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La sécheresse pousse de plus en plus de communes à geler les permis de construire

Alors que le niveau des nappes phréatiques reste historiquement bas, des dizaines de municipalités appuyent sur « le bouton rouge » en cessant de délivrer des permis de construire. Une réponse politique délicate, dans des zones où le manque de logements se fait sentir.

Lucie Delaporte

27 août 2023 à 11h34

 

Les premiers signes inquiétants, René Ugo, maire de Seillans (Var), a commencé à les voir apparaître « fin 2021 » : « Un de nos forages était défaillant et nous avons dû faire venir un camion-citerne pour approvisionner le village en eau potable. » La pluviométrie, très faible au cours de l’année 2022, n’a fait qu’empirer la situation, partagée par les huit autres villages de la communauté de communes de Fayence. La Siagnole, qui alimente le pays de Fayence mais aussi, en aval, les villes de Fréjus, Draguignan et Saint-Raphaël, affichait depuis des mois des niveaux préoccupants.

 

À trente minutes du littoral, où se loger est devenu inaccessible car hors de prix, ces villages ruraux sur les hauteurs de l’arrière-pays de Cannes ont vu leur population doubler ces vingt dernières années, avec une pression sur la ressource en eau de moins en moins soutenable.

La communauté de communes a donc adopté, en mars dernier, une mesure drastique : le gel de tous les permis de construire pour une durée de cinq ans. Une première en France mais qui commence déjà à faire tache d’huile dans certains territoires également confrontés au manque d’eau.

 

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Le village de Seillans dans le Var est concerné par l’alerte sécheresse de la préfecture. © Photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP

« La sécheresse de 2022 a joué un rôle d’électrochoc en faisant apparaître les conséquences – déjà bien là – du réchauffement climatique. Face à cela, il faut trouver des mesures d’adaptation structurelles », analyse Laurent Roy, directeur général de l’agence de l’eau Rhône-Alpes-Méditerranée, pour qui « la communauté de Fayence a mené sur ce point une action résolue. »

 

L’urbanisation galopante dans ces territoires a été menée sans prendre en compte la ressource hydrique. Depuis la loi Alur, les différentes mesures visant, pour limiter l’étalement urbain, à faciliter la densification urbaine, se sont retournées contre ces villages, estime le maire de Seillans : « Là où les promoteurs achetaient une parcelle pour construire deux ou trois maisons, ils peuvent maintenant en construire quinze. Les maires ont été piégés par ce dispositif. »

 

Les piscines se sont aussi multipliées, hors de tout contrôle, et là encore les conséquences sur la ressource en eau n’avaient pas forcément été anticipées.

 

Si l’arrivée de nouveaux habitants est considérée comme impossible, c’est que ceux des neuf communes du pays de Fayence vivent déjà des restrictions d’eau. « On a limité la consommation d’eau de 150 litres à 100 litres d’eau par jour et par personne dans les secteurs les plus touchés. Avec des sanctions et des limiteurs de débit pour ceux qui ne respectaient manifestement pas les consignes », précise René Ugo.

 

À Vallon-Pont-d’Arc, dans le sud de l’Ardèche, comme dans vingt-deux autres communes du département, c’est la préfecture qui a imposé depuis le mois d’avril de geler les permis de construction requérant un raccordement à l’eau potable. « L’été dernier, nous étions en capacité limite de fournir de l’eau potable aux habitants », raconte le maire, Guy Massot. Plusieurs communes voisines ont aussi dû être approvisionnées par camion-citerne.

 

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Une fontaine fermée dans le village de Seillans (Var). © Photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP

Dans cette petite ville touristique où la population est multipliée par dix les mois d’été, la sécheresse s’installe année après année. La préfecture a donc décidé de prendre cette mesure radicale pour obliger les élus à sécuriser leur approvisionnement en eau.

 

Pour certains, cela signifie d’importants travaux sur leurs réseaux d’eau. Un plan local d’urbanisme intercommunal où la question de l’eau sera bien mieux intégrée qu’auparavant est en préparation.

 

De forts besoins en nouveaux logements

« Les plans d’urbanisme doivent intégrer la question de la ressource en eau. Or ce n’était pas toujours fait. Geler les permis de construire, c’est appuyer sur le bouton rouge », avance le directeur général de l’agence de l’eau Rhône-Alpes-Méditerranée qui subventionne les projets d’économie de la ressource.

Alors que la pression sur le logement est forte, assumer de donner un coup de frein général à la construction est politiquement compliqué, surtout dans un département qui manque par ailleurs cruellement de logements sociaux.

 

« Sinon, on décide de ne plus construire sur tout le pourtour méditerranéen : il y a quand même tout un panel de solutions avant d’en venir à cette extrémité », assure Laurent Le Roy, qui rappelle qu’un adulte consomme 150 litres d’eau potable par jour, alors qu’il n’en boit que deux litres en moyenne.

Geler les permis de construire peut, à court terme, satisfaire des habitants jamais très enclins à voir se construire de nouvelles habitations près de chez eux, mais fige aussi brutalement la vie locale.

 

Réutilisation des eaux grises, résorption des fuites sur le réseau (dans certaines communes, plus de 50 % de pertes), désimperméabilisation des sols, économie d’eau à tous les étages… Les élus commencent à intégrer que le manque d’eau dans leurs communes impose des changements rapides.

Des tarifications incitatives, comme à Montpellier, où les prix sont faibles pour les consommations essentielles et élevés pour les gros consommateurs d’eau, sont regardées de près par les municipalités confrontées à la sécheresse.

 

D’importants décrets du plan eau du gouvernement, annoncé en mars dernier et qui comprend une cinquantaine de mesures, devraient être publiés dans les prochains jours. Très attendues par les collectivités qui pâtissent de faibles ressources hydriques, ces mesures permettront notamment la réutilisation des eaux grises dans les habitations (l’eau sortant de la douche ou du lave-linge pourra alimenter les toilettes) et permettront aussi d’arroser les espaces verts sans demander l’avis, jusque-là obligatoire, de l’agence régionale de la santé.

 

Le rapport du Conseil national de la refondation sur le logement consacré à l’écologie, remis en avril dernier, a pointé que, si rien n’est fait, des pans entiers du territoire seront demain inhabitables.