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Électricité : pourquoi les factures vont continuer de flamber

Alors même que les prix de l’électricité ont baissé sur les marchés, les tarifs payés par les consommateurs vont à nouveau connaître une hausse de 10% au 1er février 2024, a confirmé ce jeudi le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, sur FranceInfo. Surtout, d’autres « hausses régulières » devraient suivre. Et pour cause, depuis près d’un an, le gouvernement met progressivement fin à son bouclier tarifaire, ce qui fait mécaniquement gonfler les factures. 

 

Des prix en net recul sur les marchés, une production nucléaire qui repart à la hausse, un nouvel accord conclu entre l'Etat et EDF pour préserver les consommateurs de la flambée des cours... Depuis plusieurs semaines, en matière d'énergie, les signaux verts semblent se succéder pour les ménages français, jusqu'ici étranglés par une inflation galopante. Et pourtant, l'accalmie n'est pas pour tout de suite, bien au contraire : dans deux mois, leurs factures d'électricité grimperont à nouveau, et d'autres salves devraient suivre, a confirmé ce jeudi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

 

En effet, le gouvernement va continuer de diminuer le bouclier tarifaire mis en place fin 2021, en revalorisant le tarif réglementé de vente (TRV) d'EDF dès le 1er février 2024, a-t-il expliqué sur FranceInfo. Après avoir été rehaussé de 4% en février 2022, puis de 15% et 10% en février et août 2023, cet abonnement encadré par les pouvoirs publics et payé directement par 21 millions de foyers (mais aussi indirectement par de nombreux autres, à travers des offres indexées) sera ainsi renchéri de 10%. Surtout, d'autres « hausses régulières » devraient suivre, au moins jusqu'en 2026, a précisé le locataire de Bercy.

 

Des tarifs réglementés de plus en plus liés aux prix de marché

Pour le comprendre, il faut se plonger dans la manière dont est déterminé ce fameux TRV. Concrètement, celui-ci est suggéré par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui propose à deux reprises chaque année, en février et en août, un montant à appliquer sur les six prochains mois.

Or, celui-ci ne reflète pas directement les coûts de production de l'électricité en France. Mais obéit à une formule complexe, construite notamment à travers deux blocs de coûts. D'abord, le premier correspond à la part « ARENH », pour Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, un dispositif qui permet aux opérateurs autres qu'EDF de lui acheter un certain volume à prix cassés. En effet, en 2010, la production nucléaire s'élevant à environ 400 térawattheures (TWh) par an en France, il a été décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient accéder à prix coûtant à 25% de celle-ci, afin de maintenir une concurrence avec EDF sur ce segment. Pour leur permettre de jouer à armes égales avec l'opérateur historique, le plafond a ainsi été fixé à 100 TWh.

 

Mais ces fournisseurs alternatifs ont acquis de plus en plus de parts de marché, si bien qu'aujourd'hui, leurs droits à l'ARENH dépassent largement ce plafond de 100 TWh. En 2023, la demande totale s'est ainsi élevée à environ 150 TWh. Pour cette différence, appelée écrêtement, le prix de l'ARENH répliqué dans le TRV dépendra finalement en bonne partie des prix de marché observés lors des deux années précédentes, plutôt que des tarifs régulés par l'Etat à 42 euros.

Par ailleurs, cet écrêtement accroît également le poids du deuxième bloc de coût comptabilisé dans le calcul du TRV, qui correspond au « complément marché » assumé par les autres fournisseurs. C'est-à-dire la quantité d'électricité qu'ils auront à acheter sur les bourses d'échange du fait du manque d'ARENH. Or, ce complément se trouve artificiellement répliqué dans le TRV, et donc dans la facture des consommateurs. Pour parfaire la symétrie, la CRE calcule cette part sur la base des prix spot (établis par les bourses le jour J pour le lendemain) des 24 derniers mois.

Résultat : depuis fin 2021, les cours ont tant explosé que la CRE a proposé une hausse de 35% du TRV en février 2022, au plus fort de la crise de l'énergie...contre environ +100% en février 2023 et en août 2023.

 

Du contribuable au consommateur

Evidemment, ces montants n'ont pas été ceux retenus par le gouvernement. C'est d'ailleurs le principe même du bouclier tarifaire : ces TRV théoriques sont en réalité remplacés par un tarif artificiel, gelé à un niveau bien inférieur grâce à des aides financières de l'Etat, afin que les mensualités ne doublent pas pour les ménages. Mais c'est également pour cette raison que l'exécutif a décidé de transférer progressivement la charge sur les consommateurs en 2023, celle-ci étant de plus en plus difficile à absorber par la puissance publique. Et qu'il continuera dans cette voie en 2024, jusqu'à une suppression totale des aides. Voire à un rattrapage des frais engagés depuis fin 2021, et par là même à des nouvelles hausses régulières du TRV.

La revalorisation à venir en février 2024 aurait d'ailleurs pu être plus importante que +10%. Seulement voilà : en septembre dernier, la présidente de la CRE, Emmanuelle Wargon, avait lâché à la presse que le calcul théorique des TRV pourrait aboutir à une évolution entre 10% et 20% début 2024 « dans les conditions de marché actuelles » et « avant éventuelle application d'un bouclier tarifaire ». Une bourde de communication qui avait entraîné un flot de réactions déchaînées, y compris par l'opposition, obligeant Bruno Le Maire à éteindre l'incendie, en promettant une hausse limitée à 10%. La CRE elle-même avait d'ailleurs dû envoyer, dans la foulée, un communiqué rectificatif, tant le sujet s'avère socialement explosif.

 

Aucune garantie de baisse des factures après 2025

Mais  cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de hausse après. Et cette tendance pourrait d'ailleurs durer en 2026 et au-delà, malgré les promesses de Bruno Le Maire. Et pour cause, alors qu'il est prévu que l'ARENH prenne fin en 2026, la CRE propose de se baser uniquement sur prix de marché des deux années précédentes pour calculer le TRV cette année-là. Or, sur la bourse d'échange de référence EPEX, le mégawattheure (MWh) acheté aujourd'hui pour livraison en 2025 se négocie à 110 euros en France, soit un montant largement supérieur aux niveaux d'avant-crise, qui se situaient entre 40 et 50 euros le MWh.

Contrairement au discours de Bruno Le Maire, d'ailleurs, l'accord négocié avec EDF pour réguler les prix après 2026 et présenté le 14 novembre ne grave pas dans le marbre un tarif de l'électricité nucléaire autour de 70 euros le MWh. Dans les faits, ce chiffre correspond uniquement aux prévisions d'EDF des cours du marché entre 2026 et 2040, indépendamment de toute intervention étatique. Autrement dit, rien ne garantit aujourd'hui que les factures des consommateurs ne continueront pas d'augmenter après cette date ; le gouvernement lui-même, d'ailleurs, ne certifie pour l'heure rien de tel.