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La CGT fragilisée par la bataille pour la succession de Philippe Martinez

Le deuxième syndicat de France, en butte à des querelles intestines, se réunit en congrès à Clermont-Ferrand, du lundi 27 au vendredi 31 mars.

Par Bertrand Bissuel

 

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, au siège du syndicat à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 21 mars 2023.

 

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, au siège du syndicat à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 21 mars 2023. AGNES DHERBEYS POUR « LE MONDE »

 

Il y aura un absent de taille sur la photo. Alors qu’une dixième journée nationale d’action contre la réforme des retraites est prévue, mardi 28 mars, Philippe Martinez ne défilera pas aux côtés de ses homologues, à Paris. Le secrétaire général de la CGT est retenu à Clermont-Ferrand par le 53congrès de son organisation, dont le coup d’envoi devait être donné lundi. Une page se tourne pour le métallo, qui a décidé de quitter le poste de commandement après l’avoir occupé durant huit ans. Il s’agit également d’une période à haut risque pour le deuxième syndicat de France, en butte à des querelles intestines, qui se cristallisent sur la désignation de la personnalité appelée à devenir numéro un. M. Martinez devrait – sauf rebondissement – être remplacé par une femme, mais l’incertitude prévaut quant au nom de sa successeure.

Jusqu’au vendredi 31 mars, mille délégués sont réunis dans le chef-lieu du Puy-de-Dôme, afin de définir la ligne de la CGT pour les trois prochaines années et d’élire l’équipe de direction qui la défendra. Un moment crucial dans la vie de la confédération, confrontée à une érosion de son influence. Elle revendiquait près de 606 000 adhérents en 2020, soit 33 000 cartes de moins en deux années. Aux élections professionnelles, elle a reculé, perdant sa première place fin 2018, au profit de la CFDT. Une rétrogradation synonyme de choc pour la « maison CGT », habituée depuis des décennies à se situer à la proue du syndicalisme tricolore.

C’est donc un syndicat affaibli qui tient son conclave, à Clermont-Ferrand – même s’il a retrouvé quelques couleurs, au cours des derniers mois, en ferraillant contre la retraite à 64 ans. Non seulement la CGT est sur le reculoir, mais sa fragilité est accentuée par une bataille de succession.


A l’origine de ces tourments, il y a la décision prise au printemps 2022 par M. Martinez de placer sur orbite Marie Buisson pour qu’elle accède à la fonction de secrétaire générale quand il passera la main. Entériné par les instances exécutives de la confédération, ce choix s’inscrit dans le prolongement d’orientations suivies depuis plusieurs années. La CGT a voulu s’ouvrir à de nouvelles thématiques, liées, en particulier, à la transition écologique, en créant le collectif Plus jamais ça avec des défenseurs de l’environnement (Greenpeace, Les Amis de la Terre…). Une opération dans laquelle Mme Buisson a joué un rôle-clé.

« Fait du prince »

Mais le fait que cette enseignante de 54 ans ait été adoubée passe mal dans une partie de l’organisation. Pour des raisons de forme, tout d’abord : beaucoup y voient le fait du prince, un geste d’autoritarisme, alors qu’il aurait fallu davantage de collégialité. Le pedigree de la dauphine suscite aussi des réticences. Jouissant, jusqu’à une date très récente, d’une faible notoriété, y compris auprès de ses camarades, Mme Buisson a, qui plus est, le handicap de diriger une petite structure – la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture – que d’autres composantes de la confédération, beaucoup plus puissantes et implantées dans les bastions de la CGT, regardent de haut.

 

Enfin, la « favorite » de M. Martinez a le tort – pour ses contradicteurs – d’avoir été l’une des chevilles ouvrières de Plus jamais ça. Un partenariat sur lequel de nombreux cadres et adhérents, en particulier dans l’industrie, s’interrogent, car il porte des idées sur la sortie du nucléaire et la décarbonation de l’économie, qui sont susceptibles de remettre en question des dizaines de milliers d’emplois.

