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Covid : quand un labo occupe la chaise laissée vide par le gouvernement

Libération (site web)
Société, jeudi 26 octobre 2023 1003 mots

Covid : quand un labo occupe la chaise laissée vide par le gouvernement

Christian Lehmann

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société longtemps traversée par le coronavirus. Où il est question de com gouvernementale inexistante et des labos pharmaceutiques qui... font le job... à l'américaine.

 

L'autre jour au volant, en écoutant un spot radiophonique sur France Inter, j'ai failli faire une sortie de route. La dernière fois que ça m'était arrivé, ça date, c'était le jour où Martin Winckler a été viré de sa chronique médicale, il y a une vingtaine d'années, pour avoir dit du mal d'une campagne de l'industrie pharmaceutique sur le cholestérol, et que le directeur de l'antenne Jean-Luc Hees n'a rien trouvé de mieux que de donner pile à l'heure de sa chronique, sans prévenir, un droit de réponse au Leem, le Medef de Big Pharma, rebaptisé «Les entreprises du médicament».

 

C'est un dialogue très court entre un homme et une femme plus âgée :

 

« — Salut... Tiens, tu as remis le masque ?

 

Mais tu sais, la Covid est toujours là. Mon médecin m'a dit que j'étais à risque, j'ai 66 ans, mais bon, je ne suis pas inquiète, je sais quoi faire, au moindre symptôme je me teste, et si je suis positive, j'irai le revoir, car des solutions existent. »

 

En l'espace de treize secondes, je venais de recevoir plus d'informations que n'en a jamais donné Aurélien Rousseau lors d'heures d'interview passées à tourner autour du pot en évitant le mot qui compte triple : «Le cœur du cœur pour éviter ce qui s'est passé l'an dernier, c'est qu'on a eu trois épidémies simultanées. Vous savez, la grippe, la bronchiolite, euuuh... des gastros, et donc nous notre bataille, c'est pour ça que je suis ministre de la Santé et je m'en réjouis, mais aussi de la Prévention, c'est de convaincre les Français d'utiliser tous les outils de prévention, et le point commun entre la grippe, la bronchiolite, euuuh... les gastros, ou toute autre forme d'épidémie, c'est... ça peut paraître ridicule, ce sont les gestes barrières : si on ne transmet pas les épidémies, on pourra les écraser.»

 

Réalité quotidienne

Étrangement, ce qui paraît ridicule, à mes yeux, c'est un ministre de la Santé et de la Prévention incapable à deux reprises en moins d'une minute de reconnaître l'existence même du Covid.

En treize secondes, donc, ce clip enfonçait la communication ministérielle sur tous les plans : rappelant la persistance du Covid, l'utilité du port du masque, l'existence parmi nous de patients plus vulnérables, l'importance du testing en cas de symptôme pseudo-grippal, et la nécessité de consulter un médecin en cas de test positif. Certes le clip n'abordait pas l'utilité du port du masque en lieu clos pour les sujets sains, ni l'importance de l'aération, mais au moins rappelait-il une réalité quotidienne et une conduite à tenir cohérente loin de la « culture du masque à la française » dont s'était flatté Olivier Véran.

 

In cauda venenum, dit le proverbe, et le roi Loth dans Kaamelott. Car à la fin du clip, une voix masculine concluait : « Face à la Covid-19, restons vigilants. Campagne d'information menée à l'initiative de l'entreprise de santé Pfizer. »

 

Un médicament quasiment pas utilisé en France

De quoi s'agit-il ? Quel intérêt poursuit ici la firme pharmaceutique Pfizer, rebaptisée « industrie de santé », comme les représentants commerciaux des firmes ont longtemps été rebaptisés « visiteurs médicaux » ? Et bien au-delà des vaccins à ARNm, Pfizer commercialise le Paxlovid, l'un des seuls médicaments à avoir obtenu l'autorisation de mise sur le marché pour combattre le Covid. Selon la revue indépendante Prescrire : « Depuis le 6 mai 2022, en France Paxlovid est commercialisé en ville (comme à l'hôpital), remboursable à 65 % par la sécurité sociale, facturé aux patients 3,57 € par boîte. Cet antiviral... est autorisé chez les patients adultes atteints de Covid-19 ne nécessitant pas d'oxygénothérapie mais qui sont exposés à un risque élevé d'évolution vers une forme grave. Il peut être prescrit sur une ordonnance classique si le médecin dispose du résultat d'un test diagnostique positif. Il peut aussi être prescrit préventivement avec une ordonnance de dispensation conditionnelle, dans l'attente de la réalisation d'un test... L'efficacité de ce médicament n'est démontrée que s'il est pris dans les cinq jours suivant l'apparition des symptômes. »

 

En résumé, il s'agit d'un médicament qui a démontré une diminution des hospitalisations et des décès par Covid-19 chez les patients à risque élevé (âge supérieur à 65 ans, diabète, insuffisance respiratoire ou cardiaque, immunodépression, etc.) Mais ce médicament, qui a été inscrit au tableau d'honneur Prescrire en 2023 (une consécration très rare) n'est quasiment pas utilisé en France. Les patients les plus vulnérables ne savent très souvent pas qu'il existe, les médecins ne le prescrivent pas (ce n'est pas une panacée et il existe des contre-indications médicamenteuses).

 

Information vaporeuse

Par la force des choses, les pharmacies ne commandent pas, ou peu de Paxlovid, vu la très faible demande... et les patients qui en recherchent de manière urgente (puisqu'il doit être en théorie pris dès les premiers symptômes) n'en trouvent donc pas en pharmacie. Sans préjuger de son efficacité (on se souviendra du Tamiflu que la Direction générale de la santé tentait lors de l'épisode H1N1 en 2009 de faire prescrire à toute rhinite, alors que ses effets secondaires psychiques et sa très faible efficacité commençaient pourtant à être connus), on se retrouve devant cette situation ubuesque où aucune information n'est dirigée vers le public, et l'information délivrée aux médecins est... vaporeuse. Qu'à cela ne tienne. Sans jamais nommer le médicament, car la publicité directe au consommateur (Direct to Consumer advertisement ou DTC) est interdite en France pour tout produit remboursé (ce qui n'est pas le cas des Rhinadvil et autre Humex Rhume et a ainsi pu amener ces produits dangereux à être largement dispensés aux patients en automédication), Pfizer explique donc qu'en cas de Covid chez une personne vulnérable, « des solutions existent ».

 

La nature, paraît-il, a horreur du vide, et le vide de la communication gouvernementale sur le Covid amène une firme pharmaceutique à se saisir de l'antenne.