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A Paris, des fermetures de classes « sans précédent » provoquent la colère des parents et des enseignants

Plus de 200 classes vont fermer dans les écoles et les collèges de la capitale en 2023, en raison de la baisse démographique et des suppressions de postes. Une logique contestée par les parents, enseignants et élus, qui craignent une détérioration du service public d’éducation et une progression de l’enseignement privé.

Par Eléa Pommiers

 

 Manifestation contre les fermetures de classes devant le rectorat de Paris, le 14 février 2023.
Manifestation contre les fermetures de classes devant le rectorat de Paris, le 14 février 2023. OLIVIER ARANDEL / PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

 

Depuis quelques semaines, plusieurs quartiers de Paris vivent au rythme des rassemblements aux abords des établissements scolaires, des manifestations réunissant parents, enfants et enseignants, des réunions publiques, des pétitions, des occupations d’école. Les frontons de dizaines d’entre elles à travers la Ville s’ornent de banderoles portant toutes le même message : « Non aux fermetures de classes ».


La capitale se fait entendre au milieu d’une contestation qui s’organise dans toute la France contre ces fermetures, corollaire des suppressions de postes annoncées pour la rentrée 2023. Avec 155 postes retirés en primaire et 182 dans le secondaire, Paris est l’académie la plus touchée. Le rectorat a prévu la disparition de 162 classes en primaire (178 suppressions pour 16 ouvertures), soit 3 % du total. Une cinquantaine est aussi prévue en collège et une dizaine en lycée général. « C’est sans précédent, même pendant les années Sarkozy on n’en fermait pas autant d’un coup », souligne Audrey Bourlet de la Vallée, du SNUipp-FSU Paris.

 

Ce que l’association de parents d’élèves FCPE de Paris dénonce comme une « saignée » est le résultat, explique le rectorat, de la baisse démographique observée sur tout le territoire et particulièrement forte dans la capitale. En dix ans, Paris a perdu 27 500 élèves dans le premier degré, dont près de 14 000 entre 2019 et 2022. A la rentrée 2023, 3 100 élèves de moins sont attendus dans les écoles parisiennes. Le phénomène concerne aussi les collèges et les lycées, bien qu’il soit de moindre ampleur : environ 2 300 élèves de moins en septembre 2023 (– 2 %).

 

Territoires « surdotés »

Pour les enseignants, et surtout les parents qui se mobilisent en nombre – ils étaient encore plusieurs centaines devant le rectorat, le 14 février –, cette déprise ne peut servir d’argument que dans une « logique comptable », qu’ils rejettent. La contestation s’étend jusqu’aux élus, dont plusieurs ont exprimé leurs inquiétudes et leur désapprobation. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a écrit une lettre au ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, dans laquelle elle déplore un projet qu’elle n’estime « pas acceptable ».

La colère est d’autant plus forte qu’une soixantaine de fermetures concerne les établissements du Nord-Est parisien, dans les arrondissements les moins favorisés, dont 41 en éducation prioritaire. « Ces mesures conduiraient à dégrader le nombre d’élèves par classe dans les établissements où les publics sont les plus fragiles socialement et scolairement. Ce serait une régression majeure », dénonce Anne Hidalgo. Les chiffres ne sont pas encore stabilisés, mais de nombreux écoles et collèges touchés par des fermetures craignent que cela n’alourdisse les effectifs dans les classes restantes à la rentrée 2023, ne crée davantage de groupes multiniveaux et ne détériore les conditions d’enseignement.

A ce titre, l’académie de Paris fait pourtant figure d’exception. Ses élèves y sont socialement plus favorisés qu’ailleurs et la baisse démographique qui ne s’était pas, jusqu’alors, traduite par des fermetures massives de classes, a permis à l’académie d’afficher le meilleur taux d’encadrement de France métropolitaine en primaire. En 2022, les classes parisiennes comptent en moyenne 19,9 enfants, contre 21,7 à l’échelle nationale. La capitale est aussi la seule académie dans laquelle les directeurs d’école bénéficient d’une décharge totale d’enseignement dès lors que l’établissement compte au moins cinq classes, là où il en faut douze sur le reste du territoire.