Dès lors, il n’est guère étonnant que d’autres figures de la CGT soient entrées en lice pour briguer le fauteuil de secrétaire général. Olivier Mateu a été le premier à sortir du bois en décembre 2022. Patron de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, il est répertorié dans le camp des « oppositionnels » à la ligne confédérale (fédérations de la chimie, du commerce, union départementale du Val-de-Marne, etc.). Ses chances de l’emporter sont quasi inexistantes, car il ne bénéficie que d’un nombre très limité de soutiens ; en outre, sa démarche ne respecte pas des critères érigés par l’organisation en matière de parité femmes-hommes.

Plus récemment, une autre personnalité a émergé : Céline Verzeletti, actuellement membre du bureau confédéral et coresponsable de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat. Elle assure qu’elle n’est pas officiellement candidate, mais admet qu’elle peut représenter une alternative, sachant que c’est le comité confédéral national – le « parlement » du syndicat – qui décidera au terme du 53congrès. Les dirigeants de plusieurs grandes fédérations estiment qu’elle est capable d’incarner le rassemblement. La compétition devrait donc se jouer entre elle et Mme Buisson.


Durant des décennies, c’est le secrétaire général sortant de la CGT qui désignait celui qui allait le remplacer, et ce choix était avalisé par les instances. « Mais une cassure s’est produite en 2012, lorsque Bernard Thibault, qui était alors le numéro un, a voulu confier le poste à Nadine Prigent, rappelle Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et spécialiste des questions sociales. Son choix a été contesté, un affrontement s’est ensuivi, débouchant sur l’élection par défaut de Thierry Lepaon, qui a, lui-même, dû démissionner deux ans après une obscure affaire de train de vie. » Pour M. Soubie, ces épisodes montrent que « les fédérations les plus fortes – qui sont aussi souvent celles les plus adeptes du rapport de force – se sont affranchies de la direction nationale de la confédération ». « Elles sont de plus en plus autonomes », renchérit Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, au point que « la CGT est devenue une organisation éclatée ». Le phénomène ne date pas d’hier, complète-t-il, « mais Philippe Martinez n’a pas su l’enrayer ».

« On peut parler de crise »

Aujourd’hui, la CGT se trouve « dans un état de confusion important », enchaîne Jean-Marie Pernot, chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales : « On peut même parler de crise. » Selon lui, une telle situation révèle « un problème de gouvernance dont Philippe Martinez peut être tenu pour responsable ». Mais d’autres difficultés ne sont pas principalement de son fait. « Si la CGT a perdu des points aux élections professionnelles, nuance M. Pernot,l’explication se situe d’abord à l’échelon des fédérations : la capacité de ces structures à s’implanter dans les entreprises, à déployer un tissu militant s’est émoussée, et le rayonnement de toute l’organisation en a, du même coup, pâti. »


Aux yeux de M. Pernot, la CGT n’a pas réussi à forger « des modes de régulation internes » pour que la confrontation d’idées se déroule en bonne intelligence. « Le comité confédéral national n’est pas l’enceinte où s’élaborent des débats d’orientation, mais un lieu d’affrontement », dit-il. Les acteurs en présence n’arrivent pas à élaborer des solutions pour contrer le déclin de l’organisation, qui résulte en grande partie des transformations de l’économie : le développement de la sous-traitance, l’apparition de nouvelles catégories de travailleurs – ceux des plates-formes numériques par exemple – fragmentent le salariat et compliquent la syndicalisation.

Durant le 53e congrès, la plupart des participants vont sans doute tout faire pour « empêcher que les forces centrifuges ne l’emportent », pronostique M. Pernot. Mais le risque est grand, d’après lui, que chaque composante poursuive son chemin, sans que s’enclenche une dynamique collective qui permettrait de s’attaquer aux problèmes de fond rencontrés par l’organisation.

