canalisations ne se débouchent pas toutes seules.

Le forum de Davos rassemble en Suisse tous les ans chefs d’Etat, capitaines d’entreprises, financiers décomplexés, investisseurs, économistes plus ou moins barrés, célébrités, et Jacques Attali… le gotha de la planète. Après deux ans d’annulations liées à la pandémie, les puissants se réunissent à nouveau. Dans l’imaginaire complotiste, Davos, c’est le repaire du mal, l’endroit où ceux qui ourdissent la «plandémie», la soumission de l’humanité aux injections vaccinales expérimentales, viennent prendre leurs ordres de mission sur le «Great Reset» des mains de Bill Gates, de George Soros et des reptiliens. Plus prosaïquement, pour ceux qui luttent contre le capitalisme et les destructions qu’il génère, c’est le lieu où les maîtres de la politique et de la finance se retrouvent pour «façonner les agendas mondiaux, régionaux et industriels», autrement dit : consolider leur pouvoir sur l’ordre du monde.

 

Dissonance cognitive

Et alors qu’aux quatre coins de la planète, l’injonction à «vivre avec» le Covid est répétée dans la majorité des médias (le New York Times raillait encore récemment les derniers porteurs de masque considérés comme des attardés), alors que nombre de chefs d’Etat, dont le nôtre, professent que le Covid est derrière nous, le Forum économique mondial entoure de précautions les puissants de ce monde. La vaccination est évidemment recommandée à tous les participants, qui bénéficient d’un test PCR à leur arrivée. Leur badge électronique permettant l’accès au Forum est désactivé si le résultat revient positif. Des autotests antigéniques et des masques sont distribués gratuitement, et les salles sont ventilées, aérées (on peut voir sur les photographies que de nombreux participants portent des doudounes, à l’intérieur) et pourvues de filtres HEPA, tandis qu’au plafond sont installées des lumières UV pour désactiver le virus. De plus, tous les conducteurs de taxi et de transport sur les lieux doivent être masqués en permanence. En résumé, tout se passe comme si, pour ceux qui nous gouvernent, le Covid constituait toujours une menace réelle, nécessitant «un effort massif de purification de l’air» comme celui qu’avait promis Emmanuel Macron en avril 2022 «dans nos écoles, nos hôpitaux, nos maisons de retraite, et dans tous les bâtiments publics».

En France, nous avions déjà eu un magnifique exemple de cette dissonance cognitive en apprenant que les enfants du ministre de l’Education Pap Ndiaye, scolarisés à l’Ecole Alsacienne, pouvaient bénéficier d’une protection renforcée contre le Covid incluant vaccination, tests, capteurs de CO2 dans les salles de classe, filtration de l’air dans les lieux de restauration, tandis que le protocole sanitaire à l’Education nationale est inexistant. «Faites ce que je dis, pas ce que je fais.»

Faillite morale d’une gauche

Le niveau de protection dont bénéficient donc les puissants de ce monde est sans commune mesure avec celui que nous octroient nos gouvernements, et personne chez eux, apparemment, n’y trouve à redire. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas vu dans les rues suisses de manifestations de milliardaires en Tesla brandissant des banderoles exigeant le respect de leurs libertés individuelles, ni de gestionnaires de fonds de pension américains appelant à la résistance contre la tyrannie du purificateur d’air.

 

A nouveau, on mesure l’ampleur de la faillite morale d’une gauche qui, à de rares exceptions, n’a pas su se mobiliser pour l’autodéfense sanitaire, a parfois nié la réalité même de la pandémie, préférant adhérer à la fiction de la Great Barrington Declaration comme quoi le Covid ne menaçait au final qu’une très faible partie de la population, les «vulnérables». Ce discours sciemment promu par des think tanks ultralibéraux américains a diffusé dans le monde entier, et nombre de celles et ceux dont on aurait pu attendre une position sanitaire humaniste se sont vautrés dans le relativisme et ont, de facto, préféré soutenir les pseudo résistants brandissant leur liberté individuelle. A part quelques scientifiques, dont Antoine Flahault, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’université de Genève, peu nombreux sont ceux qui mettent en lumière le «Davos Standard», cette preuve éclatante que l’élite autoproclamée de la planète s’entoure, elle, de précautions qu’elle nous dénie, au nom de la productivité. Pour eux, «vivre avec» le Covid signifie mettre en place toutes les protections possibles, «quoiqu’il en coûte», pour éviter les infections, les réinfections, et leur cortège potentiel d’atteintes cardiovasculaires, respiratoires, neurologiques et immunitaires. La pandémie de Covid n’est pas un complot des puissants, mais la négation du Covid est bien la parfaite conjuration des cyniques et des imbéciles.