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Covid long ou comptes sociaux : l’aveuglement du pouvoir

Covid long ou comptes sociaux : l’aveuglement du pouvoir

Christian Lehmann
6-8 minutes

Le caviardage d’une campagne de prévention de Santé publique France sur les dangers de l’alcool par François Braun et son successeur, Aurélien Rousseau, a au moins ce mérite : révéler clairement que les intérêts du lobby de l’alcool ont gain de cause au gouvernement face à la santé des Français. Il serait à ce stade naïf de croire encore que sur un dossier bien plus complexe, celui du Covid, qui impacte fortement l’équilibre économique tout entier, le même gouvernement œuvrerait dans le sens de la prudence et de la réduction des risques.

Depuis un an et demi au moins, on a laissé courir Sars-Cov 2, en minimisant son impact. Omicron, nous disait-on en janvier 2022, nous offrait la «chance» d’être tous infectés avec un virus qui, apparemment, provoquait peu de formes graves, et d’être immunisés une bonne fois pour toutes. Nombre de professionnels de santé, et pas seulement les habituels experts de plateau, ont répété dans les médias et sur les réseaux sociaux ce mantra, qui s’est révélé faux, et a eu les conséquences qu’on pouvait imaginer : cinq vagues de Covid rien qu’en 2022, tout au long de l’année, et près de la moitié de la population française infectée au moins une fois par un virus dont les conséquences à long terme sur les systèmes cardiovasculaire, respiratoire, immunitaire, neurologique et endocrinien sont à ce jour encore mal définies mais de nature à générer une légitime inquiétude.

Rappeler la réalité du Covid

Qu’à cela ne tienne. Emmanuel Macron ayant une campagne électorale sur le feu, le gouvernement a considéré l’incident clos, et ses oppositions qui, soyons clair, en avaient soupé d’un virus qui les éloignait des unes et des débats télévisés, ont emboîté le pas. Un an et demi plus tard, nous sommes à nouveau au pied du mur, avec des variants qui débarquent et qu’on ne surveille plus, des infections qu’on ne comptabilise plus, seulement le réel sur lequel on se cogne comme à chaque rentrée scolaire : les enfants malades, les professeurs manquants, les collègues et amis dont vous apprenez la énième réinfection. Les médias font ce qu’ils peuvent, et parmi eux ce «journal d’épidémie», pour tenter de rappeler la réalité du Covid, mais le discours d’autodéfense sanitaire est constamment battu en brèche par les discours rassuristes des divers comités de vigilance dont le gouvernement s’est affublé pour diffuser ses éléments de langage.

Mieux encore, le ministère de la Santé et l’Assurance maladie se sont lancés depuis plusieurs mois dans une traque orchestrée contre les médecins généralistes, responsables d’une dérive des indemnités journalières considérée comme insoutenable pour les comptes sociaux. «Les arrêts de travail doivent bénéficier à ceux qui en ont réellement besoin», assène martialement Thomas Fatôme, directeur de l’Assurance maladie (et ancien conseiller santé de Nicolas Sarkozy) dans les colonnes du Figaro. Rappelons que depuis plusieurs mois, l’arrêt de travail pour Covid est laissé à l’appréciation du médecin, et que tout a été fait pour convaincre médecins et patients que l’isolement n’était plus nécessaire. On a pu en avoir la preuve récemment quand Aurélien Rousseau a été bien en mal d’expliquer qu’en cas de test positif on devait s’isoler… mais que ce n’était plus obligatoire et relevait de la responsabilité personnelle. Les données biologiques sont têtues, et la considérable raréfaction des tests PCR ainsi que le déni assumé d’un gouvernement dont les ministres testés positifs s’isolent une journée puis vont saluer des équipes de rugby internationales ou mener des réunions en lieu clos non aéré avec des masques chirurgicaux portés sur le bout du nez, participent de la diffusion actuelle de l’épidémie.

Soyons clair : grâce à la vaccination, les formes graves sont relativement plus rares, mais le Covid long, ses séquelles à moyen ou long terme, touchent un nombre grandissant de Français au fil des réinfections. Qui d’entre nous ne connaît pas, dans son entourage, au moins une personne dont la santé s’est dégradée après un Covid, et qui ne remonte pas la pente ? Or, même si la question du Covid long est d’autant plus négligée que sa prise en compte réelle nécessiterait de remettre en place des mesures de prévention basiques (tester, tracer, isoler, même a minima…), des études mettent en avant parmi les facteurs de risque… l’absence de repos à la phase aiguë.

Aggravation des symptômes à long terme

Dans une revue de littérature sur les facteurs de risque du Covid long, Eric Topol et ses collègues citent : «Les facteurs de risque socio-économiques comprennent un revenu plus faible et une incapacité à se reposer de manière adéquate dans les premières semaines suivant l’apparition du Covid-19.» Dans un autre article, Megan Fitzgerald, chercheuse en biologie atteinte d’un Covid long depuis mars 2020, témoigne : «L’idée que je pourrais être trop malade pour travailler ne m’a pas effleurée», explique cette femme qui avait du mal à monter et descendre l’escalier chez elle mais s’efforçait de répondre à ses mails et de s’occuper de son fils en phase aiguë du Covid, «il ne m’est pas venu à l’idée qu’une maladie virale pouvait être si incapacitante sur le long terme». L’article poursuit : «Il existe de plus en plus de preuves selon lesquelles le surmenage et le manque de repos pendant cette phase aiguë de l’infection au Covid-19 peuvent aggraver les symptômes à long terme.»

Dès 2021, des chercheurs britanniques étudiant les caractéristiques et l’impact du Covid long sur 2 550 patients expliquaient : «Le fait de ne pas se reposer suffisamment au cours des deux premières semaines de maladie, ainsi que d’autres facteurs tel qu’un revenu inférieur, un âge plus jeune et le fait d’être une femme, étaient associés à des symptômes longs de Covid plus graves.» Comme le note Megan Fitzgerald : «Je ne pense pas que ce soit une coïncidence, en particulier aux Etats-Unis, si les femmes en âge de procréer ont été les plus durement touchées par le Covid long. Nous travaillons à l’extérieur de la maison et nous effectuons également énormément de travail non rémunéré à la maison.»

Trop occupés à glisser Sars-Cov 2 sous le tapis et à pourchasser les généralistes mettant en péril les comptes de la nation en arrêtant les malades, les politiques qui avaient brillamment accompagné et couvert la destruction du stock de masques avant 2020 en traquant des dépenses injustifiées sont en train de récidiver, en mettant en danger la vie de ceux et celles qui ne sont rien, au nom de la bonne marche de l’économie. L’histoire dira, trop tard, si c’était, une fois de plus, «une funeste connerie».