 

 

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La CGT tourne la page Philippe Martinez dans l’incertitude

https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/260323/la-cgt-tourne-la-page-philippe-martinez-dans-l-incertitude

Le congrès confédéral qui s’ouvre ce lundi verra la nomination du, ou plus probablement, de la nouvelle secrétaire générale du syndicat. Les débats s’annoncent vifs et Marie Buisson, la candidate soutenue par le sortant, n’est pas assurée de l’emporter. Une illustration des fortes divisions internes et des doutes sur l’avenir.

Dan Israel et Khedidja Zerouali

26 mars 2023

 

Quel drôle de moment pour un tel rassemblement. Lundi 27 mars, la CGT réunit pour une semaine plusieurs centaines de ses têtes dirigeantes et de ses militantes et militants les plus aguerris dans la banlieue de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour son 53e congrès confédéral. L’enjeu est important, puisque c’est à l’issue du congrès qu’on saura qui prendra la suite à la tête du syndicat de Philippe Martinez, arrivé aux commandes en 2015 et qui avait annoncé fin mai qu’il comptait passer la main.

Mais le timing ne peut qu’interroger, alors que le mouvement de contestation contre la réforme des retraites n’est pas terminé et qu’une dixième journée de manifestations a été annoncée par l’intersyndicale pour mardi 28 mars. « Le congrès a déjà été repoussé, on ne pouvait plus attendre. Mais rétrospectivement, on aurait préféré qu’il se tienne en juin, c’est sûr », considère l’un des organisateurs.

Selon les statuts de la CGT, un congrès doit se tenir tous les trois ans, et le précédent a eu lieu en mai 2019. Il avait d’abord été question de l’organiser en novembre 2022, mais cela serait tombé en pleine campagne pour les élections professionnelles dans la fonction publique. Trop compliqué à mener de front, pensaient alors certaines des huiles du syndicat. On se demande comment elles envisagent la lourde semaine qui s’ouvre aujourd’hui devant elles.

 

De l’avis général, les débats s’annoncent houleux, et ils ne devraient pas manquer de matérialiser les lignes de fracture qui traversent le syndicat depuis de longues années. Sur la relation aux autres syndicats, sur la ligne politique, sur le nom des dirigeant·es, et sur le bilan de Philippe Martinez lui-même.

« Chez nous, les congrès peuvent se révéler particulièrement violents, et c’est encore plus le cas lorsque l’atterrissage n’est pas prêt, confie un dirigeant de fédération. Même si le succès de la lutte contre les retraites devrait un peu calmer les doutes qui sont régulièrement exprimés sur la stratégie de rapprochement entre syndicats. »

C’est en effet l’un des débats qui agite la CGT de façon récurrente : doit-elle tenir une ligne dure face au patronat et au pouvoir politique, quitte à s’isoler des autres organisations de salarié·es ? Ou faut-il diluer sa radicalité pour parvenir à faire front ensemble, y compris avec des syndicats jugés trop mous par beaucoup de ses adhérent·es ?

Depuis début janvier, Philippe Martinez, qui ne fait pas mystère de ses bonnes relations personnelles avec son homologue de la CFDT Laurent Berger, a choisi la deuxième option. Stratégie gagnante, si l’on en juge par la taille des cortèges qui se multiplient partout en France depuis plus de deux mois, établissant des records historiques de participation.

Mais sur le front des actions plus dures et des luttes locales, l’intersyndicale a longtemps patiné avant d’assister à une montée en puissance des grèves et des blocages, dans les transports, l’énergie, les raffineries ou le secteur des déchets. Et c’est ce que reproche à la direction de la CGT sa fraction la plus radicale.

Illustration 2Agrandir l’image
Piquet de grève à la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne), le 15 décembre 2019. © MJ

« Nous, on défend une CGT à l’offensive : une organisation de lutte, de classe, de masse, de transformation sociale. En gros, marxiste révolutionnaire. “Plus d’écoute, de dialogue social”, ça, c’est le fonds de commerce de la CFDT, pas le nôtre », considère ainsi Fabien Cros.

