JustPaste.it

Une société liée à Vincent Bolloré a assisté les candidats d’Eric Ciotti aux législatives

 

Selon des éléments consultés par «Libé», la société de communication Progressif Media, familière de la fachosphère et logée dans les locaux du «JDD» et d’«Europe 1», a prêté main-forte aux candidats de l’ex-patron de LR rallié au RN.
1306c2d2902583542df7e191149ba7af.jpg

Eric Ciotti à gauche, Vincent Bolloré à droite. (V. Hache et A.Jocard/Photomontage Libération.AFP)

 

 

Outre la croisade culturelle menée par son empire médiatique, Vincent Bolloré met les mains dans la cuisine électorale. Libération a pu consulter en exclusivité des documents internes d’une société de communication liée au milliardaire breton. Progressif Media, c’est son nom, est une entreprise discrète couvée par le richissime capitaine d’industrie et dirigée par un propagandiste anti-IVG. Nous avions déjà révélé les campagnes d’influence d’extrême droite qu’elle mène, et pour lesquelles elle emploie des influenceurs de la fachosphère. Selon nos nouvelles informations, lors de la campagne des législatives anticipées de l’été 2024, elle s’est mise au service d’Eric Ciotti. Une aubaine pour celui qui venait de se faire éjecter de son siège de président des Républicains après s’être allié au Rassemblement national, avec la bénédiction du milliardaire.

«Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale.» Le 9 juin 2024 au soir, déçu par le résultat des élections européennes qui ont vu la victoire du RN, Emmanuel Macron prend la folle décision. Si ce coup de tonnerre prend tout le monde de court, certains y voient une opportunité. Dès le lendemain, Eric Ciotti propose à Jordan Bardella et Marine Le Pen de s’allier pour ces élections législatives anticipées. Il s’est aussi rendu dans la journée au 51, boulevard de Montmorency, dans le XVIe arrondissement de Paris, où il a rencontré Vincent Bolloré. Une entrevue discrète, à l’initiative du milliardaire breton, selon le Monde : celui-ci caresse depuis longtemps l’idée d’une «union des droites» à même de prendre le pouvoir. Le magnat a donné son aval, Eric Ciotti peut faire son annonce. Séisme et crise profonde chez LR. Il se retranche dans son bureau et livre bataille sur les réseaux sociaux jusqu’à l’assaut du siège par les autres caciques de la droite, ulcérés. Le parti est en ruines, le député des Alpes-Maritimes paraît avoir tout perdu. Le soir même, il apparaît toutefois sur CNews, propriété du groupe Bolloré, où l’animatrice vedette Christine Kelly lui offre une tribune pour justifier sa décision.

Agence d’agit-prop

Mais comment mener campagne sans moyens ni soutiens ? Bien peu de troupes suivent finalement Ciotti, qui a brûlé tous ses vaisseaux dans l’opération. L’ex-chef de LR se lance pourtant dans les législatives avec 62 candidats. Surgit alors une petite société de communication, Progressif Media, dans laquelle Vincent Bolloré a pris 8 % des parts deux ans plus tôt. Elle est spécialisée dans les campagnes d’influence au service des idées conservatrices et identitaires ; elle a aussi volé au secours des médias de la bollosphère critiqués pour leurs biais idéologiques et leur manque de déontologie. Comment cette entreprise et les équipes d’Eric Ciotti ont-elles été mises en contact ? Nous avons sollicité Vivendi. Silence radio.

Cette petite boîte de com, Libé a déjà révélé ses liens avec l’extrême droite. C’est depuis les serveurs de l’entreprise qu’a par exemple été développé le site de Génération identitaire, le groupuscule dissous en 2021 par les autorités pour son racisme et sa violence. L’agence emploie entre autres le cofondateur du Comité Trump France, Vivien Hoch. Tout comme le Youtubeur de la fachosphère Georges Matharan qui n’apparaissait, lui, nulle part, sauf sur un organigramme interne. L’activiste identitaire Thaïs d’Escufon a aussi fréquenté ses studios. Enfin, son patron, Emile Duport, est un ancien de la Manif pour tous, un militant très actif parmi les anti-IVG et les milieux catholiques réactionnaires. Ce quadragénaire et un de ses anciens complices, David Bonhomme, ont été introduits auprès de Vincent Bolloré via une richissime productrice de télévision, Chantal Barry.

