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En France, la contamination des eaux de surface par les PFAS, « polluants éternels », est « largement sous-estimée », selon une association

Massivement utilisés dans l’industrie pour leurs propriétés antiadhésives, imperméables ou résistantes aux fortes chaleurs, ces composés chimiques toxiques et persistants font l’objet d’une surveillance très disparate d’une région à l’autre.

Par Stéphane Mandard

Publié le 12 janvier 2023 

 

Dans la vallée de la chimie, la raffinerie de pétrole de Feyzin (Rhône), en novembre 2022.

Dans la vallée de la chimie, la raffinerie de pétrole de Feyzin (Rhône), en novembre 2022. LAURENT CIPRIANI/AP

 

La contamination des eaux de surface (rivières, lacs, étangs) par les substances polyfluoroalkylées et perfluoroalkylées – les PFAS – est « généralisée » et « largement sous-estimée » en France, alerte l’association Générations futures, dans un rapport publié jeudi 12 janvier. Surnommés les « polluants éternels » en raison de leur extrême persistance dans l’environnement et de leur accumulation dans notre organisme, les PFAS sont une famille de plus de 4 500 composés chimiques ultratoxiques. Ils sont massivement utilisés dans l’industrie depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméables ou résistantes à de fortes chaleurs. On les retrouve ainsi dans une multitude d’applications industrielles (mousse anti-incendie, peintures, pesticides) et d’objets du quotidien (poêles en Teflon, papier cuisson, emballage alimentaire, textiles, cosmétiques…).

Les PFAS ont contaminé tous les milieux (eau, air, sol) et l’ensemble de la chaîne alimentaire. Aussi, 100 % de la population française est imprégnée par les composés perfluorés, selon une étude publiée en 2019 par Santé publique France. Des résultats qui peuvent faire craindre un scandale sanitaire majeur, car les PFAS sont suspectés d’avoir de multiples effets délétères, même à très faible dose : cancers (rein, testicule), perturbations du système endocrinien (thyroïde), augmentation du taux de cholestérol, baisse de la fertilité ou encore retard de développement du fœtus. Plusieurs études ont également mis en évidence qu’ils interfèrent avec le système immunitaire et diminuent la réponse à la vaccination.

 

Pour tenter de dresser un état des lieux de la présence de ces composés perfluorés dans les eaux superficielles, Générations futures s’est appuyée sur la base de données publique Naïades, qui répertorie toutes les informations sur la qualité des eaux de surface en France. Elle est notamment alimentée par les campagnes de mesure de PFAS menées à titre expérimental depuis 2014. L’ONG s’est concentrée sur 2020, année la plus récente pour laquelle tous les résultats sont disponibles. L’analyse des prélèvements réalisés en 2020 montre que la pollution des eaux de surface par les PFAS est « généralisée sur le territoire français » : à l’exception de la Corrèze, de la Dordogne, du Tarn, de la Martinique et de la Guadeloupe, on en retrouve dans tous les départements.

Une pollution « généralisée en France »

Au total, des recherches de PFAS ont été menées dans près de 13 000 échantillons d’eau. Selon les calculs effectués par Générations futures, au moins un PFAS (sur 18 composés différents recherchés) a été retrouvé dans 36 % des cas, soit plus d’un tiers des échantillons. Une estimation nettement supérieure aux chiffres de la seule étude de référence, réalisée en 2011 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, qui concluait que 25 % des échantillons d’eau contenaient des PFAS.

Ces résultats sont « largement sous-estimés », car ils cachent une grande hétérogénéité dans la collecte des données. La première disparité tient au nombre de PFAS recherchés : un seul en Guadeloupe, et jusqu’à seize dans l’Aude ou en Haute-Marne. Disparité, aussi, dans l’effort de recherche : seulement six échantillons analysés pour les PFAS à Paris, contre 440 échantillons dans la Manche, pour une moyenne de 145 analyses de PFAS par département. Disparité, enfin, dans les seuils de quantification retenus pour dépister les « polluants éternels » dans les eaux.