Le délégué syndical de la raffinerie de la Mède, près de Marseille, est un bon représentant de la ligne portée par l’union départementale des Bouches-du-Rhône, dont le dirigeant, Olivier Mateu, est le seul candidat officiellement déclaré contre Marie Buisson, la dirigeante de la fédération de l’éducation, que Philippe Martinez souhaite voir prendre sa succession.

De l’avis général, Olivier Mateu, en première ligne dans la lutte contre les réquisitions des raffineries, est considéré comme trop radical et n’a guère de chances de l’emporter. D’autant qu’il n’a pas été choisi, pour le moment, pour faire partie de la nouvelle commission exécutive confédérale (CEC), la direction d’une soixantaine de personnes parmi lesquelles seront désignés les dix membres du bureau confédéral, dont le ou la secrétaire générale. La direction actuelle a rejeté sa candidature car, comme une poignée d’autres, il n’avait pas respecté la consigne de présenter au moins une femme dans la liste des candidats de son union départementale (UD) à la CEC.

Le cas Olivier Mateu, le problème Benjamin Amar  

Les critiques d’Olivier Mateu, qui juge la direction actuelle trop conciliante envers le patronat, seront brandies par beaucoup pendant le congrès, notamment par les représentant·es des fédérations de la chimie, du rail ou de l’énergie. Procès forcément désagréable pour Philippe Martinez, qui avait été élu au congrès de 2016 avec le soutien de l’aile la plus opposée au « réformisme » – en 2015, il avait pris en urgence la place de Thierry Lepaon, éjecté après des mois de polémiques autour de la rénovation de son bureau et de son appartement.

Au congrès, ne devrait ainsi pas manquer de resurgir la question, quelque peu décalée, de l’appartenance à la Fédération syndicale mondiale (FSM). L’Internationale syndicale communiste, qui compte dans ses rangs des syndicats cubains, nord-coréens ou iraniens, a été déserté par la confédération CGT en 1995, mais certaines de ses fédérations (chimie, agroalimentaire) ont réadhéré, comme les UD du Val-de-Marne et des Bouches-du-Rhône.

Dans une récente interview à La Provence, qui l’interrogeait sur les penchants prorusses très marqués de la FSM, Olivier Mateu avait indiqué ne pas considérer le président ukrainien Volodomyr Zelensky comme « un néonazi », mais comme « une marionnette des États-Unis au travers de l’Otan », qui aurait « créé les conditions d’une guerre entre les États-Unis et la Russie ». Il avait aussi déclaré qu’il « ne crach[ait] pas sur l’URSS », même si « à un moment, il y avait des problèmes de liberté ».

Ce syndicat, c’est une anarchie plus ou moins organisée. On sent encore l’héritage de l’anarcho-syndicalisme dont il est issu.

Le sociologue Karel Yon

L’envie de radicalité et la fascination pour la FSM seront partagées par les amis de Benjamin Amar, de l’UD du Val-de-Marne. Mais le médiatique syndicaliste francilien, opposant déclaré à Philippe Martinez, ne devrait pas être lui-même présent. Comme Mediapart l’a raconté, Benjamin Amar a été tout récemment exclu définitivement des instances dirigeantes nationales, suite à des accusations de violences sexuelles. Déjà écarté une première fois il y a un an, il avait été réintégré en août, suite au classement sans suite de la plainte qui le visait.

Cette nouvelle exclusion surprise fait suite à l’adoption par le syndicat, après des mois de débats brûlants, d’un document définissant la conduite à tenir en cas d’accusations de violences sexuelles. Nul doute que sa perte de poste national, qui devrait lui interdire d’être présent car il ne dispose pas non plus d’un mandat de délégué de son UD, réactivera les lignes de fracture sur ce sujet qui déchire encore et toujours la CGT.

