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Restrictions d’eau : à qui la flotte ?

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Confrontée à une pénurie d’eau alarmante, le pays se prépare à un été difficile. Au-delà du plan préparé par le gouvernement se posera la question de la répartition des usages.

C’est un état de crise permanente et durable. Depuis des mois, le gouvernement dit plancher sur un «plan eau», pour ne pas reproduire le scénario cauchemar de 2022. Mais le sort s’acharne : une sécheresse sévère s’annonce pour 2023 en France. En plein hiver, la situation n’augure rien de bon. Le gouvernement s’active pour, dans un même temps, «gérer l’urgence tout en posant les bases de la planification pour, à l’avenir, être capable de faire autant avec moins d’eau», résume l’entourage du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Malgré un court répit en début d’hiver, le déficit de pluie s’accumule, atteignant même 15% ces six derniers mois. Les trente-deux jours sans une goutte ou presque que nous avons connus entre janvier et février ont fini de précipiter la France dans une aridité hivernale inédite. Résultat, la terre manque d’humidité. Partout, les sols offrent un visage observé d’ordinaire mi-avril, voire fin mai, comme en Auvergne-Rhône-Alpes et sur le pourtour méditerranéen. Et, sous terre, 60% des nappes phréatiques avaient un niveau plus bas que la normale fin janvier. Sans pluies conséquentes depuis, le déficit n’a pu être comblé. Une bombe à retardement puisque la saison de recharge de ces stocks d’eau s’achève dans un mois.

Du jamais-vu

C’est pourquoi, depuis quelques jours, le ministre Christophe Béchu sonne la mobilisation générale, sans mesure phare pour l’heure. «Le gouvernement doit anticiper la crise de cet été mais il est au Salon de l’agriculture, tacle le vice-président de France nature environnement (FNE), Antoine Gatet. Il ne faut pas faire des annonces qui fâchent trop, car le problème est surtout agricole, et l’exécutif continue de donner des gages à l’agriculture productiviste.» Sur RMC, Béchu a malgré tout rafraîchi la mémoire de ceux qui vivraient dans le déni climatique. L’an dernier, 700 communes ont manqué d’eau potable, a-t-il rappelé : «Si on ne veut pas se retrouver avec 1 500 ou 2 000 communes en difficulté le moment venu, il faut qu’on rationne.»

Déjà, des arrêtés sécheresse ont été pris dans six départements (Pyrénées-Orientales, Var, Isère, Ain, Bouches-du-Rhône, Savoie). Du jamais vu en hiver. Dans les Pyrénées-Orientales, les restrictions d’eau s’éternisent depuis juin 2022. L’arrosage des pelouses et stades, le remplissage des piscines ou le lavage des voitures sont désormais bannis. Les interdictions devraient continuer de pleuvoir en mars. Le ministre de la Transition écologique a en effet sommé les hauts fonctionnaires chargés de la gestion de crise de ne pas avoir «la main qui tremble». Après avoir convoqué les préfets responsables des grands bassins-versants lundi, il mettra, le 6 mars, la pression sur ceux des départements, aux manettes pour les arrêtés sécheresse. Le ministre ne manquera pas de leur rappeler qu’un guide d’harmonisation des restrictions existe depuis juin 2021. Une pression bienvenue, selon Antoine Gatet, de FNE : «Ils ont toujours fait passer les intérêts économiques locaux de court terme devant la protection de la ressource en eau. L’été dernier, des dérogations illégales ont été accordées.»

Mais l’urgence climatique impose des solutions plus pérennes. «On va être dans une situation de crise perpétuelle», se désole Antoine Gatet. L’eau disponible devrait encore se raréfier d’un quart d’ici le milieu du siècle. «Le changement climatique nous oblige à modifier les trajectoires des politiques publiques en termes de gestion de l’eau mais le gouvernement ne l’a pas fait. Il porte une vraie responsabilité dans cette inaction», renchérit le député LFI Loïc Prud’homme, auteur d’un rapport sur la question. En 2019, l’exécutif avait toutefois fini par fixer un objectif de baisse des prélèvements de 10% en 2025 et de 15% supplémentaires d’ici à 2035 dans tous les secteurs (industrie, agriculture, particuliers…).

«Des troupeaux ne passeront pas l’été»

Le «plan eau», attendu pour la deuxième quinzaine de mars pourrait donner les moyens d’y parvenir. Samedi, au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a plaidé pour ce «plan de sobriété». Il voit dans la sécheresse une illustration de la «fin de l’abondance», martelée depuis septembre. «On sera confronté comme on était l’été dernier à des problèmes de raréfaction [d’eau] : plutôt que de s’organiser sous la contrainte au dernier moment avec des conflits d’usage, on doit planifier tout ça», a-t-il expliqué en égrenant quelques pistes du plan à venir. Au programme : une meilleure réutilisation des eaux usées, la lutte contre les fuites d’eau ou encore des investissements dans les contestées rétentions collinaires. Un «Ecowatt de l’eau» devrait aussi permettre à chacun de suivre sa consommation. Mais la nécessaire restauration des milieux naturels pour ralentir le cycle de l’eau n’a pas été évoquée.

Les leçons de l’été 2022 ont-elles vraiment été tirées ? «Non, je ne pense pas», tranche un responsable de la majorité. «Les récentes sorties sont bienvenues, poursuit le même. Il faut mettre plus de pression dans le système pour faire changer les acteurs.» Pour ce parlementaire, il va vite falloir anticiper pour «sécuriser les rendements agricoles». Le tout dans un contexte de guerre en Ukraine et de craintes sur la souveraineté alimentaire.

La pénurie d’eau potable ne sera peut-être pas le problème le plus pénible à gérer. «Notre pays est en mesure de faire face. On fera transiter des citernes d’un endroit à un autre, on distribuera des bouteilles», estime Loïc Prud’homme. Sa plus grande crainte, ce sont les «choix drastiques» qui pourraient s’offrir à nous. «Sans doute, des troupeaux ne passeront pas l’été, des cultures sécheront sur pied», prédit le député. Ou comment alimenter des conflits d’usage de l’or bleu, selon lui. «On est déjà dans une situation de tension inédite. Pour le moment, c’est ponctuel, avec surtout des manifestations autour des bassines. Mais ça va s’amplifier. La question de la violence physique va sans doute se poser.» Tous ces experts espèrent que la saison 2 de la sécheresse ne donnera pas lieu à de trop âpres batailles de l’eau.

 

Source liberation.fr Margaux Lacroux, avec Lilian Alemagna  abonnés