Le constat est inverse au collège, où des postes sont supprimés depuis cinq ans malgré une démographie plus stable, mais le rectorat souligne une tendance à la baisse du nombre moyen d’élèves par classe depuis 2019, alors qu’il augmente au niveau national. Les collèges et les lycées bénéficient par ailleurs de financements spécifiques du rectorat pour certains dispositifs, comme les sections internationales, européennes ou sportives – ce qui n’est pas le cas dans d’autres académies.

 

Autant d’éléments qui classent la capitale parmi les territoires « surdotés » aux yeux du ministère de l’éducation nationale, et qui expliquent aussi qu’elle perde plus de postes que les autres à la rentrée 2023. « A effectif équivalent, Paris aura plutôt vocation à recevoir moins de moyens et se retrouve en position de “cotiser” pour les autres académies », explique la Rue de Grenelle. Le rectorat assure cependant que les taux d’encadrement favorables seront préservés.

 

Voir le privé « mieux s’en tirer »

Dans cette bataille de chiffres, les établissements mobilisés rétorquent que même Paris n’arrive pas au niveau des moyennes de l’Union européenne en matière d’effectif par classe. « Le problème, ce n’est pas Paris : il faut aligner tous les territoires vers le haut, alors que là, on supprime des postes presque partout », s’agace Sylvaine Baehrel, présidente de la FCPE Paris.

Les membres de la communauté éducative évoquent aussi les carences dans l’accompagnement des enfants à besoins spécifiques, les difficultés de l’inclusion au quotidien, l’éternel manque de remplaçants, ou encore les années Covid-19 et la crise sociale, dont les enfants souffrent. « L’école manque de moyens à un moment où nous avons plus que jamais besoin d’elle et le gouvernement nous dit qu’il faudrait encore les baisser alors qu’on a une chance de faire mieux sans dépenser davantage ?, s’insurge Sylvaine Baehrel. Ce n’est juste plus entendable pour les parents. »

Une autre préoccupation lancinante se dessine en toile de fond des mobilisations parisiennes : celle de voir le privé sous contrat « mieux s’en tirer », même si les classes de primaire et de collège y sont beaucoup plus chargées. Dans une ville où les écoles sont très « ségréguées » et où la concurrence scolaire fait rage, chaque moyen retiré à l’école publique est vécu comme un coup porté à son « attractivité », surtout en éducation prioritaire. « Si on dégrade les conditions d’enseignement et l’offre éducative dans des quartiers où la population est fragile, les gens qui en ont les moyens finiront par préférer le privé, et on perdra en mixité », redoute Léanne (elle a souhaité rester anonyme), mère d’élève dans le 19e arrondissement et enseignante dans un collège REP + du 20e, qui perd une classe.

Si la baisse démographique n’épargne pas l’enseignement privé, force est de constater qu’à Paris, où il peut recruter au-delà du périphérique et où les listes d’attente pour intégrer les établissements sont longues, il en supporte pour l’heure bien moins les conséquences que le public et ferme moins de classes. La part d’enfants qui y sont scolarisés dans la capitale ne cesse ainsi d’augmenter, particulièrement en collège et en lycée.

« On dépasse les 37,5 % dans le second degré et le phénomène s’accélère depuis deux ans, note Jean-Noël Aqua (Parti communiste), élu au Conseil de Paris. A ce rythme, si l’Etat ne décide pas de fermer des classes dans le privé et d’en rouvrir dans le public, la moitié des élèves parisiens pourraient être scolarisés dans le privé à horizon 2033. » Cette inquiétude trouve un large écho dans les rassemblements, où s’expriment autant la volonté de défendre les conditions d’enseignement que des plaidoyers en faveur de l’école publique.

 

Eléa Pommiers