Ce type de divisions est relativement classique à la CGT. « Pour reprendre les mots de la chercheuse Françoise Piotet, ce syndicat, c’est une anarchie plus ou moins organisée. Il compte énormément de fédérations, il y a un grand sens du débat, des lignes qui s’affrontent… On sent encore l’héritage de l’anarcho-syndicalisme dont il est issu, rappelle le sociologue spécialisé Karel Yon. Par contraste, la CFDT est beaucoup plus verticale, et le ménage des opposants y a été fait ces vingt dernières années. Elle s’exprime donc d’une seule voix ou presque. »

L’écologie, ligne de fracture interne 

Mais les débats qui auront lieu, aussi virulents soient-ils, ne doivent pas masquer la vraie inquiétude de Philippe Martinez et de ses troupes : parviendront-ils à obtenir la désignation de leur candidate Marie Buisson comme nouvelle secrétaire générale ? Pour la première fois, la succession d’un secrétaire général de la CGT n’est pas bouclée à l’avance en amont du congrès, et certains évoquent « un accident toujours possible ».

Tous ont en tête le fiasco de la succession ratée de Bernard Thibault, emblématique leader de 1999 à 2013, qui avait échoué à imposer sa dauphine Nadine Prigent et n’avait finalement même pas obtenu qu’elle figure parmi les membres de la CEC. Mais Bernard Thibault avait été fixé sur le sort de sa dauphine avant le congrès…

Cette semaine, Marie Buisson n’a officiellement pas trop de soucis à se faire. Quand son nom a été proposé par Philippe Martinez cet été, la CEC l’a validé à 85 % des votes, ce qui n’a pas été contesté de façon trop vigoureuse par le Comité confédéral national (CCN), le « parlement » du syndicat qui rassemble les dirigeant·es de toutes les fédérations et des UD.

Nous considérons que la candidature de Marie Buisson n’est pas opportune. Elle ne rassemble pas les organisations de la CGT.

Sébastien Menesplier, dirigeant de la fédération de l’énergie

« À nos congrès, il y a toujours de forts débats d’orientation, je ne suis pas étonnée de cela. Mais jusqu’à preuve du contraire, ma candidature a été validée très largement par la direction sortante », déclare Marie Buisson. « Par ailleurs, insiste-t-elle, penser qu’une seule personne dirige la CGT, c’est très mal la connaître. On est plus intelligents à plusieurs, et le texte d’orientation du congrès a été travaillé très collectivement, il est issu d’un accord large et majoritaire. »

Peut-être. Mais derrière les procédures officielles, la vérité est que sa candidature ne fait pas l’unanimité, notamment parmi les fédérations les plus remuantes. « Nous considérons que la candidature de Marie Buisson n’est pas opportune. Elle ne rassemble pas les organisations de la CGT », déclare par exemple sans barguigner Sébastien Menesplier, le dirigeant de la fédération de l’énergie, dont le nom a un temps circulé comme candidat potentiel. « J’ai fait une intervention en fin d’année 2022 pour expliquer nos positions. Au congrès, au moment du vote, il ne faudra pas venir nous dire qu’il est inadmissible qu’on vote contre elle. »

« Marie Buisson représente une CGT plus ouverte vers un monde du travail qui a changé, mais aussi vers des ONG, et vers l’unité syndicale », défend Philippe Martinez. À la tête d’une fédération loin d’être majoritaire dans son champ, l’éducation, elle est surtout connue en interne pour son rôle de cheville ouvrière de Plus jamais ça, le collectif lancé par la CGT en partenariat avec des ONG écolos comme Greenpeace ou Oxfam.

Et si, à l’extérieur, elle fait figure de syndicaliste ouverte sur les enjeux de société contemporains, attentive à la place des femmes et soucieuse de se rapprocher de l’écologie politique, ce sont bien ces options qui crispent une partie des troupes.