Après avoir été hébergé dans les très chics locaux du Vivendi Village, dans le VIIIe arrondissement de Paris, Progressif Media, de plus en plus intégré à la galaxie Bolloré, a rejoint en octobre 2024, comme l’a révélé le média la Lettre,l’immeuble de Lagardère News au 2, rue des Cévennes, dans le XVe arrondissement de la capitale, où sont établis CNews et Europe 1. Mais aussi le Journal du dimanche, dirigé par Geoffroy Lejeune, ancien patron de Valeurs actuelles, proche d’Eric Zemmour et ami de Marion Maréchal. Volonté de développer des synergies entre les rédactions de la bollosphère et cette agence d’agit-prop ? Pas de commentaire chez Lagardère News ni de Geoffroy Lejeune, joints par Libé.

Partagé par inadvertance

Pendant la campagne des législatives anticipées, des vidéos fleurissent sur les réseaux sociaux des candidats ciottistes, toutes pratiquement de la même durée, réalisées sur le même fond bleu et avec un script similaire. A l’image de celle montrant Eric Ciotti appeler à voter pour Babette de Rozières (candidate dans la 7e circonscription des Yvelines), partagée par celle qui n’avait pas encore été rattrapée par sa sortie antisémite datant de 2019. Ou encore la vidéo diffusée sur Facebook, le 25 juin, quelques jours avant le premier tour, par Sophie Vaginay-Ricourt (2e circonscription des Alpes-de-Haute-Provence). Une publication de la future députée, élue au second tour face à un candidat NFP, passée totalement inaperçue. Mais les activistes des Sleeping Giants, un collectif luttant contre les discours de haine, ont repéré qu’elle contient un lien de renvoi vers un «Google drive», un espace de stockage et de partage de données en ligne. Celui vers lequel renvoie le lien, manifestement partagé par inadvertance, est tenu et administré par Progressif Media.

Selon les éléments recoupés par Libération, la vidéo partagée par Sophie Vaginay-Ricourt est bien le fruit du travail des équipes de Progressif Media. Sur ce «drive» est actif un jeune homme qui a transmis à la future élue ciottiste les éléments qu’elle a ensuite diffusés en ligne. Il s’agit de Baudouin Wisselmann, un ancien journaliste de Valeurs actuelles, licencié en 2023 pour avoir réalisé dans les locaux du journal une vidéo faisant intervenir l’influenceur d’extrême droite Papacito. Le rendu de cette vidéo, particulièrement violent, mimait la traque et le viol du maire d’une petite commune du sud de la France sur fond de délires homophobes, antimaçonniques et antirépublicains. Pour ces faits, Papacito a été condamné à 5 000 euros d’amende pour injure publique homophobe et «provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie». Baudouin Wisselmann n’avait pas prévenu sa hiérarchie de son initiative. Mais la vidéo a fait scandale, y compris parmi la direction de l’hebdomadaire, provoquant le licenciement de ses auteurs. Depuis, Baudouin Wisselman a collaboré avec la radio d’extrême droite Radio Courtoisie ainsi qu’en tant que pigiste au JDD, et anime une chaîne YouTube reflétant les mêmes orientations.

Quel est son rôle au sein de Progressif Media ? Baudouin Wisselman n’affiche aucune affiliation avec l’entreprise. Il n’en fait pas mention sur ses réseaux sociaux, pas plus que le site de la société ne le mentionne. Selon nos informations, il possède pourtant une adresse mail au nom de l’entreprise, avec laquelle il est enregistré dans le «Google drive». A quel titre ? Contacté, le jeune homme n’a pas donné suite à nos sollicitations. Autre question : qui a payé la facture du coup de main aux troupes d’Eric Ciotti, si facture il y a eu ? Aucun document de ce genre n’apparaît parmi ceux que nous avons pu consulter. Le patron de Progressif Media, Emile Duport, n’ont répondu à nos questions. Contactées, les équipes d’Eric Ciotti n’ont pas nié avoir eu recours à cette société mais n’ont pas été en mesure de nous expliquer comment elles avaient été mises en contact avec elle.