En analysant les résultats compilés dans Naïades, Générations futures s’est rendu compte que les limites de quantification pouvaient varier d’un facteur allant de 1 à 500, selon les départements et les agences de l’eau chargées de la surveillance de sa qualité. Ainsi, pour le PFOS, le composé perfluoré le plus persistant dans l’environnement, le seuil de détection est fixé à 0,1 microgramme par litre (µg/l) en Ariège, contre 0,2 nanogramme par litre (ng/l) dans les départements de l’ouest de la France couverts par l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Un écart qui explique qu’on retrouve beaucoup de PFAS dans les départements où les seuils de détection sont les plus élevés.

« Impression faussement rassurante »

« Finalement, c’est l’évaluation de la présence de tous les PFAS dans les eaux de surface qui est biaisée, les chiffres officiels donnant une impression faussement rassurante pour de nombreux départements », commente Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations futures. L’association demande par conséquent au gouvernement d’imposer aux agences de l’eau une harmonisation de leurs méthodes d’analyses en retenant les limites de quantification les plus basses possibles pour tous les PFAS, sur le modèle de ce que fait l’agence de Loire-Bretagne avec le PFOS.

 

Fin avril 2022, après la révélation d’une pollution importante aux PFAS dans la vallée de la chimie, près de Lyon, le gouvernement a pris un arrêté élargissant la liste des substances chimiques surveillées dans les eaux de surface et souterraines. Cinq PFAS sont concernés (PFOS, PFOA, PFDA, PFHxA et PFHS) pour les eaux superficielles, avec une limite de quantification fixée à 2 ng/l. « Avec seulement cinq PFAS suivis dans les eaux de surface, la France est encore loin du compte des futures exigences européennes », réagit François Veillerette, le porte-parole de Générations futures. La Commission européenne a publié, fin octobre 2021, une proposition de révision de la directive-cadre sur l’eau qui prévoit d’inclure 24 PFAS dans la liste des substances prioritaires, dont la surveillance est obligatoire. Aujourd’hui, seul le PFOS y figure.


Générations futures déplore, en outre, l’absence de PFAS particulièrement dangereux de la liste des cinq polluants éternels dont la surveillance est désormais obligatoire dans les eaux françaises. Ainsi du PFNA, identifié par l’Autorité européenne de sécurité des aliments comme l’un des quatre polluants éternels les plus problématiques et suspecté notamment d’être cancérogène et toxique pour la reproduction. Pour l’heure, les PFAS ne sont toujours pas réglementés dans l’eau du robinet. Mais la législation européenne prévoit de cibler 20 composés perfluorés dans les eaux de consommation à partir de 2026. Une limite de qualité est fixée à 0,10 µg/l pour la somme de ces 20 molécules. Un seuil 5 000 fois plus élevé que celui recommandé depuis juin 2022 par l’Agence américaine de protection de l’environnement.

Un seul composé perfluoré interdit

De son côté, le gouvernement français assure préparer un plan d’action destiné à encadrer strictement l’usage des PFAS et à soutenir, à terme, leur interdiction globale au niveau européen dans le cadre de la révision de la réglementation Reach sur les substances chimiques. Portée par quatre Etats membres (Allemagne, Pays-Bas, Danemark et Suède) et la Norvège, une proposition de restriction doit être soumise, le 13 janvier, à l’Agence européenne des produits chimiques.

Pour l’heure, seul un composé perfluoré a été interdit : le PFOA, en 2020. Des analyses réalisées à l’automne 2022 par l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes après les alertes dans la vallée de la chimie ont pourtant mis en évidence des niveaux importants de PFOA dans le réseau d’eau potable de Rumilly, en Haute-Savoie, où trois sources de PFAS ont été identifiées et sont désormais surveillées : un site industriel de Tefal, une ancienne fabrique de skis Salomon et une ancienne tannerie.

Jusqu’ici, les rejets industriels de PFAS n’étaient pas réglementés. Depuis le 1er janvier, les installations classées pour l’environnement (ICPE) doivent désormais respecter une valeur limite d’émission de 25 µg/l dans les milieux naturels. Mais elle ne s’applique qu’au PFOS, dont la production et l’usage sont censés être restreints au niveau mondial depuis 2009.