Les secteurs de l’industrie ou de l’énergie, habitués à peser largement sur les positions de la CGT, ne goûtent guère ses positions en faveur de l’écologie politique, incarnées par Plus jamais ça. « Ce collectif disait qu’il fallait fermer les centrales au charbon, alors même que les travailleurs concernés réfléchissent à des projets de reconversion pour garantir l’avenir des sites industriels, indique Sébastien Menesplier. Nous aurions préféré qu’on insiste sur les reconversions possibles pour assurer le maintien de l’emploi et développer de nouvelles sources d’énergie. »

Réduire mon parcours militant à Plus jamais ça, ce n’est pas juste. Je suis militante à la CGT depuis plus de 20 ans.

Marie Buisson

Le patron du secteur de l’énergie dit aussi tout le mal qu’il pense des positions antinucléaires de Plus jamais ça. « Nous sommes favorables au renouvellement du parc nucléaire, et pour la construction de nouveaux réacteurs », rappelle-t-il.

« Personne ne peut demander à quelqu’un qui a un travail qui pollue d’arrêter comme si cela était simple, convient Marie Buisson. Mais nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est important de se poser la question de comment faire évoluer notre travail. Cela fait plusieurs congrès que nous votons le fait d’allier fin du monde et fin du mois. »

Elle insiste aussi sur son parcours, pour se détacher du collectif clivant : « Réduire mon parcours militant à Plus jamais ça, ce n’est pas juste. Je suis militante à la CGT depuis plus de 20 ans, je suis secrétaire générale de ma fédération depuis six ans, je participe à la direction confédérale depuis trois ans. »

Céline Verzeletti, candidate plus consensuelle ? 

L’inquiétude qui parcourt le premier cercle autour de Philippe Martinez, et notamment sa directrice de cabinet Elsa Conseil, s’incarne en une femme, membre du bureau confédéral mais ayant plusieurs fois fait part de ses réticences face à la ligne de la direction, sur l’écologie ou sur la sévérité des sanctions envers les auteurs de violences sexistes et sexuelles : Céline Verzeletti.

Cette ancienne surveillante pénitentiaire, codirigeante de l’Union fédérale CGT des syndicats de l’État est avenante et habituée des médias. Mediapart l’avait interrogée place de la Concorde le 16 mars, juste après l’adoption à l’Assemblée de la réforme des retraites par le biais de l’article 49-3 de la Constitution.

Céline Verzeletti pourrait se révéler plus consensuelle parmi ses camarades que Marie Buisson. Mais alors que son nom circule depuis plusieurs mois, elle a bien pris soin de ne jamais faire acte de candidature, pour éviter l’accusation d’être à l’origine des divisions.

Sa seule marque officielle d’intérêt ? Une phrase le 7 mars, pour dire à l’agence de presse spécialisée AEF que « certaines organisations pensent que [sa candidature] permettrait un meilleur rassemblement ». Sur France Inter le 23 mars, elle s’est encore refusée à en dire plus : « Ce sera en fonction des orientations qui seront adoptées au congrès et des débats, c’est vraiment les syndicats et le congrès qui vont décider de tout ça. »

Quelle que soit la candidate qui sera désignée vendredi, à la fin du congrès, elle sera la première femme secrétaire générale de la CGT.

Pourtant, le 1er mars, c’est bien son nom qui a été proposé lors d’une réunion informelle des plus grosses fédérations de la CGT : santé, services publics, cheminots, énergie, fonctionnaires de l’État. « Elle semble réunir les conditions d’un large accord, d’un rassemblement de l’ensemble des organisations de la CGT, et la possibilité d’un travail collectif au sein d’un bureau confédéral solide et d’une CEC », indique une note rédigée suite à cette réunion.

En tant que femme, elle prive l’entourage de Philippe de Martinez de l’un de ses arguments phares pour imposer Marie Buisson : quelle que soit la candidate qui sera désignée vendredi, à la fin du congrès, elle sera la première femme secrétaire générale de la CGT. Nerveux, Philippe Martinez a fait remarquer le 22 mars au Monde que « pour Céline Verzeletti, tout semble avoir été préparé lors de réunions hors statut ». Ce qui « est un problème, car, officiellement, ça na été discuté nulle part ».

Pour autant, rien n’est joué. Et parmi les congressistes et leurs allié·es, les paris sont ouverts. « Même si les grosses fédés préfèrent Céline Verzeletti, les UD sont légitimistes et suivront Philippe Martinez, même en bougonnant », avance l’un. « C’est du 50-50, incertitude totale », prévient un autre.

Un scénario revient souvent dans les pronostics : Marie Buisson pourrait être élue, en échange d’une entrée massive au comité exécutif, voire au bureau confédéral, des tenants d’une ligne plus « dure » ou « identitaire » que celle qu’elle porte. « Elle a pour l’instant du mal à constituer son équipe », relève un bon connaisseur.

Philippe Martinez accusé d’autoritarisme

Tous et toutes s’accordent en revanche à souligner que cette querelle de ligne se double aussi d’une critique de la manière dont Philippe Martinez a dirigé la confédération ses dernières années. Certes, tenir la barre d’une maison aux composantes si conflictuelles en n’hésitant pas à aller à la castagne nécessite de surveiller chacune de ses paroles, et userait le mieux disposé des dirigeants. Mais avec le duel qui s’annonce pour sa succession, il paierait aussi son autoritarisme – un qualificatif qui le poursuit depuis son arrivée à la tête du syndicat.

« Lancer Plus jamais ça en s’engageant avec Greenpeace sans impliquer la fédération de l’énergie, ce n’est pas très raisonnable », pointe le politiste Jean-Marie Pernot, qui connaît très bien la CGT et plaidait pour un rapprochement avec la CFDT avant que l’intersyndicale ne soit un succès. « Même chose pour ses annonces répétées de sa volonté d’un rapprochement organique avec la FSU et Solidaires, sans en avoir jamais discuté nulle part… Imposer ces évolutions comme il l’a fait présente le risque de bloquer les évolutions, voire de provoquer un retour en arrière. »

Pour le chercheur, le leader cégétiste « a aussi sans doute cherché à créer un mouvement interne au syndicat suffisamment puissant pour renverser la table, et déplacer les termes du débat afin de ne pas affronter ses opposants sur des sujets qu’il juge d’avant-hier ». Mais « cette méthode a des limites : les enjeux de reconstruction sont tels qu’ils ne peuvent pas être relevés dans un climat de tension aussi extrême ».

Quand tu es en désaccord avec lui, tu passes tout de suite dans le camp des opposants, c’est sans nuance.

Un responsable de fédération

En interne, certains, qui ne se décrivent pas comme des opposants, ne cachent plus leur désarroi. « Le principal conflit tourne autour de sa méthode de fonctionnement, autour d’un tout petit noyau, même pas du bureau confédéral. Cela a fini par braquer beaucoup de monde. De ce point de vue, son mandat de dirigeant est un échec », soupire un responsable de fédération.

 

Une situation qui ne se serait pas améliorée depuis l’automne, alors qu’il s’est visiblement détendu lors de ses interventions publiques depuis qu’il a annoncé qu’il quittait son poste : « Quand tu es en désaccord avec lui, tu passes tout de suite dans le camp des opposants, c’est sans nuance. Le peu de gens qui ont essayé de faire une synthèse entre les différents courants ces derniers mois ont été la cible de son hostilité. »

Le choix de Marie Buisson ou de Céline Verzeletti ne réglera de toute manière pas les problèmes de la CGT d’un coup de baguette magique. Quatre ans après le précédent congrès, les incertitudessur son avenir ne sont pas levées. Forte de plus de 600 000 adhérents, et avec des nouvelles adhésions en nombre depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, la CGT n’en est pas moins en déclin de ce point de vue.

Surtout, c’est sous la direction de Philippe Martinez que la CGT a été dépassée par la CFDT en nombre d’électeurs, rétrogradant en deuxième position. « Elle perd des centaines de milliers de voix aux élections professionnelles, rappelle Karel Yon. Les autres syndicats aussi, mais à une vitesse moins forte. Et ce problème-là, personne ne veut en parler dans le syndicat. »